SÉANCE DU 28 OCTOBRE 1997 PRÉVENTION ET RÉPRESSION |
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Discussion d'un projet de loi Page 2/4 |
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M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois. M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les modalités juridiques du texte aujourd'hui soumis à notre délibération ont été parfaitement et complètement exposées par les rapporteurs. Leurs observations, leurs remarques, ont fait l'objet, au sein de la commission, d'une très large approbation. Sur un sujet d'une telle gravité et d'une telle difficulté, la consultation publique de personnalités éminentes et d'une compétence éprouvée a considérablement aidé notre réflexion. Je voudrais redire à tous ceux, psychiatres, magistrats, enseignants, qui ont bien voulu s'associer à nos travaux, ainsi qu'à ce père de famille qui savait, hélas, de quoi il parlait, la reconnaissance que nous leur devons. Le but du législateur en ce domaine est, sans doute, de prévoir la répression nécessaire de crimes ou de délits particulièrement odieux. Mais, nous en sommes tous persuadés, il ne saurait se borner à cela. Il doit aussi assurer une double protection en empêchant une récidive éventuelle : la protection des victimes, mais aussi celle du coupable contre lui-même. Madame le garde des sceaux, nous avons estimé que, pour l'essentiel, votre texte était bon. Vous avez repris, en ses grandes lignes, le projet établi par votre prédécesseur et vous nous proposez une solution satisfaisante sur un point particulièrement délicat. Le problème est clair à poser, mais il est difficile à résoudre et peut-être allons-nous le faire en commun. Que doit-il se passer lorsque le délinquant a accompli la peine encourue ? Le suivi sociojudiciaire tel que notre rapporteur vous l'a exposé nous paraît constituer une solution acceptable, du point de vue tant du droit que de l'éthique médicale de la protection nécessaire de la victime et de la tentative de réhabilitation du coupable. Accessoirement, je vous dirai que je fais miennes la préoccupation et la réserve que M. le rapporteur a exprimées sur deux points : la préoccupation - vous y avez partiellement répondu - porte sur les moyens considérables, relevant sans doute de votre budget et de celui du secrétaire d'Etat à la santé, qui seront nécessaires à la mise en oeuvre de la loi si nous voulons qu'elle entre en vigueur telle qu'elle doit l'être ; la réserve - mais ce n'est pas un très grand sujet d'inquiétude, compte tenu de votre réaction - porte sur une partie du dispositif qui nous est soumis. Je vous dirai que nous n'avons pas souhaité occulter l'importance de ce dont nous délibérons aujourd'hui par des dispositions secondaires et inutiles concernant ce qu'il est convenu d'appeler le bizutage. Le code pénal comporte toutes les dispositions nécessaires pour réprimer en tant que de besoin ce que ces pratiques peuvent avoir parfois d'abusif et de répréhensible. Mais, d'une manière plus générale - je laisse à M. le rapporteur le soin de préciser à nouveau au cours du débat les modifications, importantes parfois, qui devraient être apportées -, je souhaite, en cet instant, m'interroger sur ce qui a pu conduire notre société à ces pratiques que nous réprouvons. Je vois au moins deux raisons qui, jusqu'à une date assez récente, ont soit freiné, soit gêné les répressions nécessaires. La première est le laxisme d'une certaine intelligentsia qui croyait bon de protester contre les sanctions infligées à des pédophiles, justifiant de tels actes par un droit de l'enfant à la sexualité. Pourquoi se serait-il senti coupable, ce pédophile découvert au bout de vingt ans de pratiques telles qu'elles auront conduit au suicide l'une des victimes, s'il a pu lire, accompagnée de la signature de Jean-Paul Sartre, telle motion approuvant en fait ce qui était devenu pour lui une sorte d'habitude honteuse ? Au laxisme s'est ajouté le poids d'un certain silence : l'éducation nationale, le milieu éducatif, le corps médical, les églises même, ont trop longtemps préféré dissimuler des agissements coupables plutôt que de dénoncer à la justice tel ou tel de leurs membres dont la déviance sexuelle était pourtant connue. Aujourd'hui, les mentalités ont évolué. Sommes-nous pour autant en présence, comme certains de ceux qui ont participé à nos travaux nous l'ont dit, d'un véritable fléau ? Je ne le crois pas et je ne veux pas le croire. Fondamentalement, notre société est saine car elle repose sur l'exigence du respect de la dignité humaine, qui s'applique, au premier chef, aux enfants. Nous devons nous garder de toute psychose, et je m'inquiète lorsque des enseignants en viennent à dire qu'ils n'osent plus se trouver seuls