M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues,
les membres du groupe socialiste soutiennent les efforts du Gouvernement. Je devrais d'ailleurs dire « des
gouvernements », puisque vous avez, madame la ministre, à juste titre, repris, en l'améliorant,
un projet de loi de votre prédécesseur pour prévenir, autant qu'il est possible, la récidive
en matière d'infractions sexuelles et, plus simplement, pour soigner, bien plus que pour punir, tout en
les soumettant à diverses obligations et mesures de surveillance ou d'assistance, ceux qui, à l'évidence,
sont d'abord des malades.
C'est une voie courageuse parce qu'étroite et onéreuse : étroite, parce que la science médicale
a encore des progrès à faire pour guérir ces malades-là ; onéreuse, parce que
soigner coûte évidemment plus cher qu'enfermer purement et simplement.
Je disais que vous avez amélioré le projet de votre prédécesseur. Chacun le reconnaît.
Vous avez tiré les conclusions qui s'imposaient du fait qu'il n'est pas possible de soigner quelqu'un qui
ne le veut pas : celui qui ne le voudra pas sera, si j'ose dire, « traité » différemment,
c'est-à-dire mis, ou remis, en prison.
Exit donc le « suivi médico-social ». Vous nous proposez le « suivi socio-judiciaire ».
Nous vous suivrons.
La commission des lois du Sénat a procédé, vous le savez, madame la ministre, puisque vous
y avez participé, à d'intéressantes séances répétées d'auditions
publiques, qui ont permis le dépôt d'amendements que nous croyons souvent enrichissants.
C'est ainsi que nous sommes unanimes à désirer que les auteurs d'infractions sexuelles puissent être
amenés à se soigner non pas seulement à titre de peine principale ou à l'expiration
d'une peine d'emprisonnement, mais pendant la durée même de l'emprisonnement.
M. Robert Badinter. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela suppose, bien évidemment, des moyens importants afin de disposer
du personnel formé à cette fin dans des locaux à cette fin réservés.
C'est déjà ce que le législateur a prévu à l'article 718 du code de procédure
pénale, en vertu duquel les auteurs d'infractions sexuelles « exécutent leur peine dans des
établissements pénitentiaires permettant d'assurer un suivi médical et psychologique adapté
».
Vous nous direz sans doute, madame la ministre, que, malheureusement, ce texte est resté quasiment lettre
morte, même si, par une fiction indigne, tous les établissements pénitentiaires sont réputés
être tels.
Or les auteurs d'infraction sexuelle doivent être non seulement soustraits, pour pouvoir être efficacement
soignés, à la discrimination, aux brimades et aux mauvais traitements de ceux qui sont encore trop
souvent leurs « codétenus », mais également séparés, dans des espaces thérapeutiques
distincts, les exhibitionnistes d'une part, les névrosés d'autre part, les psychopathes ailleurs
encore et, enfin, les auteurs de crime de sang. Cela coûtera cher, mais c'est indispensable.
Je n'entrerai pas maintenant dans le détail des amendements que nous serons amenés à défendre
dans l'espoir de rendre le meilleur possible un texte technique et complexe qui a encore besoin d'être enrichi
par la navette.
Ce que je dis là me paraît vrai, par exemple, pour ce que j'appellerai, plutôt que « les
atteintes à la dignité de la personne humaine », plus prosaïquement, plus populairement
et plus justement « les excès du bizutage ».
En toute bonne foi, je n'en doute pas, la commission des lois du Sénat a cru voir là une recherche
d'effet d'affichage, comme, soit dit entre nous, elle en a si souvent accepté dans le passé.
M. Robert Badinter. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tel que le texte était rédigé au départ et plus encore
tel qu'il l'a été par l'Assemblée nationale, on pouvait s'y tromper.
Après avoir beaucoup réfléchi, et revenant sur notre vote - vous avez rappelé, à
juste titre, ce qu'il avait été, monsieur le rapporteur - nous sommes arrivés à la
conclusion que, « hors les cas de violences, de menaces ou d'atteintes sexuelles », doit être
puni d'un emprisonnement, non pas de six mois, mais d'un an, afin de pouvoir être poursuivi en flagrant délit,
et d'une amende de 100 000 francs le fait - je cite le texte de l'amendement que nous défendrons, et d'abord
en commission - « pour une personne d'en amener une autre, contre son gré ou non, par ordre, contrainte,
pression ou invitation, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants, notamment
lors de manifestations ou de réunions liées au milieu scolaire, éducatif, sportif ou associatif.
