Réponse de : Dominique Filatre
Date : 22 juillet 1998
Titre : Regardons ce que les Régionales à Parthenay nous apprennent
Références : LES IRIS numéro deux, Message de Michel Hervé, Message de Meryem Marzouki, LES IRIS numéro trois
Autres articles : Le courrier

 Regardons ce que les Régionales à Parthenay nous apprennent


J'ai suivi avec beaucoup d'attention l'expérience de la liste menée
par Michel Hervé dans les Deux-Sèvres dans le cadre des élections
régionales. A mes yeux, le plus important a été dans le forum qui a
accompagné cette liste et autant par les creux du forum que par ce qui
y était dit.

La première chose que je voudrais dire, c'est que le premier article d'IRIS 
m'a paru bien critiquable et à peu près au même niveau que le
commentaire fait par France3 dans la période pré-électorale. Michel
Hervé a eu raison de dire que rien n'est plus facile que de rédiger un
beau programme et même que si l'on regarde les programmes au premier
degré, ils affichent tous à peu près les mêmes bonnes intentions.
Alors ne mélangeons pas tout, il y a le positionnement de Michel Hervé
et l'état de la démocratie qui a émergé au cours des débats. Sur la
position du Maire de Parthenay, on peut contester le « ni, ni », je n'y 
suis pas particulièrement favorable, je constate simplement que les
partis politiques en place ferment parfois structurellement autant le
débat qu'il ne l'ouvrent. Autre solution : s'inscrire dans les partis
qui perdent ou qui se condamnent aux alliances. Visiblement, le Maire
de Parthenay défend son autonomie dans le jeu politique local, ce qui
a forcément un prix.

Sur le plan de la démocratie, on a vu un immense champ de ruines. Les
participants au forum n'avait rien à dire sur la politique régionale.
Rien. Si les gens avaient quelque chose à exprimer, c'était hors du
champ institutionnel. Quel désastre pour l'institution régionale ! Il
n'y a aucune opinion publique poitevino-charentaise. Cette évidence
crevait les yeux sur le forum : une élection, au fond, aussi bidon que
celles des pays non-alphabétisés où l’on envoie des hommes blancs pour
vérifier la régularité, avec juste les couleurs pour différentier les
bulletins de vote.
Et pour ceux qui auraient quelques derniers doutes, Le Monde a publié
une pleine page le 22 mars 1998 intitulée « la gestion des conseils
régionaux ne crée pas de polémique droite-gauche ». C'est déjà un
titre d'anthologie ! On y rapporte notamment, et longuement, les
propos de Jean-Pierre Raffarin, Président réélu de Poitou-Charentes.
Voici un morceau choisi, car il faut savoir de quoi on parle : « sur 3010 
rapports soumis à la commission permanente pendant la mandature
qui s'achève, 2 990 ont été votés par la gauche. Les 20 rapports
refusés par l'opposition régionale permettent de cerner les sources de
désaccords : il s'agissait, toujours selon M. Raffarin, de décisions
touchant à l'aide à l'enseignement privé, aux grands équipements - des
barrages - et à quelques projets touristiques ».

Moi aussi, j'ai été choqué par l'absence de programme de cette « liste
Internet » au départ. Mais, quelques mois après, je pense que cela
était parfaitement au niveau des questions qu'il convient de se poser.
Le regard précis sur les faits et sur l'expression de citoyens, qui n'étaient 
sûrement pas parmi les plus ignorants, amène toute sa
dimension à ce qu'écrit Meryem Marzouki : « Que peut signifier la 'démocratie 
directe', lorsque l'opinion peut être manipulée au gré de
ceux qui détiennent le contrôle sur des médias puissants (...) » ? Et
pourtant, ils ne sont pas trompés tant que ça les citoyens ! Du sens
que pouvait avoir un programme, c'est-à-dire du sens de la parole de
ceux qui parlent pour représenter les autres... cela a été l'un des
points les plus discutés sur le forum de la liste. Il ne faut pas
cultiver l'illusion, ni par la démocratie directe, ni par les
oriflammes idéologiques. Ni les illusions des autres, ni ses propres
illusions.

Car, sur ce forum de liste régionale, il s'est passé une autre chose
importe, dont Michel Hervé ne parle pas. Et je le soupçonne de ne pas
savoir comment en parler. C'est une sorte de terrifiante vidange.
Je me souviens avoir pris la direction d'une équipe de travail, il y a
quelques années. Je remplaçais un homme d'une autre génération (ses
collègues le surnommait « le dinosaure » ! vrai !) et donc il fallait
mettre des gens à travailler ensemble. Pendant des mois, j'ai eu des
réunions hebdomadaires où j'invitais à l'expression sans rien obtenir
si ce n'est la défiance. Et, tout d'un coup, renversement de vapeur,
les agents ont vidé tout leur passé de rancoeurs diverses et
accumulées depuis leur entrée dans cette unité de travail. Cela a duré
des mois. Et après, on a pu commencer à travailler sérieusement... Ce
que je décris là est très classique.
Ce petit détour autobiographique pour dire que j'ai vu Michel Hervé
atteint par le même genre de syndrome. De vieux conflits syndicaux de
la ville sont remontés à la surface du forum de la liste régionale...
Je ne crois pas du tout que ce soit un épiphénomène. Ne pouvant avoir
la moindre opinion sur le tréfonds d'un conflit avec les syndicats de
la ville de Parthenay il y a quelques années, je n'ai senti que les
effluves nauséeux ! La question est évidemment de savoir si cela est
gérable... Je veux dire : est-ce que l'on peut surmonter dans un cadre
public large, politique, avec l'expression directe que permet
Internet, ces crises inévitables pour parvenir à l'efficience
démocratique ?

Je n'ai pas de réponse toute cuite. Michel Hervé a improvisé, avec sa
propre personnalité, mais il n'a pas réussi à dominer la situation -
vous remarquerez mon vocabulaire, choisi pour la circonstance. Si l'on
veut redescendre des partis politiques parisiens centralisés vers une
démocratie plus proche des gens, plus proche en tous cas de l'Agora
telle que nous en ont fait rêver nos professeurs d'histoire grecque,
il faudra bien trouver des méthodes et des règles. Et il faudra
supporter des crises, des gauchismes et autres maladies infantiles du
communisme ou de la démocratie...

Pour moi, il est très clair que la démocratie consiste en un débat
public sanctionné par un vote où l'on applique la règle majoritaire
(il y en a différentes versions... mais ce n'est notre sujet ici). La
qualité de la démocratie dépend évidemment de la qualité du débat, et
sans réel débat la démocratie ne vaut pas grand chose. Il y a une
crise du débat public, ou politique. Cela dépasse de loin la question
des nouvelles technologies, mais celles-ci ne manqueront d'y être
mêlées.


Dominique Filatre
Formation et conseil en gestion publique locale
22 juillet 1998