avec un enfant. C'est pourquoi, dans le signalement des affaires, il appartient à tous ceux qui en ont la charge de faire preuve de discernement et d'une grande prudence car certaines dénonciations peuvent se révéler, en définitive, des affabulations qui traduiraient des fantasmes. Si de telles accusations aboutissent à des procès, soit en correctionnelle soit en cour d'assises, il ne faudrait pas que certaines mesures destinées à protéger l'enfant du trouble inévitable qui accompagne les interrogatoires répétitifs diminuent les droits de la défense, qui, en ce domaine comme en tout autre, doivent être strictement protégés. Aujourd'hui, je me réjouis que nous nous retrouvions non pas tellement sur une répression plus forte des abus sexuels, mais sur une prévention considérablement améliorée de la récidive. Cette répression et ses dispositions nouvelles s'inscrivent dans le droit-fil du nouveau code pénal, que, pendant quatre ans - et c'est l'une de nos fiertés -, nous avons élaboré ensemble par-delà les divergences de majorité entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Je l'ai souvent dit, le code pénal n'est pas un simple recueil d'incriminations et de sanctions que nous décidons en fonction de la gravité des infractions. Il est d'abord surtout un symbole et, comme le disait notre regretté ami Marcel Rudloff dont nous sommes nombreux à avoir gardé le souvenir, c'est la « véritable table de la loi, réceptacle des valeurs fondamentales de notre société, de la morale collective ». Parmi ces valeurs fondamentales, nous l'affirmons aujourd'hui et de façon unanime, figure la protection des personnes les plus vulnérables et particulièrement de nos enfants mineurs. C'est d'ailleurs au nom de la protection de l'enfance et plus généralement de la famille que j'ai publiquement pris parti contre la dépénalisation du cannabis. Si, demain, nous tolérions plus ou moins ouvertement l'usage de certaines drogues, nous nous trouverions - et les enfants en seraient victimes - devant la même difficulté que celle qu'ont rencontrée les Pays-Bas. Les trafiquants, nous le savons tous, ignorent la distinction entre drogues « douces » et drogues « dures » : pour eux, l'essentiel c'est de vendre. Je ferai les mêmes remarques à propos du code des codes : le code civil, qui, lui aussi, renferme les règles essentielles de notre vie commune, comme, par exemple, l'institution du mariage. Va-t-on demain remettre en cause la cohérence de notre système de valeurs par la création de toutes pièces d'un contrat d'union civile et sociale qui serait, en quelque sorte, un sous-mariage ? Loin de moi la tentation de confondre droit et morale. Mon souci est, tout au contraire, d'éviter la confusion des genres. Chacun, sous réserve de ne pas nuire à autrui, peut vivre comme il l'entend, mais qu'on ne demande pas au législateur de légitimer, de légaliser, le concubinage hétérosexuel, homosexuel, et - pourquoi pas ? - l'union entre frères et soeurs. Peut-on en effet légiférer sur ce qui est hors norme ? Face aux drames qui frappent nos enfants, qu'ils soient victimes ou délinquants, il est parfois de bon ton de déclarer que, si de tels drames se produisent, c'est, en définitive, parce que notre société, les individus eux-mêmes, ont perdu leurs repères ou leurs références. Tâchons au moins que le législateur donne lui-même l'exemple et marque, par une attitude cohérente, son attachement profond aux valeurs fondamentales de notre société. Je pense - et je m'en réjouis - que c'est ce que nous faisons aujourd'hui. (Applaudissements.) M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants : Groupe du Rassemblement pour la République, 58 minutes ; Groupe socialiste, 49 minutes ; Groupe de l'Union centriste, 42 minutes ; Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ; Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ; Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes ; Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Darniche. M. Philippe Darniche. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, dans notre société, la protection des enfants demeure une absolue priorité. La révélation répétée d'épouvantables crimes sexuels et la découverte de réseaux de pédophilie suscitent la révolte. Il n'est pas une mère ou un père qui, dans sa douleur, n'ait éprouvé l'envie de venger ses enfants en s'en prenant au meurtrier. Notre société ressent le besoin, fort compréhensible, d'agir par tous les moyens pour que de tels drames ne se reproduisent pas. On ne peut que se réjouir de l'intention du législateur d'agir sur ce sujet dramatique. Prenons pourtant garde : s'il faut, avant tout, protéger nos enfants, il convient également d'éviter de trop dériver sur la fausse piste d'un soin médical efficace à 