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M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 11, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la prévention et à la répression
des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs victimes. [Rapport n° 49 (1997-1998)
et avis n° 51 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, le préambule de la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant
nous rappelle que la protection de l'enfant constitue un devoir impérieux dans toutes les sociétés
démocratiques.
Pourtant, parce que son jeune âge le rend vulnérable, l'enfant est trop souvent la victime privilégiée
de la violence des adultes. Nous savons aujourd'hui que 30 000 signalements concernant des violences ou des mauvais
traitements à enfants sont adressés chaque année aux pouvoirs publics. Malgré l'importance
de ce chiffre, nous savons aussi qu'il ne correspond pas à la réalité, car de nombreuses violences
demeurent encore cachées.
Trop souvent, en effet, les victimes ne veulent ou ne peuvent pas les dénoncer, notamment quand les violences
émanent de proches - familles, éducateurs - ce qui est le cas dans 80 % des affaires de violence
sur enfant.
Lorsqu'elle est constituée par des atteintes ou des agressions sexuelles, cette violence est d'autant plus
insupportable qu'elle est dirigée contre des êtres très jeunes qui sont par nature d'une grande
fragilité.
Par ailleurs, même si la récidive existe pour toutes les infractions, la délinquance sexuelle
est peut-être la seule qui porte en germe une possibilité de recommencement.
C'est pourquoi notre législation pénale doit appréhender cette forme de criminalité,
qu'elle concerne ou non des victimes mineures, avec un arsenal répressif adapté et spécifique.
De nombreuses modifications de notre droit sont ainsi intervenues ces dernières années. En 1980,
la définition du viol a été élargie et la répression des infractions sexuelles
a été aggravée. En 1989, un régime spécial de prescription des infractions commises
sur des mineurs par des personnes ayant autorité - qui concernait, en pratique, les faits d'inceste - a
été institué.
Le nouveau code pénal, adopté en 1992 et entré en vigueur en 1994, a poursuivi cette évolution
en aggravant de nouveau les peines encourues en cas de viol.
La loi du 1er février 1994 a institué une peine incompressible pour les plus graves des crimes commis
sur des mineurs et a prévu que les auteurs d'infractions sexuelles devaient pouvoir bénéficier
d'un suivi médical en détention.
Ces différents textes - il convient de le souligner - ont été votés par le Sénat,
dont la volonté de protéger au mieux les intérêts des enfants s'est manifestée
avec constance, notamment lors de la réforme du code pénal et lors de l'examen de la loi du 1er février
1994. C'est d'ailleurs M. Jolibois, qui rapporte aujourd'hui le présent texte, qui était le rapporteur
de la commission des lois pour le livre II du nouveau code pénal, réprimant les atteintes à
la personne, et pour la loi précitée de 1994.
Enfin, je rappelle que mon prédécesseur, M. Jacques Toubon, avait déposé, au début
de cette année, un projet de loi tendant à renforcer la prévention et la répression
des atteintes sexuelles, projet qui n'a pu être examiné par le Parlement en raison de la dissolution
de l'Assemblée nationale.
Toutes ces réformes, ou ces projets de réforme, qui ont montré une évolution des mentalités,
notre société ayant lentement mais sûrement pris conscience de l'ampleur et de la gravité
du problème, sont toutefois insuffisants.
L'amélioration de notre droit doit en effet se poursuivre dans deux directions fondamentales qui, jusqu'ici,
n'ont pas été prises en compte de façon satisfaisante.
D'une part, il convient de renforcer notablement la protection des victimes mineures, en les dotant d'un véritable
statut juridique inspiré par les sentiments de compassion et de compréhension que l'institution judiciaire
comme l'ensemble de la société doivent avoir à leur égard.
D'autre part, il faut que la répression pénale, qui doit fermement sanctionner les auteurs de ces
actes, intègre également la dimension psychologique et médicale du problème causé
par la délinquance sexuelle, une telle évolution de notre droit étant indispensable pour tenter
de diminuer la récidive de ces infractions.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement auquel j'appartiens a décidé de reprendre le projet
de mon prédécesseur, qui répondait à une forte attente de la société.
Toutefois, après avoir procédé à de nombreuses consultations, notamment auprès
de responsables d'associations d'aide aux victimes et auprès du corps médical, j'ai voulu modifier
ce projet de loi afin de l'améliorer et d'atteindre au mieux les deux objectifs de protection des mineurs
et de lutte contre la récidive.
Ce nouveau projet de loi, élaboré en concertation étroite avec Mme Ségolène
Royal, ministre délégué à l'enseignement scolaire, et M. Bernard Kouchner, secrétaire
d'Etat à la santé, a été examiné et adopté en première lecture
par l'Assemblée nationale au début de ce mois.
Avant de vous présenter les deux principaux objectifs de ce projet de loi, je veux rendre hommage au travail
particulièrement approfondi de la commission des lois du Sénat et, en particulier, de son rapporteur,
M. Charles Jolibois, que son rôle à l'occasion des précédentes réformes que je
viens d'évoquer désignait tout naturellement pour connaître du présent texte.
La commission a, comme à son habitude, procédé à de nombreuses auditions publiques
sur cette question, afin d'aborder cette discussion de la façon la plus éclairée possible.
Pour l'essentiel, les amendements adoptés par la commission, le plus souvent sur l'initiative de son rapporteur,
vont tout à fait dans le sens du projet du Gouvernement, dont ils renforcent la cohérence, la lisibilité
et l'efficacité. Je me réjouis donc que ce projet, qui doit évidemment, compte tenu de son
objet, dépasser les clivages politiques, fasse l'objet d'un véritable consensus.
S'il subsiste quelques divergences entre la commission et le Gouvernement ou entre le Sénat et l'Assemblée
nationale, celles-ci portent sur des points, à mes yeux, secondaires, et pourront, j'en suis convaincue,
s'estomper lors de l'examen des articles ou lors des navettes.
Je me félicite, par ailleurs, que la commission des affaires sociales du Sénat ait également
examiné le texte, car l'analyse et les propositions de son rapporteur, M. Bimbenet, viendront très
utilement enrichir le débat.
Permettez-moi maintenant de préciser les dispositions concernant le premier volet important, à savoir
le renforcement de la défense des mineurs victimes.
De très nombreuses dispositions du projet ont pour objet ou pour conséquence de renforcer la protection
ou la défense des mineurs victimes d'infractions sexuelles. Il en résulte d'ailleurs la création
d'un véritable statut des mineurs victimes, et ce pour la première fois dans notre droit pénal.