»
Un tel texte devrait permettre que soit mis fin à des excès qui ne se perpétuent que parce
que, par peur des représailles ou du qu'en dira-t-on, comme dans la perspective d'être bientôt
initiateur à son tour, la victime est trop souvent quasi consentante. Vous le constatez, notre amendement
reprend le problème à la base. Il n'est pas limité au milieu scolaire, éducatif, sportif
et associatif. En effet, nous ajoutons l'adverbe « notamment », qui pour une fois est nécessaire,
pour dire que c'est partout que ces excès doivent être punis et poursuivis, étant entendu,
je le répète, que, même si on constate un semblant d'acceptation de la part de la « victime
», il doit y avoir poursuite. Cet amendement complète le code pénal, contrairement au texte
tel qu'il résultait des travaux de l'Assemblée nationale. Nous aurons l'occasion d'en débattre.
Il en sera de même des nombreuses mesures proposées pour protéger et ménager les victimes
mineures. La plupart de ces dispositions s'imposent, mais aucune ne doit, bien entendu, risquer d'entraver la recherche
de la vérité ou de porter atteinte au « parallélisme des formes » : je pense,
en particulier, à l'enregistrement audiovisuel de la déposition d'un mineur victime, qui ne saurait
remplacer dans tous les cas les confrontations, les nouvelles auditions ou les comparutions.
Je pense aussi que, si la suggestion de la commission des lois du Sénat visant à rendre obligatoire
la présence d'un avocat auprès d'un mineur victime est retenue, il n'y a plus lieu, sauf à
oublier le « parallélisme des formes » dont se réclame M. le rapporteur, de rendre obligatoire,
comme l'a demandé l'Assemblée nationale, la présence auprès de cette victime «
d'un psychologue ou d'un médecin spécialiste de l'enfance ou d'un membre de la famille du mineur
ou de l'administrateur ad hoc ... ou encore d'une personne chargée d'un mandat du juge des enfants.
»
Si les deux parties sont assistées d'un avocat, pourquoi imposer la présence d'une autre personne
d'un côté exclusivement ?
Il faut en effet ne pas aller trop loin. C'est ce qui a été fait en décidant... provisoirement
- heureusement, le bicamérisme existe dans notre pays - qu'en matière de diffamation la vérité
des faits diffamatoires pourrait être prouvée, dans le cas d'infractions sexuelles contre un mineur,
même si l'infraction est « amnistiée ou prescrite » ou si elle « a donné
lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou » - écoutez-bien ! -
« la révision » ! Cette énormité a même échappé, à
la fin d'une longue séance de travail, à la commission des lois du Sénat ! Nous avons déposé
un amendement pour y mettre bon ordre.
Je voudrais terminer ces quelques réflexions - car il est exclu, dans le cadre de la discussion générale,
d'aborder toutes les difficultés de ce texte - en disant que nous sommes pleinement d'accord avec la commission
des affaires sociales du Sénat lorsqu'elle conclut à la suppression de l'article 32 bis, qui
prévoit que, pour savoir s'il peut être mis fin à l'hospitalisation d'office de l'auteur reconnu
irresponsable d'un crime ou d'un délit, on s'en remette à une commission composée de deux
médecins dont un psychiatre - un seul psychiatre ! - et d'un magistrat ayant voix prépondérante
!
Cela me paraît, je dois le dire, une monstruosité juridique : l'intéressé ayant été
reconnu par la justice pénalement non responsable, la justice est évidemment dessaisie, et la seule
question qui se pose - savoir si ce malade est encore ou non dangereux, soit pour autrui, soit pour lui-même
- ne relève à l'évidence que de la médecine.
J'observe que l'article L. 348-1 du code de la santé publique en son état actuel est parfaitement
satisfaisant : il ne rend possible la fin de l'hospitalisation d'office du criminel ou du délinquant irresponsable
« que sur les décisions conformes de deux psychiatres n'appartenant pas à l'établissement
et choisis par le préfet sur une liste établie par le procureur de la République »,
« ces deux décisions résultant de deux examens séparés et concordants. »
Dans l'hypothèse saugrenue du texte dont nous sommes actuellement saisis, le psychiatre qui s'opposerait
à la mise en liberté pourrait être mis en minorité par l'abstention du médecin
non psychiatre et l'acquiescement du magistrat !
