Réponse de : Meryem Marzouki, pour LES IRIS
Date : 8 juin 1998
Titre : Une pensée unique bien diverse... (Réponse à la lettre de
Michel Hervé)
Références : LES IRIS numéro deux,
Message de Michel Hervé
Autres articles : Le courrier
Une pensée unique bien diverse...
(Réponse à la lettre de Michel Hervé)
Permettez-nous tout d'abord de vous dire à quel point nous sommes heureux
que le courrier de « LES IRIS » soit inauguré par une contribution au
débat sur une question aussi importante qu'Internet et la démocratie.
Plus qu'une réponse, le texte qui suit se veut une poursuite du débat.
Comme vous le dites vous-même dans votre courrier, l'article que vous
référencez était écrit sur un ton polémique, c'est un choix. Le deuxième
choix que nous avons fait pour « LES IRIS » est de rédiger des articles
courts, renvoyant sur d'autres développements et/ou ayant pour but de
susciter la réflexion et le débat. La formule et le mode de diffusion
(par courrier électronique et sur le web) ne nous permettent pas de
faire plus long. Pour autant, polémique et court ne veut pas dire
superficiel, et vous nous donnez l'occasion ici de développer notre
point de vue.
À propos d'idéologie, de pensée unique, et de Front national
L'autre possibilité que vous invoquez pour expliquer ce que vous qualifiez de
« contre-sens sur l'objet de [votre] initiative » est le parti-pris
idéologique. Nous ne croyons pas que les idéologies n'existent plus, et
encore moins qu'elles ne doivent plus exister : après tout, c'est nous
qui disons qu'il est nécessaire de « choisir son camp ». Il est étrange
toutefois que le terme « idéologie » semble de nos jours presque
péjoratif, ou du moins renvoyer vers un enfermement, voire un
« encartement » pour ceux qui l'emploient. Et le terme de « pensée
unique » qui, par parenthèses, a été bien dévoyé depuis sa définition et
finit par ne plus avoir de signification, survient bien vite pour appuyer
cette notion d'enfermement.
En effet, nous n'avons pas voulu discréditer votre initiative, et
surtout pas au prétexte qu'elle nous gênerait « car elle ne rentre pas
dans les clivages traditionnels ». De même, lorsque nous disons qu'« il
faut prendre parti », loin de nous l'idée de prendre parti exclusivement
pour des partis traditionnels. Nous n'en voulons pour preuve que nos
critiques de la majorité gouvernementale actuelle. Quant à notre critique
des idées de droite, il semble qu'elle ne fait aucun doute non plus, à
nous lire, et à voir les actions dans lesquelles nous nous engageons.
Est-ce à dire pour autant que, lorsqu'on n'est pas inféodé à un parti
politique ou un autre, on se devrait d'être « sans étiquette », « ni de
droite, ni de gauche », sans idéologie, voire sans idées ? Certes non,
ne serait-ce que parce que cela signifierait que les partis politiques
existants sont les uniques représentants de la droite et de la gauche,
ce qui, vous en conviendrez, est loin d'être le cas...
Nous pensons, comme vous sans doute, qu'il y a des voies alternatives à
explorer. Mais toutes les voies ne sont pas bonnes, ni exemptes de critiques.
Opposer à la critique l'épouvantail du Front national n'est pas
admissible. Vous nous dites : « il serait dangereux de ne laisser qu'au
seul Front national le soin de reconnaître cette crise profonde du
système et de lui laisser y apporter ses réponses identitaires, xénophobes
et archaïques. », et nous sommes évidemment en accord avec vous. Mais
permettez-nous d'être las de cette « justification » bien trop répandue,
en guise de réponse à toute vélléité de critique. À force d'opposer ce
genre de réponse, ceux qui le font finiront par faire exactement ce que
fait le Front national, pour lui laisser le moins de place possible !
Nous sommes fatigués de cela. Nous ne voulons plus « ne pas laisser la place
au Front national » comme, il y a trente ans, et toutes proportions
gardées, « il ne fallait pas désespérer Billancourt ». Nous ne voulons
pas nous déterminer en fonction du Front national, mais lutter contre lui.