Avant d'exposer ces différentes dispositions, je veux rappeler qu'elles ont été élaborées
en liaison étroite avec de nombreuses associations de défense des enfants victimes de sévices
sexuels, dont l'expérience sur le terrain a considérablement enrichi la réflexion de l'administration
et du Gouvernement. Je tiens ici à rendre un particulier hommage à la qualité du travail accompli
quotidiennement par ces associations et à la force de conviction qui anime leurs membres.
La première disposition du projet renforçant les droits des mineurs concerne la question de la prescription.
Le point de départ de la prescription des infractions commises contre les mineurs est différé
jusqu'à la majorité des victimes, même si ces infractions n'ont pas été commises
par un ascendant ou une personne ayant autorité. La commission propose de ne pas limiter les nouvelles dispositions
à certains crimes, limitativement énumérés, mais de les rendre applicables à
tous les crimes commis sur des mineurs. Je m'en remettrai, sur ce point, à la sagesse du Sénat.
Il est également prévu que, pour les délits les plus graves, la durée de cette prescription
soit portée à dix ans, comme pour les crimes. La commission propose de supprimer cette disposition.
Je n'y suis évidemment pas favorable et j'espère que les explications du Gouvernement pourront convaincre
le Sénat sur ce point.
Plusieurs autres dispositions du projet visent à assurer que les mineurs victimes feront l'objet des soins
appropriés à leur état.
Ainsi, la victime d'une infraction sexuelle devra obligatoirement faire l'objet d'une expertise médico-psychologique.
De même, la liaison entre les différentes instances judiciaires sera mieux assurée : le procureur
de la République ou le juge d'instruction devra informer sans délai le juge des enfants de l'existence
d'une procédure pénale concernant les mineurs victimes d'infractions sexuelles, si une procédure
d'assistance éducative a été ouverte.
Enfin, il est prévu que les soins dont devront faire l'objet les mineurs de quinze ans victimes d'infractions
sexuelles devront être remboursés à 100 % par la sécurité sociale. La commission
propose une extension de cette prise en charge, sur laquelle je m'expliquerai lors de l'examen de l'article concernant
cette disposition.
Les autres dispositions du projet destinées à renforcer les droits des mineurs victimes ont pour
objectif commun de limiter au minimum le caractère par nature traumatisant d'une procédure judiciaire,
tout en assurant l'efficacité de leurs droits.
Ainsi, les mineurs victimes devront être représentés au cours de la procédure par un
administrateur ad hoc dès lors qu'existera un risque de conflit d'intérêts entre le
mineur et ses représentants légaux, et ce même au cas où ces derniers ne défendront
pas les intérêts du mineur.
J'aurai, là encore, l'occasion de donner la position du Gouvernement sur les différents amendements
déposés sur cette question par la commission lors de l'examen des articles.
Par ailleurs, seules les auditions ou confrontations des mineurs victimes qui sont strictement nécessaires
à la manifestation de la vérité devront être effectuées par le juge d'instruction,
afin d'éviter le traumatisme résultant d'interrogatoires répétés. Nous savons
en effet que répéter, c'est revivre lorsqu'on a subi ce type d'agression.
De même, les auditions des mineurs victimes d'infractions sexuelles pourront faire l'objet, avec leur accord,
d'un enregistrement, ce qui permettra en pratique de limiter leurs auditions ultérieures au cours de la
procédure.
Le projet initial du Gouvernement prévoyait la possibilité de procéder à des enregistrements
audiovisuels ou à des enregistrements simplement sonores. L'Assemblée nationale a supprimé
cette seconde possibilité, mais j'espère que le Sénat pourra adopter le sous-amendement du
Gouvernement qui propose de la rétablir.
Cette question de l'enregistrement, audio ou vidéo, a fait l'objet, au sein de la commission des lois, d'une
réflexion particulièrement riche, qui l'a conduite à réécrire la disposition
du projet de loi. Pour l'essentiel, cette réécriture est justifiée ; je pense, notamment,
à la création d'une infraction spécifique en cas de diffusion de l'enregistrement.
Enfin, au cours de ses auditions, y compris lors de l'enquête, le mineur pourra être accompagné
d'une personne qualifiée, comme un éducateur, un psychologue ou un proche.
Doit-on aller plus loin, et prévoir, comme le propose la commission, qu'un mineur victime devra être
assisté d'un avocat dès le début de l'enquête ? Il s'agit là d'une question complexe,
que nous devrons examiner de façon approfondie lorsque cet amendement viendra en discussion.
En dernier lieu, plusieurs dispositions du projet viennent conforter la protection judiciaire dont les mineurs
peuvent bénéficier en améliorant la répression de certaines infractions dont ils sont
les victimes habituelles.
Ainsi, le projet prévoit d'aggraver certaines infractions, telles que la corruption de mineur en cas d'utilisation
d'un réseau de téléinformatique, comme le Minitel ou Internet. Certaines personnes n'hésitent
pas, en effet, à utiliser ces moyens modernes de communication, qui constituent d'indéniables progrès
techniques, pour prendre dans leurs filets leurs futures victimes.
De même, la répression des délits de provocation d'un mineur à l'usage de stupéfiants,
de provocation d'un mineur à participer à un trafic de stupéfiants, de provocation d'un mineur
à la consommation excessive de boissons alcooliques, de provocation d'un mineur à la commission de
crime ou de délit ou de corruption de mineur est aggravée, dans le texte, lorsque ces faits sont
commis à l'intérieur ou aux abords immédiats d'un établissement scolaire.
Dans le même esprit, le projet vise à réprimer de façon spécifique certains faits
commis à l'encontre des élèves ou des étudiants dans le milieu scolaire ou éducatif
et qui constituent des atteintes inadmissibles à la dignité de la personne. Il s'agit de certaines
formes de « bizutage », qui demeurent en vigueur et auxquelles on parvient difficilement à mettre
un terme malgré les efforts intervenus, notamment en matière de discipline.
Dans les cas les plus graves, ces faits constituent d'ores et déjà des infractions pénales,
comme les violences, les menaces ou les atteintes sexuelles. Mais tel n'est pas toujours le cas, et c'est pourquoi
le présent projet institue une incrimination spécifique.
La commission estime qu'une nouvelle incrimination n'est pas nécessaire. Je ne partage évidemment
pas cette analyse. Je tenterai de convaincre le Sénat sur ce point lors de l'examen de l'article en cause.
Dernière disposition d'importance améliorant la répression d'infractions sexuelles commises
contre des mineurs, celle concernant ce que l'on désigne par l'expression atroce de « tourisme sexuel
».
Le projet étend et améliore les dispositions actuelles de notre droit permettant une application
extraterritoriale de la loi pénale. Ainsi, celle-ci sera applicable pour l'ensemble des crimes et délits
sexuels commis à l'étranger sur des mineurs soit par des Français, soit par des personnes
résidant habituellement sur le territoire national.
