2. TITRE II - DE LA LIBERTÉ DE COMMUNICATION EN LIGNE
2.1. CHAPITRE Ier - Les communications en ligne
Article 10
Analyse :
Article de principe, qui ne prendrait toute sa force que dans une loi spécifiquement consacrée à la liberté de communication en ligne, en écho à la loi sur la liberté de communication (audiovisuelle) et à la loi sur la presse.
Article 11
Analyse :
Cet article considère la communication en ligne comme un sous-ensemble de la communication audiovisuelle. Iris défend au contraire l'idée que la communication en ligne a ses propres spécificités, et ne doit pas être définie en référence à la communication audiovisuelle. Par ailleurs, la spécification proposée (« [transmission] sur demande individuelle ») n'est pas adéquate : la télévision ou la vidéo à la demande répondent par exemple à une telle définition. Enfin, si l'article 11 limite l'application de la loi n°86-1067 aux services de communication en ligne (limitation au chapitre VI de son titre II, ainsi qu'à ses articles 17 et 41-4), il demeure possible de considérer que l'ensemble de la loi n°86-1067 peut s'appliquer à la communication en ligne, en ce qu'elle n'est définie que comme un sous-ensemble de la communication audiovisuelle. Cette approche laisse demeurer un flou artistique sur une question qui a déjà fait l'objet d'enjeux politiques, voire politiciens, par le passé. Elle ne nous semble donc pas du tout souhaitable, et à tout le moins incohérente.
Proposition de modification :
Ainsi que proposé dans les commentaires généraux d'Iris, la liberté de communication en ligne devrait faire l'objet d'une proposition de loi spécifique. Les dispositions du chapitre VI du titre II de la loi n°86-1067 devraient être transférées dans cette loi, sans que soient excluent la reprise et/ou l'adaptation d'autres dispositions, lorsqu'elles sont pertinentes dans le cas de la communication en ligne.
Article 12
Analyse :
L'article 12 vise à étendre la compétence du CSA aux prolongements en ligne de programmes audiovisuels. Si cette disposition fait sens, elle n'en pose pas moins le problème de l'évaluation de la limite, sur le site d'une radio ou d'une télévision, entre les contenus en ligne directement liés à un programme audiovisuel et les autres contenus en ligne de ce site.
Article 13
Analyse :
Cet article instaure le droit de réponse sur les services de communication en ligne et précise les conditions de son exercice. Iris soutient le principe de l'existence du droit de réponse sur les services de communication en ligne, mais la rédaction actuelle de l'article 13 pose un problème de fond, qui d'ailleurs argumente en faveur de nos analyse et proposition relatives à l'article 11 de l'avant-projet.
En accordant le bénéfice du droit de réponse à « toute personne nommée ou désignée », l'article 13 instaure en effet le droit de réponse dans les conditions de la presse écrite (loi de 1881 sur la liberté de la presse) et non dans les conditions de la loi n°82-652 sur la communication audiovisuelle, à savoir : « toute personne physique ou morale dispose d'un droit de réponse dans le cas où les imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation auraient été diffusées dans le cadre d'une activité de communication audiovisuelle ». Cela est bien incohérent lorsque la communication en ligne est définie comme un sous-ensemble de la communication audiovisuelle.
En fait, des conditions différentes pour le bénéfice du droit de réponse se justifient à la fois par la spécificité du support (notamment des considérations d'espace disponible), par l'impact du mode de communication (notamment la taille et la diversité du public atteint), la périodicité, la responsabilité éditoriale en cascade (et donc la relecture assurée par des professionnels de la communication avant diffusion) ainsi que le pluralisme des offres de communication. Le caractère spécifique de la communication en ligne selon chacun de ces critères étant avéré (considérant notamment les immenses potentialités d'autopublication, sans aucune commune mesure avec la presse écrite ou l'audiovisuel), il convient de définir des conditions de bénéfice du droit de réponse qui soient à la fois moins larges que celles de la presse écrite dans l'état actuel, qui pourraient étouffer le droit de critique dans la communication en ligne, et moins restrictives que celles de la communication audiovisuelle, qui sont proches des conditions de diffamation ou d'injure publiques.
Les conditions d'exercice du droit de réponse sont adaptées de celles de la loi n°82-652 sur la communication audiovisuelle.