Vous trouvez « troublant » que notre article ne mentionne pas le caractère
de liste ouverte de votre initiative, qui, selon vous, « a permis
à des citoyens non pré-déterminés à l'avance, sans étiquette partisanes,
mais avec des engagements civiques et associatifs de terrain de
s'engager sur cette liste. ». Mais, si effectivement cela n'a pas été
mentionné explicitement, cette caractéristique de votre liste présentée aux
Régionales est l'un des objets essentiels de notre critique ! C'est cet
aspect de votre initiative que nous visions en disant qu'elle mène « au
bout de la logique du « ni-ni », à l'heure où il devient de plus en plus
urgent de choisir son camp. », justement ! On voit déjà trop de
positionnement « national-républicain », d'« intellectuels unis contre la
pensée unique », de « fondation Marc Bloch » sans phare ni balise,
dans une tentative de sainte alliance « ni de droite ni de gauche ».
Si la nécessité de rénovation du processus politique fait l'unanimité à
gauche comme à droite, cela ne signifie pas du tout que les nouveaux
processus envisagés, et mis en pratique, seront du même ordre selon que
l'on défend des idées de gauche ou des idées de droite, sans aucune
considération partisane conventionnelle. Bien au contraire, l'exercice
de la démocratie, les règles de la vie politique, et le mode d'insertion
et de participation à la vie de la cité sont pensés très différemment selon
la sensibilité politique.
Voilà qui nous amène à un commentaire plus détaillé de votre initiative,
et de ce qui fait notre critique, non dans le but stérile de vous
discréditer, mais parce que nous avons voulu exprimer ce que nous
en pensons, dans le cadre du débat démocratique.
À propos d'exercice de la démocratie
Si nous avons fondé l'association IRIS, avec ses objectifs et son
positionnement, c'est bien que nous croyons, tout comme vous, à
l'utilisation d'Internet comme moyen d'appropriation de la parole par
les citoyens, que cela se fasse à titre individuel ou collectif, et
notamment dans le cadre associatif. En cela, nous sommes certainement
d'accord. Vous n'hésitiez pas, toutefois, à parler de « démocratie
participative » dans votre manifeste, et même d'« intelligence
collective ». Nous prenons volontiers acte des nuances que vous apportez
à ce positionnement, dans le courrier que vous nous avez adressé.
En effet, l'illusion de la « démocratie directe » présente à notre avis
de grands dangers pour l'exercice même de la démocratie, et c'est pour
cela que nous avons été si critiques dans l'article auquel vous
répondez. En tant qu'homme politique, en tant qu'élu, vous vous devez de
ne pas contribuer à leurrer des citoyens qui n'ont pas toujours les
outils intellectuels et/ou l'expérience suffisante pour considérer avec
tout le recul nécessaire ce mirage de démocratie que d'aucuns seraient
tentés de leur faire miroiter.
Que peut bien signifier la « démocratie directe », lorsque l'opinion
peut être manipulée au gré de ceux qui détiennent le contrôle sur des
médias puissants, lorsque la désinformation est organisée, lorsque, pour
reprendre la jolie formule de Robert Charlebois, « pour élever un
enfant, il faut un papa, une maman, et une télévision », et que l'on
sait les enjeux de pouvoirs et d'argent que représentent l'audio-visuel
et plus généralement les médias (il suffit de voir quelles sociétés
commerciales en possèdent des parts importantes, voire majoritaires, du
capital) ? Vous savez, tout comme nous, qui appelle à des référendums
populaires plus généralisés, le plus souvent en période troublée. Vous
savez bien à qui cela ne peut que profiter. Vous le savez d'autant
mieux, et nous vous en rendons volontiers crédit, que dans le cadre de
l'expérience de Parthenay, les citoyens, s'ils peuvent s'exprimer dans
le cadre de ce que vous appelez l'« in-town net », ne participent pas
pour autant aux conseils municipaux, par exemple. Pourquoi alors
entretenir le leurre dans le manifeste de votre liste ?