Vouz noterez d'ailleurs que nous sommes ici dans le cadre général des auteurs irresponsables d'infractions,
et non plus dans celui des infractions sexuelles, auxquelles le projet de loi est tout de même consacré
!
Vous le voyez, madame la ministre, et vous aussi, mes chers collègues, le Gouvernement peut compter sur
le concours actif et éclairé du groupe socialiste ; ce n'est pas mon ami François Autain,
qui interviendra tout à l'heure, lui aussi au nom du groupe socialiste, qui me démentira. (Applaudissement
sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce
projet de loi est résolument axé sur la prévention de la récidive. Il s'agit d'un sujet
délicat en matière de crimes et délits sexuels, mais d'une entreprise nécessaire et
urgente.
Le texte traite en particulier des délits sexuels concernant les mineurs. Récemment, j'ai rencontré
une jeune femme qui a vécu dans son enfance des agressions sexuelles de la part du fils de sa gardienne,
qui avait quatorze ans de plus qu'elle. Cette jeune femme n'avait d'autre mot pour décrire ce qu'elle avait
vécu que le mot « massacre ». « J'ai été massacrée », disait-elle,
et pensant aux autres enfants, ceux d'aujourd'hui, elle me répétait : « Il faut arrêter
le massacre ».
Pourtant, ce que je souhaite d'abord dire concerne l'ensemble des agressions sexuelles, que les victimes soient
des enfants ou des adultes.
Des décennies ont été nécessaires pour que la loi soit enfin respectée, pour
que les viols soient effectivement poursuivis comme des crimes, et non comme des délits. Il a fallu des
décennies pour que les victimes osent parler et porter plainte, pour qu'elles n'aient pas honte, ou qu'elles
triomphent de leur honte.
En effet, l'une des caractéristiques de ces crimes est que la victime a honte, plus que l'agresseur.
Quand enfin la loi du silence a été levée, quand les victimes ont osé porter plainte,
ont osé parler, on a vu croître le nombre de procès. Certains se sont dit alors que la société
se délitait, que les hommes se mettaient à violer les femmes, bref que la bonne vieille morale traditionnelle
était en recul. Mais les hommes ne se mettaient pas à violer les femmes : les femmes, pour la première
fois, massivement, osaient porter plainte contre les hommes.
Aujourd'hui, le même phénomène concerne les enfants : la loi du silence commence à être
levée. Mais la parole des enfants, en se libérant, ouvre les portes sur un enfer clos.
Toutefois, je ne voudrais pas que, dans notre réflexion et notre loi, les agressions et les crimes concernant
les adultes soient oubliés. En effet, il s'agit toujours d'un traumatisme grave et parfois irréparable.
C'est pourquoi je souhaite que la prise en charge médicale à 100 % concerne l'ensemble des personnes
victimes d'une agression ou d'un crime sexuel ; je pense aux nombreuses femmes dont j'ai suivi le parcours ou que
j'ai eu l'occasion de rencontrer, et pas seulement aux enfants.
Le fait que le projet de loi précise la notion de harcèlement sexuel me satisfait. Peu après
que la loi sur le harcèlement sexuel a été débattue, j'ai soutenu, en tant que présidente
d'un centre d'information sur les droits des femmes, une jeune femme qui a intenté un procès contre
son employeur. Je sais toutes les pressions qu'ont subies alors les autres employées pour ne pas témoigner
en faveur de cette femme et le courage qu'il a fallu à celle-ci pour aller jusqu'au bout de sa démarche.
J'ai lu les expressions plutôt choquantes qui ont été employées lors du débat
à l'Assemblée nationale. Heureusement, les mentalités ont évolué, et dans l'opinion
publique parfois plus vite que parmi les élus. Je suis donc particulièrement satisfaite de constater
que le projet de loi actuel complète la notion de harcèlement sexuel en y ajoutant la notion de «
pression ».
A un moment où les femmes représentent moins de la moitié des actifs, mais plus de la moitié
des chômeurs, cette précision est vraiment la bienvenue.
Je ne souhaite pas, bien sûr, que l'on en arrive à la situation américaine, dans laquelle,
bientôt, plus un homme ne pourra être seul avec une femme dans un ascenseur ou lui faire l'ombre d'une
avance sans encourir le risque d'être accusé de harcèlement sexuel. Mais il est nécessaire
de donner les moyens aux femmes de dénoncer, de poursuivre ceux qui se livrent à de telles pratiques.