En matière de délai pour l'exercice du droit de réponse, l'article 13 introduit toutefois une spécificité de la communication en ligne tant par rapport à la communication audiovisuelle (loi n°82-652) que par rapport à la presse (loi du 29 juillet 1881). Cette condition établit en effet implicitement que la publication dans le cadre de la communication en ligne est une publication continue, puisque l'exercice du droit de réponse est possible « tant que [le message] est accessible au public » (premier alinéa) et puisque sa demande « doit être présentée au plus tard dans un délai de trois mois suivant celui de la cessation de la mise à disposition du public du message concernant la mise en cause qui la fonde » (deuxième alinéa). Cela renforce notre position exprimée dans nos commentaires généraux au sujet du silence de cet avant-projet de loi sur la prescription des infractions commises dans le cadre de la communication en ligne, et sur la nécessité d'une réflexion approfondie à ce sujet, avant de légiférer sur cette question.
Proposition de modification :
- Limiter la possibilité de droit de réponse aux cas où la personne physique ou morale est nommée ou désignée avec des imputations inexactes ou susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation.
- Dans l'attente d'une nécessaire réflexion globale sur la prescription des infractions commises dans le cadre de la communication en ligne, tenant notamment compte de la question de l'accès aux archives en ligne, la position la plus raisonnable en matière de délai d'exercice du droit de réponse reste l'harmonisation de ce délai pour tous les supports, dans l'immédiat et sans préjuger de modifications ultérieures plus globales.
2.2. CHAPITRE II - La responsabilité des opérateurs
Article 14
Analyse :
L'article comporte plusieurs mesures capitales sur la responsabilité des intermédiaires techniques et, par conséquent, sur la liberté de communication en ligne.
D'abord, le I de l'article 14 revient aux dispositions adoptées par les parlementaires dans le cadre de la loi n°2000-719 modifiant la loi n°86-1067, et censurées par le Conseil constitutionnel. La nouvelle rédaction consiste, par rapport au texte précédemment voté : d'une part à s'affranchir des imprécisions relatives à la responsabilité pénale du fournisseur d'hébergement, ces imprécisions ayant motivé la censure, par une suppression pure et simple de mention spécifique à cette responsabilité pénale ; d'autre part à étendre la responsabilité civile des fournisseurs d'hébergement au cas où, « ayant effectivement connaissance [du] caractère manifestement illicite [d'un contenu qu'ils hébergent], [ils] n'ont pas agi promptement pour le retirer ou en rendre l'accès impossible ».
Le procédé est aussi sournois qu'affligeant, et ne brille ni par sa créativité, ni par son courage politique. Sur le fond, le résultat est une inacceptable régression.
Contrairement à ce qu'ont déclaré certains commentateurs peu avertis, cette rédaction ne signifie aucunement que le fournisseur d'hébergement est affranchi de toute responsabilité pénale. Bien au contraire, la rédaction de l'article 43-8 utilisant une construction grammaticale restrictive (actuellement : « ne sont [...] responsables [...] que si [....] »), la modification de l'article 14 n'entraîne aucune restriction de la responsabilité pénale de l'hébergeur, applicable en vertu du droit commun.
Par ailleurs, le gouvernement ne fait aucun cas de tout le débat qui a eu lieu pendant plus d'une année lors de la discussion de la loi n°2000-719. Il se contente de reproduire mot à mot un alinéa de l'article correspondant dans la Directive européenne sur le commerce électronique. C'est d'abord inutile, car, en l'état, la loi française n'est pas en contradiction avec cette Directive. C'est ensuite et surtout une grave atteinte, une fois de plus, à la démocratie et aux droits fondamentaux. Nous l'avons dit sur tous les tons, avec l'argumentation la plus complète, nous le répéterons tant que cela sera nécessaire : la notion de « manifestement illicite » est trop vague pour avoir un sens quelconque, et seule l'autorité judiciaire est habilitée, dans une démocratie, à dire le droit, jugeant du légal et de l'illégal. La méthode qui consiste à légitimer, par la loi, le rapport de force qui seul décidera l'hébergeur à agir pour supprimer ou non l'accès à un contenu, c'est-à-dire à porter atteinte à une liberté constitutionnelle, est une méthode profondément antidémocratique.
Le II de l'article 14 transpose, par un article 43-8-1 à insérer dans la loi n°86-1067, une autre disposition de la Directive européenne sur le commerce électronique, affranchissant les fournisseurs d'accès et d'hébergement d'une obligation générale de surveillance. Iris soutiendrait cette disposition, si le gouvernement ne l'avait pas assortie, de son propre chef, d'un appel à la délation. Le droit commun, qui impose à tous de dénoncer les crimes (et non pas les « activités ou informations illicites »), reste amplement suffisant.