Car ce leurre, vous l'avez bel et bien entretenu, ne serait-ce que par
la rédaction de votre manifeste. Vous invoquez de possible maladresses
d'expression : nous voulons bien l'admettre. Mais comment expliquer
cependant le fait que vous positionnez dans ce texte les élus comme de
simples gestionnaires, prenant des décisions au gré des changements de
l'opinion ? Cette question est peut-être due à une lecture particulière
de votre texte, mais alors il faudrait nous expliquer ce que signifie
« indiquer que l'un des enjeux politiques majeurs à l'heure actuelle, ne
réside pas pour nous seulement dans le contenu de telle ou telle mesure
programmatique (dans le domaine économique, social, environnemental,
etc.) telle qu'elles sont habituellement débattues entre la droite et la
gauche [...] », pour citer une partie de votre courrier. Il s'agissait
d'une liste présentée aux élections régionales. Les Conseils régionaux
n'ont pas uniquement en charge la rénovation du processus politique, à
notre connaissance. Ils ont en charge des questions justement d'ordre
« économique, social, environnemental, etc. ». Que signifie une
candidature qui ne présente aucun embryon de projet politique en ces
domaines ? Pour nous, un projet politique ne consiste pas à gérer, ni à
administrer, mais à proposer une vision politique, destinée à se
traduire par des décisions influençant le quotidien. Vous nous trouverez
peut-être « passéistes », mais nous pensons qu'une vision politique est
fondée sur une pensée, sur une idéologie, et que les citoyens ont le
droit de la connaître, de préférence avant les élections...
Si Internet peut être effectivement un outil au service de l'action
citoyenne, c'est essentiellement par la diffusion de l'information et
par le contrôle qu'il permet sur les élus et leurs décisions d'une part,
et par les possibilités d'opposition et de subversion qu'il offre
d'autre part. Internet en soi ne va sans doute pas créer la « militance »,
ni l'engagement citoyen. Mais, lorsque cet engagement, ou du moins la
volonté d'engagement pré-existe, alors Internet décuple les capacités de
contrôle et de proposition d'alternatives.
L'exercice de la démocratie, tel que pratiqué en France et dans de nombreux
autres pays, repose sur la représentation, sur la démocratie représentative
et non sur la démocratie participative, ou directe. Dans ce cadre, la
capacité de contrôle des citoyens sur leurs élus est capitale, et Internet
est une chance fondamentale : le fait de pouvoir disposer facilement
des textes de projets de lois permet une intervention, par les moyens
démocratiques, en temps et en heure. Le fait de connaître ses droits
permet d'être citoyen à part entière, d'où l'importance de la
disponibilité des données publiques.
Le fait de pouvoir communiquer et diffuser de l'information à moindre coût
par le réseau électronique est aussi une révolution dans la pratique
militante. En effet, outre son utilisation en tant qu'outil de contrôle
citoyen, Internet a permis d'instaurer un paradigme radicalement nouveau
de résistance, d'opposition, voire de subversion. Les exemples qui
illustrent cette situation ne manquent pas ces dix dernières années, de
l'action de l'ONG brésilienne Ibase pour dénoncer immédiatement
l'assassinat de Chico Mendes en décembre 1988, ce qui a permis de ne pas
laisser ce meurtre ignoré, ni impuni, à la formidable mobilisation
contre l'AMI depuis février 1998, qui a permis de révéler au monde
entier des contributions restées jusqu'alors confidentielles, et de
mettre en échec ce projet d'accord.
Internet est le dernier moyen de contre-pouvoir (combien reste-t-il,
parmi les journaux disponibles en kiosque pour le grand public,
d'organes de presse jouant ce rôle en France ? Ils se comptent sur
les doigts d'une seule main !). C'est dans ce but que le citoyen
doit s'en emparer, er non dans le leurre d'une quelconque
« cyberdémocratie ».
Mais encore faut-il que l'usage d'Internet soit suffisamment démocratisé
pour être accessible au plus grand nombre.
À propos de l'expérience de Parthenay
Vous évoquez dans votre lettre l'expérience de « ville numérisée » de
Parthenay. C'est là en effet un laboratoire d'étude intéressant. Mais
lorsque l'on y regarde de plus près, on peut se poser un certain nombre
de questions sur les choix qui ont été faits de mise à disposition
d'Internet pour les citoyens de la ville, ainsi que sur le coût de ces
choix.
Concernant le coût, nous ne possédons pas les informations, et il serait
intéressant d'en disposer, afin de les analyser et d'en discuter. Il
s'agit là sans doute d'information publique. Nous savons simplement que
le projet a bénéficié du soutien de la Communauté européenne, puisqu'il
s'inscrit dans le cadre de programmes d'action de la DG III (projet MIND)
et de la DG XIII (projet METASA).
Tout cela ne nous dit pas combien a coûté l'expérience jusqu'ici, et
surtout ne nous indique en rien si cette expérience pourra être
poursuivie, pour devenir autre chose qu'une étude de cas : une ville
comme Parthenay aura-t-elle les moyens de financer sur le long terme - ou de
trouver d'autres financements que municipaux pour ce faire - son projet de
« ville numérisée » tel qu'il a été mis en place (cf. infra).