100 % et qui serait, aux yeux de nos concitoyens, la panacée. C'est pourquoi, madame la ministre, votre projet de loi, qui s'inspire de celui qu'avait préparé votre prédécesseur, procède d'une volonté louable de prévenir et réprimer les infractions sexuelles, viols ou actes de pédophilie tout en protégeant les mineurs victimes. Il reprend largement, et je m'en félicite, l'architecture générale du projet qui avait été adopté en Conseil des ministres le 29 janvier 1997, sous le précédent gouvernement. Mais, avant tout commentaire, quelques chiffres s'imposent ; ils sont éloquents. En 1995, en France, 5 500 cas d'abus sexuel sur enfants ont été recensés. En dix ans, le nombre annuel de délits et crimes sexuels a augmenté de 25 %, essentiellement à cause des agresseurs d'enfants. Près de 5 000 personnes sont actuellement incarcérées dans notre pays pour des infractions aux moeurs, soit 13 % de la population carcérale, dont près de 3 000 pour viol ! Par ailleurs, le nombre de récidives ne cesse de croître. On sait en effet que, dans les quatre années qui suivent leur libération, 4 % des délinquants sexuels vont immanquablement récidiver, soit une trentaine au minimum, ce qui est beaucoup trop important. Est-il acceptable de penser que les futures victimes, elles, seraient condamnées à mort par avance ? Votre texte, madame la ministre, bien que novateur à de nombreux égards, est à mon sens assez peu répressif vis-à-vis des violeurs et assassins d'enfants, car une thérapie, même bien choisie et bien suivie, ne peut suffire à réduire de façon sensible la délinquance sexuelle. Avant d'exprimer, de manière constructive, un certain nombre de critiques, je tiens à vous faire savoir que nombre de dispositions de ce projet de loi vont dans le bon sens. Je citerai d'abord celle qui permet, au moment du jugement, le prononcé d'une peine complémentaire de « suivi socio-judiciaire » afin de surveiller les auteurs d'infractions sexuelles à leur sortie de prison. Mais il conviendrait, en la matière, d'aller un peu plus loin. De même, la disposition qui assujettit le condamné à diverses mesures visant à prévenir toute récidive de sa part, notamment, si cela se révèle utile, à une « obligation de suivre un traitement médical », va dans la bonne direction. Le fait que l'inobservation du « suivi socio-judiciaire » puisse, sur décision du juge de l'application des peines, donner lieu à un emprisonnement dont la durée maximale est fixée, lors de la condamnation par le tribunal ou la cour d'assistes, à deux ans en cas de délit et à cinq ans en cas de crime est également essentiel à nos yeux. La répression des infractions sexuelles passe, d'abord, comme vous le soulignez, par un allongement de la prescription. Celle-ci courra dorénavant à compter de la majorité de la victime, quel que soit l'auteur de l'infraction, et non plus, comme à l'heure actuelle, à compter de la date de l'infraction, sauf si l'auteur a autorité sur la victime. Elle passe, ensuite, par la lutte efficace, donc dotée de moyens budgétaires importants, contre le « tourisme sexuel » : est ouverte la possibilité de poursuivre tout délit sexuel commis à l'étranger par un Français, sans qu'il soit exigé que ce délit soit aussi puni par la législation du pays où les faits sont commis. Elle passe, enfin - et c'est là une excellente disposition -, par la création d'un fichier national des empreintes génétiques des auteurs d'infractions sexuelles, destiné à centraliser les prélèvements de traces génétiques ainsi que les traces et empreintes génétiques des personnes condamnées pour crime ou délit sexuel. La création d'un tel fichier est en effet indispensable. J'apporte tout mon soutien à la disposition de procédure pénale - c'est la plus intéressante, voire la plus importante - visant à permettre l'enregistrement de l'audition du mineur victime d'une infraction sexuelle afin d'éviter la multiplication de ses dépositions. Je crois également utile de faire maintenant apparaître certaines limites de votre projet. A ce titre, je souhaite que les efforts de réflexion et de proposition entrepris par la commission et rapportés par notre excellent collègue M. Jolibois soient soutenus et votés par une forte majorité des membres de notre assemblée. Il m'apparaît nécessaire, en effet, d'une part, de renforcer l'efficacité du « suivi socio-judiciaire » en portant à dix ans, au lieu de cinq, en cas de délit, et à vingt ans, au lieu de dix, en cas de crime, la durée maximale de cette mesure, d'autre part, de fixer à cinq ans l'emprisonnement susceptible d'être prononcé pour sanctionner son inobservation, qu'il s'agisse d'un crime ou d'un délit. La commission est également tout à fait fondée à souhaiter que, autant se faire que peut, un délinquant soit