La commission propose de supprimer cette seconde hypothèse.
Je crois, là encore, que ce serait une erreur, mais je suis persuadé que nous arriverons à
un accord sur cette question.
J'en viens maintenant à la deuxième partie de mon exposé, à savoir l'institution d'un
suivi socio-judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles destiné à prévenir la récidive.
La récidive des délits et des crimes sexuels, surtout lorsqu'ils sont commis sur des enfants, est
un problème extrêmement douloureux.
Même s'il n'existe pas d'étude totalement convaincante sur cette question, trois constatations ont
pu être faites ces dernières années.
Tout d'abord, la pratique judiciaire montre qu'il arrive que des personnes antérieurement condamnées
pour des infractions de nature sexuelle commettent de nouveau des faits similaires, parfois plus graves que ceux
qui avaient suscité une première intervention de la justice.
Deuxième constatation : des équipes médicales, s'inspirant de pratiques étrangères,
ont montré qu'il existe parfois, pour certains types de délinquants ou de criminels sexuels, des
traitements appropriés qui sont de nature à diminuer les risques de passage à l'acte.
Enfin, il a été constaté que les dispositifs juridiques actuellement existants en matière
d'aménagement des peines, tels que le sursis avec mise à l'épreuve ou la libération
conditionnelle, étaient insuffisants pour permettre un suivi de ces condamnés après leur libération.
De ces trois constatations, qui ont donné lieu à de multiples rapports, il est apparu qu'il était
nécessaire d'instituer dans notre arsenal répressif une nouvelle mesure, qui permettrait aux juridictions
de prononcer, au-delà des peines classiques de l'emprisonnement ou de la réclusion, une nouvelle
modalité de suivi judiciaire, social et, éventuellement, médical. Améliorant le dispositif
envisagé par le précédent gouvernement, le présent projet tend à instituer une
mesure de suivi socio-judiciaire, afin que les personnes condamnées pour infractions sexuelles soient placées,
après leur libération, sous la surveillance du juge de l'application des peines pendant une durée
de cinq ans en matière correctionnelle et de dix ans en matière criminelle.
Pendant cette durée, le condamné devra respecter certaines obligations, comme l'interdiction de se
rendre dans certains lieux ou d'entrer en contact avec des mineurs. S'il ne respecte pas les obligations qui lui
seront imposées, le juge de l'application des peines pourra ordonner sa réincarcération, pour
une durée initialement fixée par la juridiction de jugement.
Une injonction de soins, qui ne pourra être prononcée que si les experts estiment qu'un traitement
est possible, pourra constituer une modalité d'application facultative de la mesure de suivi socio-judiciaire.
Dans ces conditions, le suivi pourra être prononcé, y compris contre les personnes qui ne paraissent
pas initialement pouvoir faire l'objet d'un traitement. Ce point est évidemment extrêmement important,
puisqu'il montre le caractère évolutif de la mesure de suivi. Bien évidemment, aucun traitement
ne pourra être entrepris sans le consentement du condamné.
C'est dans cette optique de surveillance judiciaire que le condamné pourra faire l'objet de soins, conformément
à la demande formulée ces dernières années par des médecins psychiatres spécialisés
dans le traitement d'auteurs de violences sexuelles, qui estiment que ces personnes ont besoin d'une forme d'incitation
judiciaire suffisamment ferme pour accepter des soins qui, en définitive, pourront leur être profitables,
comme ils seront profitables à la société tout entière.
La mise en place de ces soins se fera par l'intermédiaire d'un médecin coordonnateur, chargé
en quelque sorte d'assurer la liaison entre le juge de l'application des peines et le médecin traitant.
Telles sont, dans leurs grandes lignes, les principales caractéristiques de cette nouvelle mesure de suivi
socio-judiciaire, qui, bien qu'elle constitue une véritable innovation dans notre droit, se rapproche, par
ses différents aspects, de concepts juridiques plus traditionnels, comme ceux de peine complémentaire,
de sursis avec mise à l'épreuve ou de libération conditionnelle.
Je me félicite, dans ces conditions, que la commission des lois du Sénat ait accepté cette
nouvelle mesure.
Les amendements adoptés par celle-ci n'ont d'ailleurs pas d'autre objet que de renforcer l'efficacité
du suivi socio-judiciaire, en allongeant sa durée, en aggravant la sanction encourue s'il n'est pas respecté
et en précisant les conditions dans lesquelles cette sanction peut être prononcée, enfin, en
incitant plus fortement le condamné à commencer un traitement en détention pour préparer
le « passage » aux soins qui lui seront prodigués après sa mise en liberté.
Ces modifications correspondent tout à fait à l'esprit du projet de loi ; je pense notamment à
l'amendement qui tend à préciser que le juge de l'application des peines pourra mettre à exécution
« en plusieurs fois » l'emprisonnement sanctionnant le non-respect du suivi socio-judiciaire. Certains
amendements peuvent toutefois soulever certaines interrogations au regard du principe de proportionnalité.
Je m'en expliquerai lors de l'examen des articles.
S'agissant des dispositions concernant les médecins coordonnateurs, qui sont intégrées dans
le code de la santé publique, votre commission des affaires sociales propose un certain nombre de modifications
qui me paraissent également, pour l'essentiel, tout à fait justifiées. Je dois à cet
égard me féliciter encore une fois que votre commission des affaires sociales ait pu approfondir
les aspects de santé publique de la réforme.
Bien évidemment, cette nouvelle mesure de suivi socio-judiciaire, de même que celle qui renforce les
droits des victimes mineures, supposeront des moyens nouveaux.
Ces moyens, qui seront dégagés progressivement, au fur et à mesure de la « montée
en puissance » de l'application des nouveaux textes, concerneront à la fois le ministère de
la justice et le ministère de la santé.
Ont ainsi été débloqués des crédits pour la création de nouveaux postes
dans les comités de probation et d'assistance aux libérés, qui seront chargés de suivre
les personnes placées sous suivi socio-judiciaire.
Il en est de même pour les crédits destinés à l'indemnisation des médecins coordonnateurs,
dont le rôle en la matière sera capital.
En ce qui concerne le budget de la justice, et s'agissant des services judiciaires, je puis vous indiquer que,
dans le projet de loi de finances pour 1998, dix emplois supplémentaires de juges des enfants, sur quarante
emplois de tribunaux de grande instance et d'instance, seront créés.
Ces juges bénéficieront du renfort d'une partie des assistants de justice prévus, qui sont
au nombre de deux cent vingt. Une partie des trente magistrats supplémentaires de cours d'appel sera affectée
aux chambres des affaires familiales et sera conduite à connaître des situations des mineurs en danger
d'ordre sexuel.