En d'autres termes, une fois les objectifs des projets MIND et METASA
atteints, l'expérience de Parthenay pourra-t-elle perdurer, autrement que
grâce à d'autres projets ? Que se passera-t-il lorsque les
« expériences » ne seront plus de mise pour la Communauté
européenne ? Mais notre préoccupation majeure est ailleurs :
vous n'ignorez pas que les majorités politiques changent, au niveau
municipal, départemental, régional, ou national. On l'a vu récemment,
elles peuvent changer par le fait d'alliances avec l'extréme-droite.
Avez-vous simplement pensé à l'avenir, en cas de lendemains qui
pourraient déchanter à Parthenay ? Avez-vous songé à quel point il
serait facile de dénoncer un contrat avec un industriel ou un autre, de
se retirer d'un projet européen, pour une nouvelle majorité ? On
l'a vu à Vitrolles par exemple, on le voit actuellement au niveau de la
Région Rhône-Alpes : les choix de priorités en matière de culture
et d'éducation sont modifiables, et bien vite. Pensez-vous vraiment
qu'une majorité d'extrême-droite ou alliée à l'extrême-droite aura
intérêt à poursuivre l'expérience que vous menez avec votre
équipe ? Son premier souci sera d'arrêter de financer ces
activités, et cela lui sera facile de le faire du jour au lendemain, car
les choix d'infrastructure ne permettent pas une installation pérennisée
de l'outil de démocratie qu'est Internet et de son usage (cf. infra).
Rappelons les objectifs des projets MIND et METASA, tels qu'ils sont
définis sur le site de Parthenay :
(http://www.district-parthenay.fr/sommaire/villenumerisee.htm)
Le projet METASA « avait pour but de faire émerger la demande future en
services multimédias interactifs, à partir d'une analyse en profondeur
des besoins réels des utilisateurs. »
« L'objectif poursuivi par le projet MIND était de susciter l'émergence
d'une « véritable communauté électronique locale » d'information, de
communication et de transactions, intégrant l'ensemble des acteurs économiques,
sociaux et administratifs de la Cité. A cette fin, MIND s'appuya de façon
privilégiée sur la mise en place d'un ensemble d'initiatives concrètes pour
permettre d'amorcer un processus d'appropriation des NTIC par la
population. »
Venons-en à présent aux choix proprement dits. Pour ce qui concerne
l'accès, vous revendiquez « Internet gratuit pour tous les citoyens ».
Il est tout à fait possible que nous nous trompions, mais il semble que
la situation soit la suivante :
- Si la personne est déjà équipée d'un ordinateur et d'un modem, elle ne
paie que les communications locales, la mairie jouant le rôle de
fournisseur d'accès. Contrairement au cas habituel, à Parthenay
l'abonnement est gratuit pour le citoyen, car pris en charge par la
collectivité.
- Si la personne n'est pas équipée de matériel, elle a la possibilité de
louer pour 300 FF par mois ce matériel, et bénéficie alors de 200 heures de
communication locale par an, l'accès étant toujours gratuit, comme dans
le cas précédent. Le matériel est fourni par la société Siemens et le
forfait de 200 heures gratuites est proposé par France-Télécom, au titre du
partenariat dans le cadre d'un projet européen sus-mentionné.
Les habitants de Parthenay peuvent en outre utiliser des points d'accès
gratuit à Internet mis à leur disposition par la mairie, s'ils ne
souhaitent pas être équipés à domicile.
Dans ce contexte, on peut se poser un certain nombre de questions. Nous
nous contenterons de deux grandes questions :
La première questionne les choix effectués, techniques, mais aussi
politiques, de connectivité, c'est-à-dire de connexion par le réseau
RTC, en mode dial-up, au lieu d'un choix de connectivité permanente
(via le câble ou une autre technologie de connexion), dont les
implications sociologiques en termes d'appropriation de la parole
citoyenne ne vous ont certainement pas échappé.