incité à suivre un traitement médical en prison. Tout condamné qui refuserait de se soigner ne pourrait plus, dès lors, bénéficier de réductions de peine supplémentaires sans l'avis de la commission d'application des peines. Il est tout aussi indispensable de rendre plus strictes les conditions d'octroi des réductions de peine supplémentaires aux récidivistes en les subordonnant à l'avis conforme de cette même commission d'application des peines. Il convient également d'assurer en continu, à chaque étape de la procédure, la présence d'un avocat auprès de l'enfant victime d'une infraction sexuelle. De même, il est nécessaire d'assurer efficacement la confidentialité des enregistrements audiovisuels, notamment par l'interdiction de leur diffusion et en prévoyant leur destruction cinq années après le procès. Il me semble aller de soi que les soins dispensés à tous les mineurs victimes de sévices sexuels doivent être remboursés. Il convient aussi de prévoir l'information des offreurs de sites Internet - et c'est le sens de plusieurs amendements cosignés par mes collègues non inscrits et membres du rassemblement parlementaire des sénateurs pour la famille et l'enfance - de la diffusion par leur prestataire de service « hébergeur » d'images à caractère pédophile ou pornographique. En l'occurrence, j'irai plus loin que la commission en proposant, dans un article additionnel après l'article 15, non pas seulement que des agents du CSA soient habilités et qu'une copie de leurs procès-verbaux soient adressée à l'offreur de site, mais que les prestataires de services, lorsqu'ils « transmettent une image ou une représentation de nature pomographique d'un mineur ou tendent à inciter des personnes à commettre les délits de proxénétisme ou de corruption de mineurs soient punis de 500 000 francs d'amende ». Par ailleurs, n'est-il pas anormal qu'existe actuellement dans notre droit une disparité de traitement de l'agresseur selon que la victime est âgée de plus ou de moins de quinze ans ? C'est ce qui m'a amené à déposer un amendement avant l'article 7. J'affirme ici en toute conscience qu'aucune clémence n'est acceptable pour les crimes d'enfants quels qu'ils soient. C'est pourquoi je demande que soit qualifiées de viols les agressions sexuelles sur des mineurs de quinze ans et qu'elles soient, par conséquent, considérées comme des crimes, avec le régime des peines applicables en pareil cas : vingt ans de réclusion criminelle, trente ans en cas de mort de la victime et perpétuité lorsque la mort est précédée, accompagnée ou suivie de tortures ou d'actes de barbarie. Enfin, madame le garde des sceaux, je serai réservé au sujet de votre projet de création d'un délit spécial de « bizutage », étendu non seulement aux réunions et manifestations en milieu scolaire ou éducatif, mais également aux manifestations et réunions liées aux milieux sportif ou associatif. En effet, comme l'a indiqué M. le rapporteur, le droit actuel permet déjà parfaitement de réprimer ces actes répréhensibles. Pour conclure, madame le garde des sceaux, je souhaiterais porter à votre connaissance un cas d'inceste qui me paraît mériter votre attention. Il n'est malheureusement pas rare de constater que les déboires administratifs succèdent trop souvent aux douleurs profondes de la tragédie familiale qu'est l'inceste. C'est le cas, exemplaire en tous points, d'une mère de famille qui a dénoncé son mari pour le viol de sa fille mineure. Ce dernier a été condamné à dix années de réclusion criminelle. Pendant son incarcération, son épouse - qui n'a pas divorcé - continuait de percevoir le salaire de son mari jusqu'à la date de son départ à la retraite. Or elle apprend que, en vertu de l'article 58 du décret n° 65-77 du 9 septembre 1965 relatif au régime de retraite des agents des collectivités locales, non seulement son traitement sera diminué de moitié en raison de la condamnation pénale de son mari, mais elle est également obligée de rembourser le trop-perçu au titre des échéances versées à tort à son époux depuis son incarcération. Voilà une situation qui démontre que le courage de cette femme la pénalise triplement ! Cette famille paye, en effet, le prix de la souffrance psychologique, morale et matérielle. Je souhaiterais donc savoir si vous entendez prendre des mesures pour supprimer les dispositions de cet article en cas d'infraction sexuelle ou d'inceste. En conclusion et malgré les quelques réserves que je viens d'évoquer, les sénateurs non inscrits voteront ce texte dans leur grande majorité, car il s'agit pour le législateur d'éviter la récidive criminelle chez les délinquants sexuels et les « violeurs d'anges », à défaut de pouvoir jamais la proscrire totalement. Rappelons-nous en cet instant que, en mars 1997, quatre