Le II de l'article 14 précise ensuite, dans un un article 43-8-2 à insérer dans la loi n°86-1067,les pouvoirs du juge des référés pour faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication en ligne. Là encore, Iris soutiendrait cette disposition (cohérente avec l'actuel article 43-8 de la loi n°86-1067), si elle ne comportait qu'une injonction au fournisseur d'hébergement (et non également au fournisseur d'accès), et si elle ne concernait précisément que les contenus hébergés par le fournisseur d'hébergement en question. En effet, dans sa rédaction actuelle, le III de l'article 14 autorise l'injonction de filtrage de certains contenus par les fournisseurs d'accès, ces contenus pouvant être hébergés en France ou partout ailleurs dans le monde. Le jugement rendu dans l'affaire Yahoo! ne constituerait donc plus une simple jurisprudence, contestable et contestée, mais une disposition inscrite dans la loi française.
Cette analyse nous amène à une proposition de ré-écriture en profondeur de l'article 14. Notre proposition consiste à supprimer le I. de cet article (la rédaction actuelle de l'article 43-8 de la loi n°86-1067 nous satisfait pleinement), et à modifier le II. de ce même article.
Proposition de modification:
- Conserver en l'état l'article 43-8 de la loi n°86-1067 (supprimer le I. de l'article 14 de l'avant-projet de loi)
- Limiter le nouvel article 43-8-1 à l'absence d'obligation générale de surveillance pour les fournisseurs d'accès et d'hébergement. Supprimer l'appel à la délation.
- Exclure les fournisseurs d'accès du champ du nouvel article 43-8-2. Limiter les injonctions faites aux fournisseurs d'hébergement à des actions sur les contenus qu'ils hébergent.
Article 15
Analyse :
Cet article étend d'abord aux contenus en ligne les dispositions de l'article L.332-1 du code de la propriété intellectuelle prévues en matière de saisie-contrefaçon. Comme dans le cas du II. de l'article 14, Iris soutiendrait cette précision des pouvoirs du président du tribunal de grande instance s'ils excluaient explicitement l'injonction de filtrage systématique (cf. affaire Yahoo! et analyse de l'article précédent).
Les dispositions de l'article L.332-1 sont prévues à la demande d'un auteur ou de ses ayants droit. L'article 15 prévoit l'extension de cette demande aux titulaires de droits voisins. Là encore, on s'étonne du procédé : le gouvernement utilise la loi sur la société de l'information pour modifier le code de la propriété intellectuelle par des changements non anodins. Iris estime que cette disposition est hors de propos dans cet avant-projet de loi, et qu'elle mérite un plus large débat sur le droit d'auteur et les droits voisins.
Proposition de modification :
- Exclure la possibilité d'injonction de filtrage systématique
- Retirer de cet avant-projet l'extension aux titulaires de droits voisins
Article 16
Analyse :
Cet article dégage les opérateurs de télécommunications, fournisseurs d'accès inclus, de toute responsabilité civile à raison des contenus qu'ils transmettent ou des activités de stockage automatique, intermédiaire et temporaire (« cache ») qu'ils assurent. Il s'agit là encore d'une transposition de la Directive européenne sur le commerce électronique. Iris soutiendrait cette disposition, moyennant une modification de la proposition de nouvel article L.32-3-2 du code des postes et télécommunications. Cette modification demandée est justifiée par les mêmes raisons que celles invoquées pour la suppression du I. de l'article 14.
La modification préconisée par Iris pourrait consister à remplacer la mention « dès qu'il a effectivement connaissance du fait que les contenus transmis initialement ont été retirés du réseau ou du fait que l'accès aux contenus transmis initialement a été rendu impossible, ou du fait que les autorités judiciaires ont ordonné de retirer du réseau les contenus transmis initialement ou d'en rendre l'accès impossible. » par la mention « dès qu'il a effectivement connaissance du fait que les autorités judiciaires ont ordonné de retirer du réseau les contenus transmis initialement ou d'en rendre l'accès impossible. ».
Toutefois, pour des raisons de simplicité et d'efficacité, il nous semble préférable de supprimer carrément cette mention, pour la remplacer par une obligation générale de rafraîchissement fréquent du « cache », par exemple avec une périodicité maximale de 48 heures, sachant que ces rafraîchissements sont de toutes façons effectués, de manière automatique, afin d'assurer les mises à jour des informations contenues dans les « caches ».
Proposition de modification :
- Dans le nouvel article L.32-3-2, conditionner l'absence de responsabilité civile et pénale à l'obligation de rafraîchissement automatique des contenus ainsi stockés avec une périodicité maximale de 48 heures.