C'est nécessaire pour les femmes. Mais c'est également nécessaire pour les hommes, afin que
ces derniers aient enfin une réflexion sur un comportement qui, pour être quotidien, n'en est pas
moins inacceptable et délictueux.
Cette réflexion sur l'approfondissement de la notion de délit de harcèlement sexuel m'amène
à vous dire, madame la ministre, à quel point j'approuve le titre II de votre projet de loi concernant
la création du délit de bizutage. J'ai pris connaissance de la controverse qui s'est développée
à l'Assemblée nationale et dans la presse, et je sais qu'un amendement de suppression a été
déposé par la commission des lois. J'espère toutefois que notre assemblée ne va pas
suivre cette proposition.
Je me réfère précisément au débat sur le délit de harcèlement
sexuel auquel je faisais allusion. On a dit, à ce moment-là, qu'il n'y avait pas lieu de créer
ce délit, que ce n'était après tout pas pour quelques excès, certes condamnables, qu'on
allait mettre en accusation tous les patrons qui feraient des propositions à leur secrétaire. On
a invoqué la culture latine, la galanterie française bien connue, l'empressement bien naturel des
hommes vis-à-vis des femmes, que sais-je encore... Et puis on s'est rendu compte qu'il y avait là
des situations de force, d'oppression, de contrainte, de pouvoir, et qu'il arrivait - et il arrive encore - que
celui qui était en position de force, de contrainte, de pouvoir, d'oppression abusait de cette situation
et imposait sa volonté de possession.
Le bizutage relève à bien des degrés d'une situation comparable. On invoque la tradition.
Mais est-il bien sûr que les cérémonies diverses qui ont marqué dans le passé
et qui marquent encore, dans certaines sociétés, le passage de l'adolescence à l'âge
adulte doivent être reprises à notre compte ? On invoque l'intégration dans le groupe. En effet,
certains bizutages sont tellement symboliques de l'entrée dans le groupe que s'y refuser entraîne
parfois l'exclusion de la liste des anciens élèves de telle ou telle école. Mais est-on sûr
que ce soit l'intégration souhaitable aujourd'hui ?
On a dit que les excès étaient déjà passibles de poursuites judiciaires. Je ne sais
comment l'enfermement pendant des heures d'une personne dans une chambre froide est passible de poursuites devant
la justice. Mais tous ces excès le seraient-ils - et, à mon avis, ils ne le sont pas - que l'on se
heurterait au même problème que pour les délits et crimes sexuels : l'impossibilité
psychologique et sociale pour la victime de porter plainte. Or, l'objectif de ce projet de loi est de s'adresser
d'abord aux victimes et de penser d'abord à elles. C'est pourquoi l'inscription du délit de bizutage
me paraît tout à fait justifiée.
Je n'invoquerai que pour le principe l'argument de l'image que donne la jeunesse française dans des échanges
scolaires et universitaires qui se multiplient. Chacun garde en mémoire la réaction des élèves
allemands lors des échanges avec l'Ecole nationale supérieure des arts et métiers.
Mais l'essentiel du projet de loi que vous nous soumettez, madame la ministre, est consacré aux délits
et crimes concernant les enfants : ce texte prévoit l'aggravation de certaines peines, la modification des
termes de la prescription et la création du suivi socio-judiciaire.
Pendant longtemps, la notion de crime sexuel a visé essentiellement des phénomènes exceptionnels
qui bouleversaient l'opinion publique : enlèvements d'enfants accompagnés de sévices, viols,
meurtres. La société comptait ainsi quelques individus abominables mais rares.
Mais, depuis quelques années, notamment depuis 1991 et le vote de la loi étendant la prescription
à dix ans après la majorité, les affaires ont commencé à se multiplier. Leur
nombre n'est pas très grand, mais tout de même : 1 723 condamnations pour atteintes sexuelles, agressions
sexuelles et viols sur mineur de moins de quinze ans en 1994.
L'attention de l'opinion s'est focalisée sur un certain nombre d'affaires concernant des éducateurs,
des enseignants ; je pense également au cas terrible de ce foyer de l'enfance en Grande-Bretagne.
Puis sont intervenues la saisie des cassettes pédophiles, la mise au jour des réseaux et l'inculpation
des utilisateurs de ces cassettes. Entre la pédophilie et l'utilisation de telles cassettes, les données
me paraissent de toute façon différentes, même si, à l'origine, il y a bien sûr
des enfants, qui sont soit prostitués, soit amenés par différents moyens à avoir des
relations sexuelles.
