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Iris dénonce une dérive lourde de dangers : avec le Sénat, les fournisseurs Internet deviendraient à la fois policiers, juges et censeurs

Communiqué de presse d'IRIS - 23 janvier 2000

Le Sénat vient de dénaturer l'amendement Bloche sur la responsabilité des fournisseurs d'accès et d'hébergement Internet en adoptant le 19 janvier 2000, malgré l'opposition de la minorité sénatoriale (PS et CRC) ainsi que, dans une certaine mesure, celle du gouvernement, les modifications proposées par la commission des affaires culturelles. Il s'agit là d'un grave recul par rapport au vote des députés le 27 mai 1999.

L'adoption des propositions de la commission des affaires culturelles implique quatre conséquences graves :

    1. Internet serait considéré comme un service de communication audiovisuelle, et un fâcheux amalgame est produit par la dénomination « services de communication audiovisuelle fournis sur un réseau en ligne ».
Quand on sait l'évolution rapide des techniques et de la convergence de leur utilisation, seule la distinction entre communication publique et correspondance privée peut demeurer pertinente pour les services en ligne. Cette distinction était retenue par l'amendement Bloche. Il y a par ailleurs une incohérence certaine de la part du Sénat à entériner l'abrogation de la déclaration préalable de sites auprès du CSA, tout en amalgamant Internet aux services de communication audiovisuelle.

    2. Les prestataires de ces « services de communication audiovisuelle fournis sur un réseau en ligne » seraient tenus de vérifier l'identité de leurs abonnés et de conserver les données de connexion à leurs services, là où l'amendement Bloche n'implique que de transmettre, à l'autorité judiciaire et sur sa demande, les éléments d'identification en possession des fournisseurs qui en assurent directement le stockage.
Un grave danger pour la protection des données personnelles et de la vie privée est ainsi introduit. De plus, la mise en place de cette procédure policière interdirait la fourniture gratuite d'accès ou d'hébergement. Plus préoccupant encore, cette disposition mettrait fin à l'existence de fournisseurs indépendants, notamment ceux du secteur non marchand, dont les ressources humaines et financières ne pourraient assumer cette charge.

    3. La responsabilité des fournisseurs d'accès, de service ou d'hébergement serait engagée s'ils refusaient de fournir l'identité des auteurs de contenus à des « tiers justifiant d'un intérêt légitime ».
Quels tiers ? Le vague de la formule permettrait à quasiment n'importe qui de se présenter auprès d'un fournisseur, de se réclamer, par un quelconque procédé, d'un intérêt légitime que le fournisseur n'est de toutes façons ni capable ni autorisé à apprécier, et d'obtenir par intimidation du fournisseur ou de l'auteur du site le retrait de tout contenu qui lui serait désagréable.

    4. La responsabilité des fournisseur d'hébergement serait aussi engagée dans le cas où ils auraient eu connaissance du caractère illicite d'un contenu, et n'auraient pas mis en demeure leur auteur de le retirer.
Le Sénat voudrait ainsi vider de son sens l'amendement Bloche, qui ne reconnaît la responsabilité du fournisseur d'hébergement que dans le cas où il refuse d'obtempérer à l'injonction d'un juge. Faut-il rappeler que seule l'autorité judiciaire est habilitée à décider du caractère illicite d'un contenu ?

Non content de ces dispositions introduites par la commission des affaires culturelles, le sénateur Michel Pelchat (RI) a obtenu l'adoption d'un sous-amendement introduisant deux autres cas d'engagement de la responsabilité du fournisseur. Ce dernier serait en droit de modifier les contenus, voire dans l'obligation de le faire pour se protéger lui-même !
L'argumentation en faveur de ce sous-amendement a clairement montré lors des débats le privilège accordé aux intérêts commerciaux, au mépris des droits élémentaires.

Enfin, un « Conseil supérieur des technologies de l'Information » a été institué, sur proposition des sénateurs Pierre Laffitte (RDSE), Louis de Broissia (RPR) et René Trégouët (RPR). À vocation bien large, ce CSTI serait composé de dix sénateurs, dix députés, et cinq personnalités qualifiées désignées par les ministres en charge des télécommunications et de la communication audiovisuelle. Outre une fonction de veille, ce CSTI pourrait adresser avis et recommandations au gouvernement, mais aussi au CSA et à l'ART.
Il est curieux que le Sénat considère que des autorités administratives indépendantes aient des avis à recevoir : leur rôle est plutôt d'en donner. Par ailleurs, les débats concernant le CSTI ont montré d'une part que le gouvernement a déjà décidé de l'existence et des prérogatives de l'organisme de corégulation d'Internet, alors même que la mission confiée au député Christian Paul est loin d'être achevée, et d'autre part que la bataille est déjà rude pour l'instauration de rapports de force au sein de cet organisme.
On serait tenté de rire devant ces ridicules gesticulations des uns et des autres, si ce mépris du processus démocratique n'était pas si grave de conséquences.

IRIS avait qualifié le vote de l'Assemblée nationale de « vote en faveur de la démocratie et des libertés ». Bien plus que l'anéantissement de ce progrès, le vote du Sénat introduit des dispositions des plus réactionnaires, et instaure le fournisseur d'accès et d'hébergement policier, juge et censeur.

Alors que des jugements condamnent des fournisseurs d'hébergement (affaire Halliday c./ Altern, affaire du TGI de Nanterre), alors que des plaintes récentes les mettent en cause (La Poste c./ Altern), quand ils ne sont qu'intermédiaires techniques, ce vote du Sénat augmente encore la confusion dans le pays et implique de graves atteintes aux droits fondamentaux et aux libertés publiques. Ce n'est pas ce que le citoyen attend du législateur.

IRIS espère que l'Assemblée nationale saura rejeter ces dispositions introduites par le Sénat, afin de rétablir la démocratie et le respect des libertés. Cela ne peut se concevoir par l'adoption des propositions du gouvernement, exprimées dans son document d'orientation pour un cadre législatif de la société de l'information, car elles ne sont qu'une version atténuée des dispositions adoptées par le Sénat. Seul le rétablissement de l'amendement Bloche, étendu à la responsabilité pénale, marquerait le retour à l'État de droit et l'inutilité d'un quelconque organisme de corégulation, forcément anti-démocratique et anti-républicain.

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Meryem Marzouki (Meryem.Marzouki@iris.sgdg.org) - Tél : 0144749239

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