Plus de 5 millions de francs de crédits supplémentaires au titre des frais de justice permettront
de revaloriser le montant des frais d'expertises psychiatriques qui résulteront de ce projet de loi.
S'agissant des services pénitentiaires, sept emplois supplémentaires de psychologues et plus de 2
millions de francs en moyens matériels permettront le renforcement des moyens pour le projet d'exécution
de peine.
Avec plus de 200 emplois, le renforcement des emplois du milieu ouvert permettra d'assurer le suivi des délinquants
sexuels, de même que l'inscription de 10 millions de francs pour la réforme des services pénitentiaires
d'insertion et de probation.
S'agissant enfin de la protection judiciaire de la jeunesse, la création de 100 emplois, répartis
dans les services éducatifs auprès des tribunaux, et l'inscription d'une augmentation de 11 millions
de francs pour le fonctionnement de ces services permettra la mise en oeuvre des dispositions concernant les mineurs.
D'une façon générale, le Gouvernement s'engage à ce que tous les moyens nécessaires
à la mise en oeuvre des nouveaux textes puissent être dégagés en temps utile.
Je voudrais enfin rappeler, comme je l'ai fait devant l'Assemblée nationale, que ce projet de loi a pour
objectif d'assurer dans notre législation pénale un meilleur équilibre entre la répression,
la prévention et les droits des victimes.
Bien sûr, aucun texte de loi ne pourra totalement éradiquer la récidive, aucun traitement médical,
aucun suivi judiciaire n'offrira jamais la garantie absolue d'éviter le renouvellement des infractions.
Mais nous savons qu'il est possible d'en limiter les risques, et il est du devoir du Gouvernement de prendre en
cette matière toutes ses responsabilités, en mettant en place l'arsenal législatif le mieux
à même de permettre l'application, dans un cadre de contrainte judiciaire, de thérapies médicales
dont les experts nous disent qu'elles donnent, malgré leur caractère encore imparfait, des résultats
tangibles.
Comme je l'ai également indiqué devant l'Assemblée nationale, si ce projet de loi pouvait
n'éviter ne serait-ce qu'une seule récidive, s'il ne permettait de sauver la vie que d'un seul enfant,
il serait déjà indispensable, et le travail du Gouvernement, du Parlement et des autorités
judiciaires s'en trouverait pleinement justifié.
Enfin, au-delà du droit, au-delà des nouvelles institutions judiciaires qu'il met en place - le suivi
socio-judiciaire, le statut des mineurs victimes - ce texte présente une dimension symbolique.
Il doit, en effet, accompagner et surtout amplifier une modification de nos mentalités, une véritable
prise de conscience sociale, qui fait que la lutte contre les atteintes à l'intégrité et à
la dignité de la personne, tout particulièrement lorsqu'elles concernent l'enfant, constitue désormais
une priorité nationale.
Il faut faire cesser la loi du silence qui pèse encore beaucoup trop sur les dysfonctionnements sociaux
ou familiaux ; il faut soulever la chape de plomb qui recouvre les victimes d'inceste, d'agressions ou d'atteintes
sexuelles ; il faut bousculer les idées reçues selon lesquelles de tels faits ne peuvent pas arriver,
ou n'arrivent qu'aux autres, les a priori de suspicion contre les victimes, les réticences de certains
à prendre en compte l'aspect santé publique du problème.
Je ne peux, en conclusion, que rappeler les propos que je tenais voilà moins d'un mois devant l'Assemblée
nationale : bien qu'il puise ses racines dans le plus profond désespoir - celui qui résulte des crimes
commis contre les enfants - ce projet de loi se veut un texte d'espoir.
Espoir de voir reculer la récidive de ces infractions intolérables, grâce aux progrès
de la médecine alliés à l'action de la justice.
Espoir de diminuer la souffrance des victimes, grâce à une prise en charge plus humaine et plus complète
de celles-ci.
Espoir de ne plus voir les enfants martyrs devenir eux-mêmes, à l'âge adulte, des oppresseurs
parce que leur statut de victime n'aura pas été pris en compte par la justice.
Espoir que la prise de conscience de notre société face au fléau que représente l'oppression
et l'exploitation sexuelle des personnes vulnérables se concrétise dans l'action.
Je vous demande ici de bâtir un droit encore en devenir, un droit pour les générations futures,
qui protégera l'enfance et qui, ce faisant, protégera l'humanité tout entière.
Lorsqu'elles seront, dans quelques semaines, définitivement adoptées par le Parlement, ces nouvelles
dispositions pourront être appliquées par les juridictions avec le discernement, la fermeté,
la dignité et la compassion nécessaires ; elles permettront de faire reculer la barbarie et la souffrance.
C'est dans cet esprit, et avec cette ferme volonté, que je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs,
de bien vouloir adopter ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président,
madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi est l'aboutissement d'une longue réflexion,
qui a fait l'objet de plusieurs rapports et, sous une forme un peu différente, d'un projet de loi du précédent
garde des sceaux.
Il faut d'abord citer le rapport de la commission d'étude pour la prévention de la récidive
des criminels, présidée par Mme Marie-Elisabeth Cartier, qui avait notamment proposé l'instauration
d'un « suivi postpénal » - nous avons auditionné Mme le professeur Cartier au cours de
la journée du 15 octobre - le rapport de la commission d'études sur l'évaluation et l'expertise
psychiatrique des condamnés, présidée par Mme le docteur Thérèse Lemperière,
le rapport du groupe de travail sur le traitement et le suivi médical des auteurs de délits et crimes
sexuels, présidé par le docteur Claude Balier, que nous avons également auditionné
et qui avait préconisé un suivi thérapeutique à la sortie de prison pour ces personnes.
Déjà, la loi du 1er février 1994 prévoyait des dispositions à caractère
thérapeutique. Vous vous étiez alors prononcés sur la peine incompressible de trente ans.
Ce projet de loi, qui est la continuité, en quelque sorte, d'une préoccupation née depuis
quelques années et qui devient, compte tenu des statistiques - je peux le dire - maintenant lancinante,
contient quatre séries de dispositions.
Bien sûr, l'innovation principale est l'institution d'un suivi socio-judiciaire des personnes condamnées
pour infraction sexuelle.
Quels sont les conditions et le contenu de ce suivi socio-judiciaire ?
Tout d'abord, ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il s'agit d'une peine complémentaire qui sera prononcée
par la juridiction de jugement de façon concomitante avec la peine principale. Sa durée pourrait
aller jusqu'à cinq ans en cas de délit et dix ans en cas de crime.