jeunes filles d'Outreau, près de Boulogne-sur-Mer, Amélie, Peggy, Audrey et Isabelle furent violées, puis étranglées sur la plage Sainte-Cécile par deux frères tous deux récidivistes. Sans être pessimiste par nature, madame le garde des sceaux, force m'est de constater qu'aucune réforme de la justice, aussi séduisante soit-elle, ne rendra la vie à ces quatre adolescentes innocentes. (Applaudissements.) M. le président. La parole est à M. About. M. Nicolas About. Madame le garde des sceaux, reprenant à juste titre l'initiative du précédent gouvernement, vous nous proposez aujourd'hui de renforcer les sanctions relatives aux infractions sexuelles commises sur les mineurs et de prévenir la récidive des délinquants sexuels. Les nombreux débats qui ont agité nos deux assemblées autour de la question du traitement à réserver aux délinquants sexuels ne sauraient pas nous faire oublier que c'est d'abord et avant tout l'enfant qui doit se trouver au coeur de nos préoccupations. Notre mission première consiste à libérer la parole, celle des adultes, bien sûr, au sein des familles ou des institutions, mais aussi celle des enfants. Trop longtemps, la parole des enfants a été mise en doute : l'infans était celui qui ne parlait pas ou dont la parole ne comptait pas. Aujourd'hui, s'il faut reprendre l'initiative, c'est d'abord pour envoyer un signal très fort à destination des enfants qui souffrent ou ont souffert de sévices sexuels et que la peur ou la honte paralyse. A ces enfants, nous devons dire solennellement que la justice n'aura plus aucune indulgence pour ceux qui commettent le meurtre de leur enfance. Notre deuxième mission est de protéger l'enfant lorsqu'il a eu le courage de témoigner contre son agresseur. Nous le savons, dans près de 80 % des cas, le mineur victime d'abus sexuels connaît son agresseur : ce dernier fait partie de ses proches, de ses voisins, quand il n'est pas membre de sa propre famille. Quand un enfant prend le risque de révéler les violences sexuelles qu'il a subies, malgré l'onde de choc familiale que sa révélation va provoquer, il est de notre devoir de lui assurer un soutien psychologique durant son parcours, souvent long et pénible, au sein de l'institution judiciaire. C'est pourquoi je ne peux que souscrire à toutes les mesures d'accompagnement qui pourront être prises à l'égard de l'enfant reconnu victime. Je regrette néanmoins qu'aucune mesure ne soit prévue pour encourager, par une prise en charge adaptée, les thérapies familiales qui sont pourtant indispensables à l'équilibre retrouvé de la famille et, par conséquent, de l'enfant. A l'immense sentiment de culpabilité qui affecte les enfants victimes d'abus sexuels, il ne faut pas ajouter celui de l'explosion familiale. Il importe également que l'enfant n'ait pas le sentiment d'avoir été trompé deux fois : une première fois par son agresseur, une seconde fois par la société dans sa façon de rendre la justice. C'est pourquoi il me paraît nécessaire que les cassettes vidéo des auditions de l'enfant soient non seulement protégées par des scellés durant l'instruction mais encore définitivement détruites à l'issue du procès. Comment des enfants qui ont parfois servi à tourner des films pornographiques pour des pédophiles pourraient-ils comprendre que des images recueillant leurs confidences soient encore en circulation et exposées à des adultes ? Par respect pour l'intimité de l'enfant et du futur adulte, il convient de détruire ces enregistrements une fois le procès terminé. Notre troisième mission, lorsque des enfants ont parlé, est de prendre les précautions nécessaires pour les préserver de la récidive. Toutes les statistiques le montrent, les risques de réitération de l'acte sont deux fois plus grands chez les pédophiles que chez les autres délinquants sexuels. Cela signifie que le passage à l'acte, loin de calmer les pulsions du pédophile, constitue une sorte d'excitant. Un peu comme un toxicomane, le pédophile condamné n'aura de cesse de combler la sensation de manque qu'aura provoquée l'abstinence imposée en prison. Dans 25 % des cas, s'il n'est pas soigné, le pédophile réitérera son acte après sa sortie de prison, confirmant le terrible adage souvent avancé par les Canadiens : « pédophile un jour, pédophile toujours ». Même si je les comprends en tant que médecin, je m'inquiète des nombreuses précautions oratoires que vous avez prises, madame le ministre, pour aborder la délicate question de l'obligation des soins : « injonction de soins », « forte incitation », « libre consentement du malade » ; tous ces termes ne font que masquer l'extrême difficulté que rencontrent la médecine et la justice pour faire accepter au délinquant sexuel des soins dont il ne veut pas. Rappelons que, sur l'ensemble