L'opinion publique s'est ainsi émue, ces derniers temps, d'affaires à connotation homosexuelle, même
si l'on sait qu'un certain nombre de plaintes et de condamnations ont touché des foyers dans lesquels des
éducateurs ont abusé de jeunes filles, notamment de malades mentales.
Dans l'opinion, l'agression sexuelle devenait ainsi plus fréquente que dans le passé, à dominante
homosexuelle et liée à des milieux éducatifs.
Notre discussion intervient dans ce contexte, bien réducteur par rapport à la réalité.
Or, si un certain nombre de personnes ayant travaillé sur ce sujet connaissent ou du moins pressentent la
réalité, l'opinion, quant à elle, la méconnaît ou la refuse.
La réalité est d'abord dans la fréquence des abus sexuels sur des mineurs : ils s'élèvent
à 10 000 par an selon la direction centrale de la police judiciaire, qui évalue à plus de
4 000 le nombre annuel de viols. En 1996, le service national d'accueil téléphonique pour l'enfance
maltraitée a reçu 960 000 appels ; 130 000 ont pu recevoir une réponse, dont 23 000 portaient
sur des abus sexuels.
La réalité est dans la proximité de celui qui commet les actes : 75 % des auteurs font partie
de l'entourage familial ; 43 % des abus, soit près de la moitié, sont le fait du père. Et
l'on sait que, quand il y a plusieurs filles, toutes ces dernières sont amenées à avoir des
relations sexuelles avec leur père, parfois avec le consentement de la mère, parfois avec son refus
de savoir. J'ai dit « avoir des relations sexuelles avec », puisque l'on sait bien que, dans ces cas-là,
il n'y a pas réellement viol. Ce sont ces situations qui sont les plus fréquentes et qui constituent
l'enfer quotidien de milliers de petites filles.
C'est pourquoi j'ai désiré que la commission des affaires sociales soit saisie pour avis de ce dossier.
Je l'ai souhaité non pas seulement pour des problèmes de remboursement de soins ou de nature du médecin
qui donnera son avis sur le suivi médical, quand ce dernier existera, mais parce que le crime ou le délit
sexuel, quand il se produit, bouleverse toute la famille - les frères et soeurs, les parents - et que la
très grande majorité des abus sexuels se situe dans la famille, derrière ces foyers clos,
ces portes refermées, là où Gide voyait la protection jalouse du bonheur, mais où se
créent parfois des situations irréparables.
J'ai souhaité la saisine de la commission des affaires sociales parce qu'il faut que nous sachions tout
cela et que nous le disions, parce que la parole libérée des enfants - elle l'est déjà
aujourd'hui et le sera encore plus demain - va nous le crier à la figure.
Mes chers collègues, dénoncer un fait, dire que c'est un délit, que c'est un crime, ne pas
seulement se focaliser sur le fait minoritaire, marginal, mais cibler aussi l'essentiel, surtout s'il est difficile
à dire et à admettre, c'est la responsabilité du législateur, et l'honneur de l'homme
ou de la femme politique. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen, et sur les travées socialistes.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE
M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues,
le 20 novembre prochain, nous célébrerons pour la deuxième fois la journée des droits
de l'enfant, adoptée à l'unanimité en 1996 sur la proposition des parlementaires communistes.
Notre pays s'honore aujourd'hui en se préparant à se doter d'une législation tendant à
renforcer la protection des mineurs victimes d'agressions sexuelles et à lutter contre la récidive
en la matière, afin de montrer sa volonté de faire « des droits de l'enfant » un véritable
engagement politique.
C'est pourquoi nous nous félicitons, d'une part, du fait qu'un tel projet de loi vienne en débat
au Parlement en début de session et, d'autre part, du travail de concertation mené par le Gouvernement
et la commission des lois du Sénat afin d'obtenir l'approbation d'une grande partie des professionnels concernés
par les mesures proposées.
Nous allons donc aborder un sujet d'une extrême gravité et nous devons le faire dans la sérénité,
sans débordement, ni dérive.
Je veux rappeler ici qu'en 1994 a été adoptée ce qu'on a appelé la « peine de
prison perpétuelle » pour les criminels sexuels, mais sans pour autant s'attaquer aux causes profondes
et aux risques de récidive.