La deuxième question porte également sur l'infrastructure, est
tout aussi politique que la première, mais il s'agit d'évoquer les
conséquences économiques des choix effectués. Ces choix obligent la
mairie à se substituer à un fournisseur d'accès, si elle veut permettre
l'accès gratuit. Pourquoi ne pas avoir choisi, en tant que collectivité
locale, de déployer l'infrastructure de connexion permettant d'amener
une prise réseau dans chaque local (habitation, ou autre) ? Ainsi, la
mairie aurait pu garder tout le contrôle sur l'infrastructure, voire la
posséder, alors qu'actuellement c'est toujours l'opérateur de
télécommunication qui la possède, et reste donc maître des coûts. De
surcroît, il serait beaucoup plus difficile, en cas de nouvelle majorité
municipale, de revenir sur les décisions qui ont été prises jusqu'ici,
car elles auraient été pérennisées par ce déploiement d'infrastructure.
Enfin, chaque citoyen aurait pu être en position de serveur (ce qui pourrait
aider considérablement à ne plus agir en tant que simple consommateur) par
le biais d'une adresse permanente (il s'agit d'adresses IP) qui lui aurait
été attribuée, et en sus cela aurait sans doute suscité une activité
économique supplémentaire pour assurer les services.
À ces deux questions, il nous semble que des éléments de réponse peuvent
être apportés. Les nôtres sont de considérer que les industriels
partenaires de votre expérience ont pour but de faire émerger un marché
pour leurs produits (cf. les objectifs du projet METASA, ainsi que ceux
du projet IMAGINE), et que les collectivités impliquées, dont Parthenay,
ont commis d'importantes erreurs d'analyse, que nous tentons de mettre
en évidence dans notre réponse (l'erreur d'analyse étant notre seule
explication pour comprendre la démarche, puisque nous voulons croire aux
intentions généreuses que vous décrivez).
Sommes-nous bien alors dans le cadre de la mise en place d'une véritable
économie solidaire ?
À propos d'économie solidaire
Vous revendiquez pourtant la tentative de mettre en place « une
approche nouvelle qui mette l'accent sur léconomie solidaire ».
C'est ce qui ressort de l'un des points qui, dans votre réponse, résume
les objectifs de votre démarche. Il est curieux que ces objectifs ne
figurent pas dans votre texte-manifeste lui-même. Si cela avait été le
cas, nous n'aurions pas manqué de souligner, pour la soutenir avec
force, la volonté d'« explorer la possibilité d'une allocation
universelle de revenu », que vous n'invoquez qu'à présent. Mais
nous retenons cette volonté comme l'un de vos objectifs, et il nous
intéresse au plus haut point : nous serions heureux d'en savoir
plus, et de continuer, avec vous comme avec d'autres, le débat sur ce
thème, car c'est malheureusement l'aspect le moins développé de votre
réponse.
Vous invoquez aussi, mais tout aussi rapidement, et en parlant
d'économie solidaire, une « économie quaternaire » ou
« tiers-secteur », en tant que gisement de mutation du système
productif actuel, incapable selon vous d'assurer le plein emploi.
Notons tout d'abord que l'affirmation est bien péremptoire, et nullement
étayée : en effet, rien ne prouve sa véracité, à moins qu'il ne
s'agisse que d'un aspect de cette fameuse « pensée unique »
(cette fois telle qu'identifiée originellement) ? Qu'est-ce qui, du
système productif actuel ou de la dictature des marchés financiers,
empêche réellement le plein emploi ? Est-ce uniquement un problème
économique ou un problème politique, voire idéologique ? Nous
aimerions avoir votre point de vue sur cette question.
Par ailleurs, nous ne sommes pas sûrs de bien comprendre ce que vous
entendez par « économie quaternaire » : s'agit-il de
ce que les économistes désignent comme le « secteur
quaternaire », défini par rapport à la classification datant des
années quarante (secteurs primaire, secondaire, et tertiaire), afin de
dénommer l'ensemble des services liés à l'information et à la
communication ? Ou bien s'agit-il de ce secteur d'activités
non-mécanisables dont parlent les auteurs auxquels vous vous référez
dans votre réponse (disons, pour faire court, l'équipe de Transversales,
à laquelle vous êtes associé (http://www.globenet.org/transversales/),
et dont il est également question dans l'ouvrage de Jean-Marc Ferry,
« L'Allocation universelle » ? Il semble, d'après le contexte
dans lequel vous employez ce terme, et d'après vos références,
qu'il s'agisse de cette dernière acception. Nous parlons donc, sauf erreur
de notre part, d'activités non mécanisables, de services de proximité
(encore appelés « emplois familiaux »). Ce que, nous semble-t-il,
l'économiste Bernard Maris dénonçait dans un numéro du journal Charlie-Hebdo
au cours du mois d'avril comme une « économie de loufiats »,
fondée sur la précarisation et la prolétarisation des classes moyennes, et
plus généralement des couches sociales concernées.