Dans le cadre du suivi socio-judiciaire, toute une série de mesures pourraient être prononcées
: interdiction d'exercer une activité professionnelle, obligation de répondre aux convocations du
juge de l'application des peines, de s'abstenir de paraître dans certains lieux ou de fréquenter certaines
personnes, interdiction d'exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs.
Selon une expression que j'ai déjà utilisée, le délinquant est placé, à
la sortie de prison, sous une sorte d'« ombrelle pénale » à l'abri de laquelle il est
soigné, surveillé, et grâce à laquelle la société sera protégée.
Parmi ces mesures, il convient d'insister tout particulièrement sur l'injonction de soins qui est susceptible
d'être prononcée après une expertise.
L'inobservation par le condamné de ces obligations pourrait entraîner son incarcération pour
une durée maximale fixée ab initio par la juridiction de jugement, qui aura donc trois types
de condamnation à prononcer : la condamnation pour la faute, la durée du suivi socio-judiciaire et
une condamnation éventuelle au cas où le délinquant ne se conformerait pas au suivi socio-judiciaire
qui lui serait appliqué.
Dans le projet de loi, cette condamnation pour non-accomplissement des prescriptions socio-judiciaires ne saurait
excéder deux ans en cas de délit et cinq ans en cas de crime.
Toutefois, il faut se rappeler que la décision d'incarcération dans le cas d'infraction au suivi
socio-judiciaire sera prise par le juge de l'application des peines, qui disposera d'un pouvoir d'appréciation
de l'opportunité de la sanction et qui pourra notamment décider de ne mettre à exécution
qu'une partie de l'emprisonnement prévu, voire de ne pas prononcer la mise à exécution et
de donner un avertissement pour que ce suivi recommence.
La personne ne pourra être astreinte à une injonction de soins qu'après avoir donné
son consentement. Toutefois, en cas de refus, le juge de l'application des peines pourra mettre à exécution
l'emprisonnement prévu pour manquement au suivi socio-judiciaire.
Quel va être le champ d'application de ce suivi socio-judiciaire ?
Il s'agit d'une peine complémentaire ; ce dispositif est en effet inscrit dans le chapitre du code relatif
aux peines complémentaires et il ne peut être prononcé que dans les cas prévus par la
loi.
Le projet de loi vise ainsi le meurtre ou l'assassinat accompagné de viol, les agressions sexuelles, les
atteintes sexuelles, ainsi que la corruption de mineurs, la diffusion d'images pédophiles et la diffusion
d'un message pornographique susceptible d'être perçu par un mineur.
Comment ce suivi socio-judiciaire va-t-il être exécuté ?
Pour des raisons essentiellement éthiques, le projet de loi ne prévoit pas que le suivi, tout particulièrement
l'éventuelle obligation de soins, débute en prison. En revanche, chacun s'accorde à reconnaître
que tout doit être fait pour inciter autant que possible le condamné à suivre un traitement
médical en prison.
En cas d'obligation de soins, un médecin coordonnateur sera désigné pour faire le lien entre
le médecin traitant et la justice.
Le texte prévoit aussi un renforcement de la répression des atteintes sexuelles sur les mineurs.
Il s'agit d'abord de l'allongement du délai de prescription pour infraction sexuelle. Ce délai commencerait
à courir à la majorité de la victime, quel que soit l'auteur - alors qu'actuellement ce point
de départ spécifique ne concerne que les infractions commises par les proches du mineur - et il serait
porté de trois à dix ans pour les délits sexuels.
Il s'agit ensuite de la répression du tourisme sexuel. La loi française est ainsi rendue applicable
à toute atteinte sexuelle commise contre un mineur à l'étranger par un Français ou
par une personne résidant habituellement en France et il n'est pas que ce délit soit également
réprimé par le pays où les faits sont commis. Cette dernière exigence avait pratiquement
réduit à néant la poursuite contre ce que l'on appelle le « tourisme sexuel ».
Il s'agit encore de l'interdiction de mettre à la disposition des mineurs des cassettes vidéo à
caractère pornographique et de la création de nouvelles circonstances aggravantes, telles que le
recours à un réseau de télécommunication pour commettre une infraction ou le fait qu'un
délit soit commis à l'intérieur ou à proximité d'un établissement scolaire.
Le texte prévoit par ailleurs la création d'un fichier national des délinquants sexuels, destiné
à centraliser les traces et les empreintes génétiques.
Le projet de loi prévoit également des modifications des procédures applicables aux infractions
contre les mineurs ainsi que la possibilité - c'est très important - de désigner un administrateur
ad hoc lorsque la protection des intérêts du mineur victime n'est pas assurée par ses
représentants légaux, ce qui est, hélas ! parfois le cas lorsque les représentants
légaux normaux sont mêlés à l'infraction elle-même.
La possibilité d'enregistrer l'audition du mineur victime d'une infraction sexuelle est prévue. Cette
nouveauté permettra d'éviter la multiplication des dépositions traumatisantes pour l'enfant.
Un recours accru à l'expertise médicale tant du délinquant que de la victime en cas d'infraction
sexuelle figure également dans le projet de loi.
Par ailleurs, les soins dispensés aux mineurs de quinze ans victimes d'atteintes sexuelles seront pris en
charge par l'assurance maladie.
Le texte prévoit également la création d'un délit spécial de bizutage. L'article
10 du projet de loi punit en effet de six mois d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende le fait, hors les
cas de violences, de menaces ou d'atteintes sexuelles, « de faire subir à une autre personne... des
actes ou des comportements contraires à la dignité de la personne humaine, lors de manifestations
ou de réunions liées au milieu scolaire, éducatif, sportif ou associatif ». Telle est
la rédaction proposée par l'Assemblée nationale.
Que vous propose la commission ?
La commission a tout d'abord accepté le texte dans son ensemble. Elle se bornera à vous demander
de renforcer l'efficacité du suivi socio-judiciaire. A cette fin, elle propose de doubler la durée
maximale du suivi socio-judiciaire, en la portant à dix ans en cas de délit et à vingt ans
en cas de crime.
Je m'empresse de le dire, cette proposition qui a été acceptée par la commission des lois
vise à conférer une plus grande liberté au juge qui, souvent, prononce une peine très
longue dans une optique de protection de la société.
Dans la mesure où il aura maintenant à sa disposition la peine complémentaire de suivi socio-judiciaire,
le juge aura la faculté de diminuer la durée de la peine d'emprisonnement si cela se justifie dans
le cas qui lui est soumis et, en contrepartie, d'augmenter la peine de suivi socio-judiciaire de manière
que, dans un cadre concret, le délinquant puisse être protégé sous ce que j'ai appelé
« l'ombrelle pénale ».