2.3. CHAPITRE III - L'effacement des données relatives aux communications
Article 17
Analyse :
L'article 17 précise, par un article L.32-3-3 à insérer dans le code des postes et télécommunications, les obligations des opérateurs de télécommunications (fournisseurs d'accès inclus) en matière d'effacement, de conservation, de traitement et/ou de transmission à des tiers des données techniques en leur possession. Cet article est donc capital pour la protection de la vie privée.
Le I. de l'article 32-3-3 est une transposition d'une Directive européenne sur les télécommunications. Il indique que les opérateurs « sont tenus d'effacer ou de rendre anonyme toute donnée technique relative à une communication dès que celle-ci est achevée. ». Iris soutient cette disposition.
Le II. et le III. de ce même article posent en revanche des problèmes très importants, bien que le IV. implique que la conservation et le traitement autorisés pour les données restent soumis à la loi Informatique et libertés, et que les données techniques concernées sont limitées, de sorte que ces données « portent exclusivement sur l'identification des personnes utilisatrices des services fournis par l'opérateur et sur les caractéristiques techniques des communications assurées par ce dernier. », et « ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications. ». Notons que ces formules excluent de la conservation et du traitement (outre bien entendu le contenu des correspondances privées) les données de navigation (consultation de sites web), et Iris se félicite particulièrement de voir l'une de ses revendications ainsi satisfaite. Toutefois, elles n'excluent pas les données relatives à l'identité des personnes impliquées dans une communication, y compris une communication privée.
Le III. autorise les opérateurs de télécommunications à utiliser et conserver certaines données pour des besoins de facturation et de paiement, ainsi que pour d'éventuels problèmes de contentieux, jusqu'à prescription. Cette disposition serait tout à fait acceptable si les données concernées étaient précisées dans la loi, et non en référence à un décret en Conseil d'État, même pris après avis de la CNIL. En revanche, la possibilité de « transmettre à des tiers » ces données est inacceptable, d'autant qu'on ne sait ni de quelles catégories de données il s'agit, ni de quels tiers il est question, ni dans quel cas « échéant » ces données peuvent être transmises. Le III. dispose également que les opérateurs peuvent effectuer un traitement des données en vue de commercialiser leurs propres services de télécommunications, sous réserve du consentement exprès de leurs usagers. Ce consentement exprès est une garantie minimale, étant donné d'une part le manque d'information et d'éducation des usagers en cette matière, et d'autre part les possibilités de duplication et d'interconnexion de fichiers. Iris préférerait que les données relatives aux usagers soient interdites de commercialisation.
Enfin, le II. de l'article 32-3-3 prévoit la possibilité, en dépit du I. du même article, de conserver jusqu'à un an toute donnée technique relative à une communication (y compris donc les personnes impliquées, en tant qu'expéditrices ou destinataires d'une communication privée). Bien que cette conservation ait pour unique but éventuel leur mise à la disposition de l'autorité judiciaire, on ne peut ni comprendre ni accepter que la teneur des données et leur temps de conservation soient déterminées par décret et non par la loi. D'autre part, on ne sait pas sur quel critère cette conservation pourrait être ordonnée pour utilisation ultérieure « en tant que de besoin ». La seule conclusion possible est que la conservation de toutes les données concernant tous les usagers devra être systématique (d'autant qu'il s'agit de répondre non seulement à des besoins de poursuite d'infractions pénales, mais aussi de leur simple recherche), faisant du I. de cet article une pure clause de style. Iris n'acceptera évidemment pas une telle disposition.
Proposition de modification :
- Limiter les exceptions au principe d'effacement de toute donnée relative à une communication aux besoins de facturation. Par conséquent, limiter strictement les données ainsi conservées aux données d'identification de l'usager et de connexion de cet usager aux services de son fournisseur d'accès.
- Exclure la possibilité de transmettre ces données à des tiers
- Exclure la possibilité de traiter ces données en vue de leur commercialisation.
Article 18
Analyse :
L'article 18 établit les sanctions applicables à un opérateur de télécommunication (fournisseur d'accès inclus) ou à ses agents en cas d'infraction aux dispositions de l'article 17.
Proposition de modification :
Celles découlant naturellement des modifications demandées de l'article 17 (mise en cohérence).
Article 19
Analyse :
Cet article fixe à un an le délai de prescription s'appliquant tant aux opérateurs de télécommunications qu'aux usagers de leurs services en cas de défaut de paiement des prestations. Considérant le III. de l'article 17, Iris insiste sur la nécessité de définir de faon très précise et limitative dans la loi la nature des données de facturation qui devront être ainsi conservées.