S'il s'agit donc bien de cette dernière acception du terme « secteur
quaternaire », nous serions heureux de savoir en quoi, d'après vous,
ce secteur quaternaire présenterait les signes de la mutation
du secteur productif, et pourquoi il induirait la possibilité d'une
allocation universelle de revenu.
Il nous semble au contraire d'une part que l'instauration d'un revenu
universel de richesse est le préalable nécessaire au développement
du secteur quaternaire, cette instauration ne pouvant alors que résulter
d'un choix politique fort, consistant à reconnaître que nous vivons dans
un pays riche, et que le produit de cette richesse doit être distribué
égalitairement aux citoyens, car ils sont les créateurs de cette richesse.
D'autre part, le secteur quaternaire ainsi développé ne doit pas être
considéré comme un secteur économique générateur d'emploi, et surtout
pas se substituant aux secteurs économiques « classiques »,
mais un secteur générateur d'activité, dans le cadre d'un glissement
des valeurs de notre société : il est sans doute souhaitable que
l'emploi salarié ne soit plus le seul signe de reconnaissance et
d'insertion sociale, et sa privation source immédiate d'exclusion sociale.
C'est seulement dans un tel contexte, nous semble-t-il, que les activités
exercées actuellement le plus souvent dans le cadre du bénévolat (travail
associatif) pourront devenir un véritable secteur d'activité, que l'on
pourra effectivement appeler, si on le désire, « secteur quaternaire »,
ou plus simplement, secteur non-marchand. En effet, si ce secteur d'activité
se développait, ce serait parce que les citoyens bénéficieraient de
plus de temps libre, justement à cause de l'instauration d'un revenu universel
de richesse, ce temps libre étant dégagé par une augmentation substantielle
du travail à temps partiel librement choisi (le revenu salarial venant en
complément du revenu universel), augmentation qui elle-même résulterait
en une réduction drastique du chômage par un partage généralisé du travail.
Pour finir, nous ne voyons pas vraiment le lien avec Internet, en tous cas
pas de lien direct de causalité, si ce n'est, peut-être, la confusion qui
pourrait provenir justement des deux acceptions possibles du terme « secteur
quaternaire ». Des études approfondies, et chiffrées, ont
d'ailleurs été publiées il y a plus de dix ans déjà, pour plaider en
faveur du revenu universel de richesse (également appelé allocation
universelle de richesse), sans aucunement mentionner Internet ni le
multimédia : voir par exemple à ce sujet le rapport intitulé
« Le projet de développement local dans la mutation économique er
culturelle des sociétés industrialisées », paru en août 1987 sous
la direction de François Plassard (EPSILON/ALDEA). Notons que François
Plassard, à l'époque chargé d'études au CESTA (Centre d'Étude des
Systèmes et des Technologies Avancées), actuellement enseignant à
l'Université de Lyon 2, a été pour une bonne part à l'origine de la
réflexion sur le SEL en France, et se référait déjà à l'époque aux
travaux de René Passet.
Conclusion : quel bilan de ces expériences ?
Pour conclure en revenant sur ce qui a motivé votre réponse, il nous
a semblé vraiment dommage de ne trouver aucun document sur le site de
Parthenay, et notamment dans les pages consacrées à la candidature
présentée au Régionales, présentant un quelconque bilan de cette
expérience. Tous les documents sont en effet datés d'avant les
élections. Il aurait été intéressant de connaître votre analyse du taux
d'abstention par exemple (42.79% dans le département, alors que la
moyenne sur la région était de 29.71%), puisque la candidature de votre
liste se proposait justement comme palliatif aux taux d'absention
enregistrés actuellement sur tout le territoire national lors de l'une
ou l'autre des élections.
Il nous semblerait également intéressant que tout le monde puisse
disposer d'un bilan chiffré de l'expérience de Parthenay, en termes de
nombre de personnes connectées, classées suivant différentes catégories,
mais aussi en termes d'usages qui sont faits des possibilités de connexion
offertes par la ville de Parthenay. Ainsi, nous pourrions avoir quelques
indicateurs permettant de juger s'il y a réellement appropriation des
nouvelles technologies et des usages citoyens qu'elles permettent.
Meryem Marzouki
IRIS
8 juin 1998