La commission propose par ailleurs de porter de deux ans à cinq ans la durée de l'emprisonnement
prévue en cas d'inobservation d'un suivi socio-judiciaire prononcé pour délit. Nous avons
envisagé, comme Mme le garde des sceaux a bien voulu le signaler tout à l'heure, que le juge de l'application
des peines puisse prononcer cette peine de manière successive, en plusieurs fois, jusqu'à atteindre
le total de la peine. C'est donc pendant la durée du suivi socio-judiciaire que le juge de l'application
des peines aura à sa disposition une durée non pas de deux ans, que nous avons estimée trop
courte, mais de cinq ans.
La commission a par ailleurs émis le voeu que soit remis à exécution l'emprisonnement prévu
en cas de nouveau manquement aux obligations du suivi socio-judiciaire jusqu'à concurrence du total de la
peine.
En outre - c'est une nouveauté - la commission des lois souhaite inciter au maximum le condamné à
se soigner en prison. Lors des auditions, nous avons été frappés par le fait que l'ensemble
des personnes que nous avons entendues souhaitaient que le traitement puisse commencer pendant le séjour
en prison. Si le condamné refuse de suivre un traitement, il ne pourra bénéficier des réductions
de peine supplémentaires sans l'avis conforme de la commission d'application des peines.
La commission souhaite également assurer une meilleure répression des infractions sexuelles et des
atteintes aux mineurs.
En cas de récidive, le délinquant sexuel ne pourra bénéficier de réductions
de peine supplémentaires qu'avec l'avis conforme de la commission de l'application des peines.
Afin de prévenir la diffusion de messages pornographiques ou pédophiles sur le réseau Internet,
la commission propose d'habiliter des représentants du CSA à constater ces infractions et à
dresser un procès-verbal dont une copie sera adressée aux offreurs de sites. Ceux-ci seront alors
informés de l'activité illicite de leurs cocontractants et devront mettre fin au contrat, sous peine
de tomber eux-mêmes sous le coup de la complicité.
Le dernier volet des modifications que vous soumet la commission des lois concerne l'amélioration de la
protection du mineur victime.
Il s'agit, d'abord, de la possibilité de désigner un administrateur ad hoc dès l'enquête
et non après la nomination d'un juge.
Il s'agit ensuite de l'assistance du mineur victime d'une infraction sexuelle par un avocat dès le début
de l'enquête, et ce conformément à la demande faite par les juges du tribunal pour enfants
que nous avons entendus. Si les parents ne sont pas en mesure de nommer l'avocat, il sera désigné
par l'administrateur ad hoc.
Il s'agit encore de l'interdiction d'utiliser l'enregistrement audiovisuel devant la juridiction de jugement afin
de respecter le caractère oral des débats, qui est traditionnel dans notre droit.
Il s'agit aussi de la destruction automatique de cet enregistrement cinq ans après l'extinction de l'action
publique, car il ne faudrait pas que l'on puisse se servir de ces enregistrements. En outre, il sera interdit de
publier cet enregistrement, sous peine d'un an d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende.
Enfin, la commission, une fois encore à l'unanimité - une minorité ne s'étant fait
entendre que sur le problème de la responsabilité des personnes morales - a proposé de supprimer
le nouveau délit de bizutage.
Elle condamne avec fermeté toutes les dérives du bizutage. Elle estime cependant que le nouveau code
pénal permet d'atteindre pratiquement chaque cas particulier, chacune de ces dérives et de ces transformations,
en véritable délit alorsde alors que certains les qualifient de traditions.
Je viens d'avoir la confirmation - mais je m'y attendais - que nous discuterons à nouveau de ce sujet lors
de l'examen des articles.
La commission des lois n'a pas non plus accepté la réécriture du délit pour harcèlement
sexuel, qui avait été défini dans le nouveau code pénal, au Sénat d'ailleurs.
Le Gouvernement veut préciser cette rédaction, en ajoutant un membre de phrase, pour la rendre conforme
à celle qui figure dans le code du travail. Cela ne nous paraît pas nécessaire. Il peut en
effet y avoir, d'une part, une définition pénale et, d'autre part, des dispositions dans le code
du travail.
En conclusion, je dirai que le souhait de la commission et - je vous demande de m'excuser de me mettre en avant
- du rapporteur, est que le consensus qui avait présidé au vote du code pénal - de ce code
tellement primordial pour une nation - se retrouve sur ce nouveau texte, si important, si moderne, si porteur d'espoir.
Il serait nécessaire de trouver un terrain d'entente pour la mise en oeuvre de ce texte dans les années
futures.
Par ailleurs, nous nous sommes bien entendu préoccupés de la question des moyens. Nous avons été
rassurés par vos déclarations, madame le garde des sceaux, tant en commission qu'à l'instant,
en séance publique.
Mais nous ne pouvons ignorer que ces dispositions vont entraîner - hélas ! - en raison du nombre des
délinquants de cette nature particulière, une augmentation considérable des besoins en personnels.
M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales confirmera certainement que de nouveaux experts,
des psychiatres et des médecins en nombre important ainsi quede nouveaux juges de l'application des peines
seront nécessaires. Néanmoins, ce texte peut, compte tenu de son importance, être soumis à
vos votes, avec l'espérance que des moyens importants seront consacrés à sa mise en oeuvre.
Je l'affirme, mes chers collègues, ce projet de loi vaut vraiment la peine d'être adopté.
(Applaudissements.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Bimbenet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président,
madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur de la commission
des lois, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui a pour objet de répondre
à l'angoissant problème que pose à notre société la récidive de personnes
appréhendées par la justice pour avoir commis des violences de nature sexuelle et dirigées
en particulier contre les enfants.
L'évolution des techniques médicales depuis le début des années soixante-dix permet
d'espérer le succès d'une politique de prévention fondée sur des dispositifs de suivi
appropriés se caractérisant, notamment, par l'application simultanée de soins psychiatriques
et médicamenteux.
L'enjeu que représente la protection contre les actes les plus odieux qui frappent les enfants rendait impératif
le dépôt d'un texte par le nouveau Gouvernement. C'est pourquoi la commission des affaires sociales
s'est félicitée, madame la ministre, que vous ayez déposé, le 3 septembre dernier,
un projet de loi qui reprend, pour une très large part, le contenu du texte déposé au cours
de la précédente session par votre prédécesseur, M. Jacques Toubon.
Qualifiée de perversion dans le langage courant, la pédophilie, c'est-à-dire l'attirance sexuelle
envers les enfants prépubères, âgés de 13 ans ou moins est considérée
par l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, comme une maladie consistant en un « trouble de la
préférence sexuelle ».