des pervers sexuels condamnés, seuls 10 % sont en réalité accessibles aux soins. Que ferez-vous, madame le garde des sceaux, que ferons-nous des délinquants sexuels les plus dangereux, ceux qui refusent tous les traitements proposés, qui rejettent toutes les injonctions ou autres incitations ? Je crains, hélas ! comme vous, madame le ministre, que votre texte ne règle en rien cette grave question. En matière de prévention de la récidive, beaucoup reste à faire. Nos efforts doivent porter en priorité sur l'institution scolaire et les structures parascolaires, sans pour autant céder à la psychose qui consisterait à voir dans chaque enseignant, chaque éducateur, chaque animateur, un pédophile, même si malheureusement, il convient de rappeler que de nombreux pédophiles exercent des professions liées à l'enfance. On peut même dire qu'il y a chez eux une véritable préméditation dans le choix professionnel qu'ils opérent, dans la mesure où c'est avant tout la proximité des enfants qu'ils recherchent dans la profession qu'ils choisissent, qu'ils soient animateurs, éducateurs ou enseignants. La plus grande vigilance est donc de mise dans ces secteurs ; elle doit se manifester sur trois plans, et d'abord sur celui de la prévention. Tout doit être mis en oeuvre pour que l'effort de prévention à l'école ne repose plus sur le simple bénévolat des enseignants. La pédophilie est un phénomène trop grave pour ne pas être abordé par des spécialistes. Dans le même temps, il n'est pas normal de faire reposer sur les seuls enfants la responsabilité des signalements. Prévenir les enfants, c'est bien ; alerter les adultes, exiger d'eux qu'ils s'engagent, c'est mieux. L'effort de prévention doit donc porter prioritairement sur les adultes et les professionnels, afin de briser la loi du silence qui règne encore dans certains établissements scolaires. Il convient de rappeler à tous les éducateurs les peines qu'ils encourent en cas de non-dénonciation d'abus dont ils ont connaissance dans le cadre de leurs fonctions. Notre vigilance doit aussi se manifester au plan de la protection. Lorsque le moindre doute de pédophilie plane sur un enseignant, un éducateur ou un animateur, ou toute autre personne, le signalement aux autorités compétentes doit se faire sans tarder afin qu'une enquête soit diligentée. Sans faire de chasse aux sorcières, il convient néanmoins de prendre toutes les précautions nécessaires pour protéger les enfants. Dans cette optique, la suspension immédiate des fonctions ne doit pas être vécue comme une sanction, mais comme une simple mesure de protection des mineurs, à laquelle il ne faut pas hésiter d'avoir recours. J'ajoute que, malgré les précisions apportées par la récente circulaire de Mme le ministre délégué chargée de l'enseignement scolaire, il existe encore des aberrations dans les procédures disciplinaires au sein de l'éducation nationale. Par exemple, il est inadmissible que des enseignants soupçonnés de pédophilie soient réintégrés dans leurs fonctions au bout de quatre mois, voire mutés dans un autre établissement, alors que les enquêtes pouvant aboutir à des poursuites judiciaires ne sont pas encore achevées. A mon sens, lorsque la profession de la personne soupçonnée la met directement en contact avec des enfants, les mesures de suspension ne doivent prendre fin qu'à l'expiration de toutes les procédures d'enquête nécessaires au traitement de l'affaire et à son éventuel classement sans suite par le procureur de la République. La procédure disciplinaire doit suivre la procédure judiciaire et non se substituer à elle. Il en va de la sécurité de nos enfants. Enfin, notre vigilance doit s'exercer en matière de sanctions. Le présent projet de loi donne au tribunal la possibilité d'interdire au délinquant sexuel d'exercer certaines professions impliquant un contact avec des mineurs. Je ne peux qu'approuver une telle mesure. Je pense néanmoins qu'une telle interdiction devrait être systématique, et non pas facultative, pour tous ceux qui ont abusé d'enfants dans l'exercice de leurs fonctions d'éducateur. Par ailleurs, parmi les dispositions de ce texte visant à prévenir les infractions sexuelles sur mineurs, la répression de la pornographie enfantine est étrangement absente. Notre assemblée ne doit pourtant pas reculer devant la nécessité de réglementer certains abus de la liberté d'expression. Madame le garde des sceaux, vous proposez de renforcer la protection du jeune public en étendant la réglementation à l'ensemble des vidéogrammes. Je pense, moi, qu'il faut aller encore plus loin. J'ai récemment découvert un arrêté émanant du ministère de l'intérieur qui interdisait la vente à des mineurs d'une revue pornographique comportant des « descriptions complaisantes de scènes