Notre code pénal dispose ainsi d'un arsenal répressif important en la matière ; mais la réalité
montre que les textes seulement répressifs ne suffisent pas. Et c'est bien la raison pour laquelle ce projet
de loi est discuté aujourd'hui au Parlement.
Les agressions sexuelles commises à l'encontre des enfants entraînent une colère instinctive
et légitime. Il convient d'y apporter des réponses permettant à la société de
se protéger contre ces délits et ces crimes et, en même temps, d'améliorer les textes
pour prévenir la récidive.
C'est ainsi que, comme nous le verrons dans le détail, le projet de loi institue, d'une part, une peine
de suivi socio-judiciaire et, d'autre part, un statut juridique des mineurs victimes.
Le présent projet de loi corrige les principaux défauts du précédent projet de loi
déposé par M. Toubon. Ce dernier, en effet, visait à créer une véritable obligation
des soins, confondant ainsi les rôles respectifs du juge et du médecin. Cela avait soulevé
à l'époque un tollé quasi général, surtout de la part du corps médical,
car cette disposition était contraire à l'éthique médicale.
Le système qui nous est proposé aujourd'hui a été accueilli favorablement par les corps
professionnels concernés. Cette peine complémentaire de suivi socio-judiciaire a également
reçu une large adhésion de la part des personnes présentes aux auditions de la commission
des lois.
Le principe en est simple : au moment du jugement, la juridiction pourra, en plus de la peine de prison, imposer
au condamné des mesures de surveillance et d'assistance qui s'appliqueront dès sa libération.
Ce suivi socio-judiciaire est non plus seulement médical, mais aussi social, et c'est cette innovation qui
doit participer à la prévention et à la limitation de la récidive en matière
d'agressions sexuelles.
Le condamné sera placé sous surveillance du juge d'application des peines pour une durée de
cinq ans pour un délit et de dix ans pour un crime.
La commission des lois propose de porter ces durées respectivement de cinq ans à dix ans pour les
délits, et de dix ans à vingt ans pour les crimes.
Doit-on nécessairement aller vers une telle escalade dans l'échelle des peines de suivi socio-judiciaire
?
Les moyens prévus pour mettre en oeuvre l'application de la présente loi seront-ils suffisants pour
couvrir un tel allongement de la durée de ce suivi ?
Nous ne devons pas tomber dans l'excès et nous laisser tenter par un « suivi à vie ».
Ce suivi pourra par ailleurs s'accompagner de certaines obligations telles que l'interdiction de fréquenter
certains lieux accueillant des mineurs, d'entrer en relation avec des mineurs ou d'exercer une profession ou une
activité bénévole impliquant un contact avec des mineurs.
Le condamné devra également consulter un médecin qui lui remettra, à intervalles réguliers,
des attestations destinées au juge de l'application des peines.
En cas d'inobservation de ces obligations, le juge de l'application des peines pourra ordonner sa réincarcération
pour une durée de deux ans pour un délit et de cinq ans pour un crime.
Là encore, la commission des lois s'inscrit dans une logique répressive accrue, puisqu'elle fixe
à cinq ans la peine prévue en cas de violation du suivi socio-judiciaire sans faire la distinction
entre un crime et un délit ; cela nous choque.
Par ailleurs, alors que, dans le projet de loi de M. Toubon, l'injonction de soins ne pouvait être prononcée
que par la juridiction de jugement, le présent texte, quant à lui, l'instaure également pour
le juge de l'application des peines. Ainsi, tout ne reste pas figé au jour de la condamnation.
Cette formule souple permet, par exemple, si le détenu évolue lors de son incarcération, de
lui imposer une injonction de soins, avec l'accord des experts, même si elle n'avait pas été
prévue initialement dans le suivi.
De plus, contrairement au premier texte, qui interdisait tout suivi si l'expert concluait que le condamné
était inaccessible aux soins, les présentes dispositions permettent, dans ce cas, un suivi socio-judiciaire
sans injonction de soins.
L'injonction de soins suppose toujours le consentement du condamné car, plus qu'une obligation de se soigner,
il s'agit d'une modalité facultative de la mesure de suivi socio-judiciaire dont l'objet est d'inciter le
condamné à se soigner.
Il convient de faciliter autant que faire se peut un tel traitement et d'inciter le condamné à y
recourir.
C'est ainsi que, tous les six mois, le juge de l'application des peines devra proposer aux délinquants sexuels
de suivre un traitement.
Il faut savoir que les auteurs de violences sexuelles ont besoin d'une sorte d'incitation ferme pour accepter des
soins qui peuvent être, à terme, profitables à eux-mêmes ainsi qu'à la société.