Il n'existe pas de tableau clinique définitif de la personnalité des pédophiles. Selon certains
psychiatres, il faudrait distinguer trois cas : les sujets très « carencés » sur le plan
affectif, dont le psychisme est peu organisé et parfois assorti d'une débilité intellectuelle
; les sujets fragiles, dont le sentiment d'identité est mal assumé et qui peuvent, dans des situations
« limites », recourir à des actes de violence, voire passer au meurtre ; enfin, les sujets stables,
intelligents et organisés, souvent de mauvaise foi, qui sont à l'origine de nombreux actes déviants,
mais qui commettent rarement des meurtres.
En tout état de cause, la pédophilie n'est pas réprimée pour elle-même ; elle
l'est pour les actes criminels ou délictueux auxquels elle peut conduire et que le rapporteur de la commission
des lois a évoqués.
Face aux statistiques, qui font apparaître globalement entre 18 000 et 20 000 infractions sexuelles constatées
par la police chaque année, la commission des affaires sociales a tenu à présenter trois observations.
En premier lieu, il semble clair que les statistiques diffusées par le ministère de l'intérieur
et le ministère de la justice ne rendent compte que des faits mis au jour par les institutions publiques.
Elles ne permettent pas d'appréhender entièrement la réalité sociale d'un phénomène
inquiétant.
En second lieu, nous avons été frappés par l'augmentation constante du nombre d'infractions
sexuelles constatées ou réprimées au cours des dix dernières années.
La commission des affaires sociales tient à souligner qu'il peut y avoir deux explications à cela.
Cette augmentation peut être due à la multiplication des actes répréhensibles. Dans
ce cas, il faudrait s'interroger, d'une part, sur les risques que ferait courir le développement d'images,
de produits ou de réseaux de communication à caractère pornographique, d'autre part, sur certains
messages véhiculés complaisamment par divers médias.
Il faut également se demander si les résultats statistiques ne montrent pas une plus grande vigilance
des institutions judiciaires et policières à l'égard des problèmes de délinquance
sexuelle, et, surtout, un changement positif d'attitude morale qui tient au fait que les victimes portent plainte
plus fréquemment qu'auparavant.
Enfin, en troisième lieu, la commission des affaires sociales a noté que si, envisagée globalement,
la délinquance sexuelle ne présentait pas de taux de récidive plus élevé que
pour d'autres formes de délinquance, certaines catégories de délits sexuels, en revanche,
font apparaître un risque de récidive qui est particulièrement élevé. Tel est
le cas, en particulier, des attentats à la pudeur, qui sont fréquemment le fait de personnalités
pédophiles.
De plus, la probabilité de récidive croît avec le nombre d'actes déjà commis.
De 10 % pour les primodélinquants, le taux de récidive va doubler pour un primorécidiviste
et peut atteindre un taux de 40 à 50 % pour un délinquant sexuel déjà condamné
à deux reprises. Le risque élevé de récidive justifie d'autant plus la mise en place
d'un véritable suivi des délinquants sexuels et, en particulier, des pédophiles.
Il existe deux grands types de traitement : les thérapies psychologiques, d'une part, les prescriptions
médicamenteuses, d'autre part.
S'agissant des psychothérapies, la commission des affaires sociales a relevé qu'il n'existait à
ce jour aucune statistique établissant de manière incontestable que le taux de récidive des
sujets subissant ce type de thérapie diminue significativement.
Il ne faut pas pour autant en tirer des conclusions pessimistes, car cela tient au caractère récent
du développement de ces traitements, à l'absence de recul sur l'ensemble de la vie d'un condamné
et au caractère trop restreint des échantillons.
De plus, on peut attendre beaucoup de l'alliance entre des soins psychothérapiques et des soins médicamenteux
qui prennent, dans ce cas, la forme de traitements antihormonaux ou antiandrogènes. Ceux-ci ont pour effet
de limiter ou de supprimer les fantasmes sexuels déviants non désirés, et donc de réduire
ou d'éliminer la tentation du passage à l'acte.
Les premiers essais de ces traitements remontent aux années soixante-dix et, avec le recul, il est visible
que, si des effets secondaires indésirables peuvent apparaître, ils ne présentent qu'un faible
degré de gravité et disparaissent avec l'interruption du traitement.
Si les traitements antihormonaux ou antiandrogènes agissent rapidement et peuvent permettre à certains
individus déviants de retrouver une vie normale, la commission des affaires sociales tient néanmoins
à souligner qu'il serait illusoire de croire en une « magie du médicament ».
La première limite des prescriptions médicamenteuses tient au fait qu'il ne s'agit pas d'un traitement
à finalité curative ; il s'agit seulement d'un traitement à finalité symptomatique.
Avec l'interruption du traitement, le risque est élevé de voir réapparaître les conduites
sexuelles incriminées ; en d'autres termes, ces produits inhibent la libido, mais ils ne modifient pas en
profondeur les préférences sexuelles du sujet, sauf traitement psychiatrique réussi.
Par ailleurs, les traitements antihormonaux ou antiandrogéniques ont une efficacité limitée
dans un certain nombre d'hypothèses, en particulier chez les pédophiles psychopathes, qui présentent
une personnalité profondément antisociale, refusent toute forme d'aide ou de traitement, nient les
faits et ne se reconnaissent aucun sentiment de culpabilité. Il ne faut pas oublier que des récidives
criminelles ont été constatées chez des individus qui avaient fait l'objet d'une castration
chirurgicale en Allemagne et aux Etats-Unis.
Les résultats sont également décevants pour les pédophiles qui se droguent ou abusent
de l'alcool, qui vivent repliés sur eux-mêmes, sans soutien amical ou familial, ou encore qui ont
fait d'un seul enfant l'objet prévilégié de leurs pulsions déviantes.
En conclusion, s'agissant de ces traitements, la commission des affaires sociales a souligné deux points.
D'une part, et nombreux sont les psychiatres qui le soulignent, l'efficacité d'un traitement est subordonnée
à l'adhésion du sujet. Un pédophile qui nie avoir agressé des enfants et qui persiste
à se présenter comme une victime ne pourra pas faire l'objet d'une thérapie efficace. Cela
n'exclut pas, bien sûr, qu'une incitation ferme à recourir à un traitement soit proposée
à un prévenu afin de l'aider à s'engager dans un processus de prise de conscience.
D'autre part, il nous est apparu que les différentes formes de traitement psychothérapeutique ou
médicamenteux n'étaient pas exclusives l'une de l'autre, mais qu'elles pouvaient être utilisées
de manière conjointe. Elles gagnent sans doute, alors, en efficacité.
Ce projet de loi institue, dans le code pénal, une nouvelle peine visant les criminels et délinquants
sexuels, appelée peine de suivi socio-judiciaire.