outrancières mettant parfois en scène des mineurs ». Si la vente de cette revue est désormais interdite aux mineurs, j'en conclus, hélas ! qu'elle est toujours autorisée aux majeurs. Permettez-moi de voir dans cet arrêté l'illustration d'un défaut majeur de notre législation : le peu de place accordé à l'enfant en tant que victime. Nous avons su protéger l'enfant en tant que public, mais nous avons négligé le fait qu'il puisse être transformé en objet sexuel. Notre législation française est ainsi faite que, si l'on punit le trafic d'images pédophiles lorsqu'elles ont vocation à être diffusées, on ne punit pas leur détention à titre privé. Or ce n'est pas seulement la diffusion d'images pédophiles qui est condamnable, c'est l'utilisation même de l'enfant à des fins pornographiques qui doit l'être ! Bien souvent, les pédophiles réalisent des images d'enfants qui ne sont diffusées que dans des cercles restreints, voire qui ne servent qu'à leur « consommation » personnelle et privée. Ils n'encourent alors aucune sanction, bien que les traumatismes subis par les enfants soient, eux, très réels. En outre, les grandes affaires de pédophilie ont récemment montré que la détention de revues ou de films à caractère pédophile, bien loin d'avoir un effet de catharsis, constitue un des éléments favorisant les comportements déviants et les passages à l'acte. Je m'inscris donc en faveur d'une sanction pénale pour la détention d'images pédophiles à titre privé. Par ailleurs, parce qu'un acte de pédophilie constitue un crime à part entière, il me paraît urgent d'inscrire dans la loi un interdit majeur concernant toute forme d'incitation à des violences sexuelles sur mineurs. Comme tout appel au meurtre ou à la violence raciale, l'apologie des actes pédophiles doit être condamnée avec la plus grande fermeté. Je propose donc d'en faire un délit pénal, puni des mêmes peines que l'incitation à la haine raciale. Je voudrais, enfin, aborder deux autres points, et d'abord ce que j'appelerai la « récidive transfrontalière ». Dans le cadre de mon mandat de délégué du Sénat à l'Assemblée du Conseil de l'Europe, je mène un combat afin que les quarante Etats qui forment le continent européen se dotent d'une législation cohérente et suffisamment dissuasive. En particulier, je suis parti du constat suivant : un criminel jugé et condamné pour des faits de pédophilie dans un Etat, s'il commet à nouveau les mêmes faits, mais dans un autre Etat, ne se trouve pas en état de récidive ; il n'encourt donc pas les peines aggravées encourues par les récidivistes. J'ai donc soumis à l'Assemblée du Conseil de l'Europe, avec mes collègues Daniel Hoeffel et Jacques Legendre, la proposition d'établir un registre placé sous l'autorité de la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg. Ce registre, où seraient consignées les condamnations à trois ans ou plus de privation de liberté, sur notification obligatoire des Etats membres du Conseil de l'Europe, ne pourrait être consulté que par les magistrats saisis de poursuites contre des faits de pédophilie. Ainsi, en cas de condamnation définitive antérieure, la juridiction saisie pourrait prononcer les peines prévues pour les récidivistes, quand bien même les faits anciens et nouveaux n'auraient pas été commis dans le même Etat. L'Europe unie ne doit pas être un espace où les criminels peuvent se jouer des incohérences juridiques pour échapper partiellement ou totalement à la sanction de leurs crimes. Prenons garde, alors, aux réactions de l'opinion publique, qui ne saurait apporter son soutien à une Europe de la libre circulation des criminels. J'espère donc, madame le garde des sceaux, que le Gouvernement français soutiendra l'initiative de l'Assemblée du Conseil de l'Europe afin que cette possibilité d'établir et de prendre en compte la récidive transfrontalière se fonde sur une convention du Conseil de l'Europe. Il est vital qu'au-delà de l'Europe communautaire tout le continent tel qu'il est représenté au Conseil de l'Europe apparaisse comme un espace de sécurité, où sont protégés les droits de l'homme, certes, mais d'abord les droits des plus vulnérables, c'est-à-dire des enfants. Je voudrais encore attirer votre attention, madame le garde des sceaux, sur un dernier aspect méconnu des violences sexuelles imposées à des enfants, voire à des bébés. Avec le regroupement familial, sont apparues en Europe, et en particulier en France, des coutumes africaines que, en tant que médecin, je ne peux que qualifier de tortures. Les associations de femmes africaines qui militent pour la prévention et la répression des excisions et des infibulations en Europe demandent que l'application des lois l'emporte sur la force des coutumes des communautés immigrées. J'attire en