Nous regrettons, en l'occurrence, que la commission des lois ramène à une fois par an seulement,
au lieu de deux fois dans le texte, l'information faite au condamné de la possibilité de suivre un
traitement.
Bien évidemment, ces dispositions vont devoir s'accompagner de moyens nouveaux.
La réussite d'une telle politique d'incitation repose, pour l'essentiel, sur le développement de
moyens en termes de personnels, mais aussi concernant les services médico-psychologiques régionaux
des prisons, qui dépendent de l'hôpital public et qui sont actuellement au nombre de vingt-six.
La mise en oeuvre de ces soins sera assurée par le biais d'un médecin coordonnateur chargé
de faire la liaison entre le juge de l'application des peines et le médecin traitant.
S'agissant des dispositions contenues dans le projet de loi tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale
et relatives au suivi socio-judiciaire, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen
y son favorables et ils espèrent vivement qu'elles contribueront à limiter substantiellement le taux
de récidive en matière de crimes et de délits commis sur des enfants.
En les acceptant, ils estiment contribuer à quelque chose d'important, de très important.
J'en arrive maintenant aux dispositions du texte qui tendent à renforcer la protection et la défense
des mineurs victimes d'infractions sexuelles.
En instituant ce statut des mineurs victimes, le texte qui nous est proposé marque une innovation notable
dans le droit pénal français.
Tout d'abord, le projet de loi prévoit que les modalités de prescription des crimes et des délits,
prescription qui court depuis 1989 non pas à partir des faits mais à partir de la majorité
de l'enfant, seront étendues aux infractions commises par toute personne et non plus seulement par les personnes
ayant autorité sur la victime ou par les parents, ce qui élargit les possibilités de poursuivre
les auteurs d'infractions sexuelles.
Par ailleurs, la prescription des délits d'agression ou d'atteintes sexuelles les plus graves est portée
de trois à dix ans, comme pour les crimes. Ainsi, le mineur victime d'un délit ou d'un crime pourra
porter plainte jusqu'à l'âge de vingt-huit ans, au lieu de vingt et un ans actuellement.
En matière de prescription, il faut se méfier de la confusion entre les délits et les peines
qui pourraient en résulter, ainsi que de la disproportion avec d'autres crimes qui ne sont pas visés
par les règles spécifiques de prescription.
Le texte pose ensuite en principe l'obligation d'une expertise médico-psychologique des mineurs victimes,
aux fins d'apprécier la nature et l'importance du préjudice subi ainsi que la nature des soins à
dispenser, ce que nous apprécions positivement.
De plus, le fait que les soins dispensés aux mineurs de moins de quinze ans victimes soient enfin pris en
charge est à saluer.
Toutefois, nous souhaitons étendre cette prise en charge intégrale des soins à tous les mineurs
victimes d'abus sexuels, et non plus seulement aux moins de quinze ans.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit que les victimes seront représentées par un administrateur
ad hoc au cours de la procédure lorsque la protection de leurs intérêts n'est pas assurée
par leurs représentants légaux.
Cette disposition est d'importance puisque l'on sait que, dans 80 % des cas, les infractions sexuelles commises
sur un mineur sont le fait des parents et que, par voie de conséquence, les intérêts de l'enfant
ne peuvent être défendus par les parents.
Nous proposons, comme le fait la commission des lois, d'aller plus loin en permettant de désigner cet administrateur
dès le stade de l'enquête.
Nous proposons aussi que le mineur soit assisté d'un avocat dans le cadre d'une procédure pénale,
et ce dès le début de l'enquête. En effet, il serait anormal que le mineur délinquant
bénéficie d'un avocat dès le début de l'enquête alors que, lorsque le mineur
est la victime, il n'en bénéficie pas.
Ces deux mesures renforceraient légitimement la défense des mineurs dans la procédure pénale.
Quant aux auditions, le texte prévoit leur enregistrement audiovisuel afin d'en limiter le nombre et d'éviter
ainsi de nombreux traumatismes à l'enfant quand il doit dire et redire les faits, surtout lorsque ces auditions
surviennent longtemps après les faits, réduisant à néant les effets bénéfiques
des thérapies suivies par les victimes. Il est estimé, en effet, qu'un enfant victime de violences
doit répéter son récit en moyenne près de dix fois, depuis les premières révélations
effectuées auprès de l'instituteur, puis auprès du directeur de l'école, jusqu'au procès,
en passant par l'assistance sociale, les officiers de police judiciaire de la brigade des mineurs, le médecin
légiste, le juge d'instruction, les éducateurs, l'avocat.