Celle-ci consiste dans l'obligation, pour le condamné, de se soumettre, sous le contrôle du juge,
à des mesures de surveillance et d'assistance destinées à prévenir la récidive.
Je ne reviendrai pas sur le dispositif de la peine de suivi socio-judiciaire, qui est très bien exposé
dans votre rapport, monsieur Jolibois.
Nous l'avons noté pour notre part il est prévu, pour respecter les préoccupations éthiques,
que l'injonction ne pourra être ordonnée qu'après une expertise médicale établissant
que le délinquant sexuel peut faire l'objet d'un traitement. Cette disposition permet notamment de prendre
en compte l'hypothèse d'une contre-indication médicale.
Il est prévu également que le traitement ne pourra être imposé sans le consentement
préalable du condamné, mais qu'en cas de refus de se soigner le délinquant sexuel se verra
infliger une peine de prison supplémentaire qui est significative. L'incitation à se soigner qui
pèse sur le condamné est donc très forte, ce qui conduit à relativiser le débat
sur la notion d'obligation de soins prévue par le texte de M. Jacques Toubon.
S'agissant des articles qui entrent dans le champ de sa saisine, la commission des affaires sociales a tout d'abord
porté un jugement favorable sur le dispositif qui est consacré à l'aspect médical de
la mise en oeuvre du suivi socio-judiciaire et qui ne diffère pas sensiblement de celui qui était
proposé dans le projet de loi de M. Jacques Toubon.
La commission des affaires sociales s'est félicitée en particulier qu'un équilibre ait pu
être trouvé entre le système judiciaire et les principes de base qui doivent s'instaurer entre
le malade et son médecin. Cet équilibre est rendu possible grâce à la séparation
fonctionnnelle entre un médecin coordonnateur et un médecin traitant.
Le médecin traitant, en relation directe et régulière avec le condamné, prescrit le
traitement, en définit la nature et la périodicité, et procède aux éventuelles
modifications rendues nécessaires par l'évolution de l'état du sujet.
Le médecin coordonnateur a vocation à assurer les relations avec l'institution judiciaire, servant
ainsi d'« écran » entre le médecin traitant et le juge de l'application des peines, afin
de garantir l'autonomie des choix thérapeutiques du praticien traitant.
La séparation entre un médecin coordonnateur et un médecin traitant présente donc de
grands avantages du point de vue du respect de la déontologie médicale.
S'agissant du libre choix du thérapeute, le condamné pourra choisir son médecin traitant,
sous réserve de l'accord du médecin coordonnateur, afin d'éviter toute forme d'abus.
Concernant le choix du traitement, le juge de l'application des peines contrôle que le condamné respecte
bien les obligations de consultation par le médecin traitant, mais ne peut s'ingérer dans la thérapie
décidée par celui-ci.
Concernant le secret médical, il est en principe protégé, sauf si le condamné ne respecte
pas ses obligations ou si des difficultés d'exécution du traitement apparaissent. Dans cette hypothèse,
le médecin traitant pourra alerter le juge de l'application des peines ou, s'il le souhaite, entrer seulement
en relation avec le médecin coordonnateur.
Le bureau du Conseil national de l'ordre des médecins, réuni le 29 septembre 1997, a approuvé
l'esprit du projet de loi et a estimé qu'il emportait globalement l'adhésion, sous réserve
de la mise en oeuvre des moyens financiers nécessaires.
A ce stade, la commission des affaires sociales a présenté deux observations et quelques amendements.
Notre première observation est un souhait. Il importe, madame la ministre, lors de la préparation
des décrets d'application, que le médecin coordonnateur ne soit pas considéré comme
un contrôleur du médecin traitant et qu'il ne puisse intervenir dans ses choix thérapeutiques.
Le médecin coordonnateur a vocation à prendre en charge les relations avec les autorités judiciaires
et à assurer auprès de celles-ci un rôle d'évaluation de l'évolution du condamné,
dans le respect de l'autonomie des choix du médecin traitant. Il joue un rôle de référence
et de soutien à l'égard du médecin traitant.
Notre deuxième observation est un voeu : le suivi socio-judiciaire repose sur la qualité des expertises
qui seront réalisées à la demande de la justice sur le délinquant sexuel. Il importe
que le niveau de rémunération de ces expertises soit revalorisé pour garantir la bonne exécution
du service public. Il vous appartiendra, madame la ministre, de vous assurer que les mesures financières
seront prises pour conforter la réussite de votre dispositif.
Par ailleurs, la commission des affaires sociales proposera que les médecins coordonnateurs soient désignés
parmi des psychiatres ou des médecins ayant suivi une formation appropriée, afin qu'ils puissent
dialoguer dans de bonnes conditions avec le médecin traitant.
Soucieuse du respect du secret médical, elle vous proposera par ailleurs un ajustement afin que le médecin
traitant soit seulement habilité à saisir le juge de l'application des peines lorsque le traitement
du condamné aura été interrompu, et non dans l'hypothèse imprécise de difficultés
survenues dans l'exécution du traitement.
La commission des affaires sociales s'est également saisie de l'article 21, qui concerne la prise en charge
par la sécurité sociale des victimes d'infractions sexuelles. Elle vous proposera, à cet article,
que le bénéfice de cette mesure protectrice soit étendu aux mineurs âgés de quinze
à dix-huit ans. Enfin, la commission des affaires sociales a examiné l'article 32 bis, qui
a pour objet de modifier la procédure de sortie d'un hôpital psychiatrique des malades hospitalisés
d'office et déclarés pénalement irresponsables de leurs actes.
Sans préjuger le débat que nous aurons lors de l'examen des articles, nous nous sommes vivement inquiétés
de cette disposition, qui aurait pour effet de faire dépendre la décision de sortie du malade de
la décision d'un magistrat ayant voie prépondérante au sein d'une commission spécifique,
alors même que la justice aurait prononcé un non-lieu et se serait en quelque sorte dessaisie du prévenu
pour le confier au secteur psychiatrique.
Nous avons regretté que cette disposition soit introduite à l'occasion de la discussion de ce texte,
alors qu'elle ne concerne pas exclusivement, loin de là, des délinquants sexuels et que nous ne disposons
pas encore de tous les éléments d'information sur le rapport d'évaluation, qui devrait prochainement
être publié, sur la loi du 27 juin 1990 relative aux hospitalisations d'office.
C'est pourquoi la commission des affaires sociales a souhaité la suppression de cet article 32 bis
dans l'attente d'une réforme d'ensemble destinée à remédier aux éventuels dysfonctionnements
de l'hospitalisation d'office.
Sous réserve de ces observations et des amendements qu'elle a adoptés, la commission des affaires
sociales a émis un avis favorable sur les dispositions de ce projet de loi dont elle était saisie.
(Applaudissements.)
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