outre votre attention sur la situation parodoxale qu'on laisse perdurer en France. Le tribunal administratif de Lyon a rendu, le 12 juin 1996, une décision annulant une mesure d'expulsion à l'encontre d'une personne de nationalité guinéenne en situation irrégulière, au motif que ses deux fillettes auraient pu être exposées, en cas de retour dans leur pays, à des risques de mutilations sexuelles. Pour prononcer cette annulation, le tribunal administratif conclut que les coutumes en question sont constitutives des traitements dégradants et inhumains prohibés par la convention européenne des droits de l'homme. Le tribunal souligne d'ailleurs l'absence d'incrimination spécifique, s'interrogeant : « L'excision serait-elle un tabou dans notre droit ? » Ce tabou, comme celui qui a trop longtemps protégé les auteurs d'inceste, de viol, ou de toute violence sexuelle, doit être levé. J'avais envisagé le dépôt d'amendements en ce sens au projet de loi dont nous discutons. J'y ai renoncé, estimant, avec les juges administratifs, que « l'inflation des incriminations pénales trop étroites ne règle rien ». Néanmoins, le droit à la différence ne doit pas être l'alibi de l'indifférence. Comment justifier que des juges administratifs refusent l'expulsion pour protéger des fillettes d'un traitement qualifié de « dégradant et inhumain » et que, par ailleurs, les juridictions de l'ordre judiciaire montrent tant d'indulgence pour ceux qui, en France, imposent ces traitement à des fillettes, Françaises ou ayant vocation à le devenir ? M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas du tout ! M. Nicolas About. Mais si ! Personne n'a jamais fait l'objet d'une condamnation majeure sur ce point ; seules des condamnations extrêmement mineures ont été prononcées. M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et en cour d'assises à Douai ? M. Nicolas About. Quelles peines ont été prononcées ? M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je n'en sais rien, mais... M. Nicolas About. Il ne s'agit que de peines de principe, assorties de sursis. M. Robert Badinter. Ce sont des jurés qui se sont prononcé ! C'est leur conscience qui a parlé ! M. Nicolas About. Le rôle des représentants du peuple consiste aussi à dire au Gouvernement ce que le peuple pense. C'est ce que je fais aujourd'hui. M. François Autain. Il n'y a qu'à supprimer les jurés ! M. Nicolas About. Contrairement à ce que vous affirmez et qui correspond d'ailleurs à une opinion trop répandue, les instructions données par le Gouvernement aux juridictions sont indispensables dans la mesure où elles garantissent l'application de la volonté démocratiquement exprimée par les représentants du suffrage universel. C'est aussi leur droit, et pas seulement celui des jurés, de s'exprimer à ce sujet. Aussi, madame le ministre, je vous demande d'appeler l'attention des chefs de juridiction et des représentants du ministère public sur ce type de violences sexuelles infligées aux fillettes en France. Elles sont plusieurs dizaines de milliers, selon les femmes africaines elles-mêmes. Il s'agit de violences graves qui doivent être poursuivies, comme le permettent les articles 222-9 et 222-10 du nouveau code pénal, sous l'incrimination de « violences volontaires ou complicité de violences volontaires à enfants de moins de quinze ans ayant entraîné une mutilation ». Je vous laisse juge des moyens, madame le ministre : incrimination nouvelle ou poursuite sur la base des textes existants. Mais, à l'heure où nous débattons de la protection des enfants contre la violence des adultes, nous devons combattre toutes ces formes de violence, sans tabou. La protection des fillettes contre l'excision et l'infibulation ne doit pas être mentionnée seulement pour empêcher une expulsion ; elle doit être appliquée non seulement aux frontières de notre pays, mais sur tout le territoire français, quelle que soit la nationalité des fillettes exposées à cette violence. J'espère donc, madame le ministre, que vous souscrivez à ces observations et que vous serez en mesure de prendre l'engagement, devant le Sénat puis devant l'Assemblée nationale, de poursuivre la répression exemplaire de ces « coutumes » inacceptables. Information et prévention ne suffisent pas, hélas ! et, selon la phrase du moraliste français, « entre le fort et le faible, c'est la loi qui libère et la liberté qui opprime ». Donnons la protection de la loi aux fillettes qui vivent en France et lançons un message clair de solidarité à celles qui luttent en Afrique pour mettre fin à ces « coutumes » barbares. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.) (M. Paul Girod remplace M. Michel Dreyfus-Schmidt au fauteuil de la présidence.) |
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