Il est fort regrettable qu'en la matière il n'y ait aucune coordination entre les services. Il est donc
grand temps de prendre en considération la situation de l'enfant dans la procédure pénale,
sans ajouter de traumatismes. C'est en ce sens que devrait aller la proposition d'enregistrer les auditions.
Toutefois, cet enregistrement audiovisuel soulève d'ores et déjà de nouvelles et nombreuses
questions.
Le projet de loi prévoit que les enregistrements originaux seront placés sous scellés et que
des copies pourront être consultées au cours de la procédure. Il faut être vigilant quant
à l'utilisation de ces copies ! Une seule copie ne pourrait-elle pas suffire ? Ne pouvons-nous prévoir,
comme le préconise la commission des lois, une transcription sur papier du témoignage de l'enfant
afin d'éviter d'influencer les jurés, l'image étant plus forte que l'écrit ?
Ne faut-il pas envisager, également, la destruction de l'enregistrement et de la copie à l'issue
de l'extinction de l'action publique, pour éviter des manipulations incontrôlées ou bien encore
que ces enregistrements resurgissent longtemps après, une fois la victime devenue adulte, avec tout ce que
cela peut comporter comme nouveaux traumatismes ?
D'autres questions juridiques demeurent quant à la valeur juridique de la cassette, son utilisation dans
la procédure, sa transmission entre diverses institutions, son archivage, etc.
Des questions de moyens, auxquelles il faudra répondre, madame le garde des sceaux, sont aussi soulevées
par ces dispositions. En effet, eu égard à la faiblesse des moyens de la police et de la justice,
rares seront les commissariats et les palais de justice équipés de caméscopes et de magnétoscopes.
De plus, la mise en place de cette nouvelle technique va nécessiter une formation des personnes qui entendront
les enfants dans ces conditions.
Déjà, à l'heure actuelle, certains policiers qui interrogent les enfants reçoivent
une formation afin d'acquérir les bases nécessaires, car ils ne sont pas préparés à
entendre ce qu'un enfant âgé de trois, huit ou douze ans a à leur dire. Les efforts doivent
donc être poursuivis en la matière.
Bien évidemment, nous apprécions le fait que le mineur soit accompagné par une personne qualifiée
lors de ces auditions et que seules les confrontations des mineurs strictement nécessaires à la manifestation
de la vérité soient effectuées par le juge d'instruction.
Il est à noter également avec satisfaction que la liaison entre les diverses instances judiciaires
soit mieux assurée.
Par ailleurs, le projet de loi renforce la répression des infractions sexuelles, les atteintes à
la dignité humaine et les infractions mettant en péril les mineurs.
A l'occasion de l'examen d'un tel texte, la tentation est grande d'alourdir davantage les peines, déjà
revues à la hausse lors de la refonte du code pénal, alors qu'on a pu constater qu'une répression
accrue ne réglait pas tout à elle seule. Méfions-nous, par conséquent, du tout répressif
!
En revanche, il était nécessaire de considérer comme circonstance aggravante l'utilisation
de moyens modernes de communication, tels que le Minitel et Internet, pour entrer en contact avec la future victime.
De même, il était grand temps de prévoir la répression du « tourisme sexuel »
- quelle horrible expression ! - y compris en dehors de nos frontières.
C'est ainsi que les crimes et délits commis à l'étranger sur des mineurs par des Français
seront sanctionnés, quand bien même ils ne seraient pas incriminés par la législation
du pays où ils auraient été commis.
Est également prévue, à juste titre, la responsabilité pénale des agences de
voyage proposant du « tourisme sexuel ».
Concernant le délit spécial de bizutage, créé par le projet de loi et dont la commission
des lois demande la suppression, je ferai quelques observations.
La récente actualité a mis en évidence des abus préoccupants, lors de séances
de bizutage, qui ont amené le Gouvernement à réagir en rédigeant une circulaire spécifique,
en mettant à disposition un « numéro vert » et, enfin, en créant un nouveau délit
réprimant ces pratiques d'un autre âge.
Nous avons tous été légitimement choqués par ce que nous avons pu entendre et lire
dans la presse sur les détails sordides du déroulement de ces cérémonies plus que douteuses,
aux conséquences dangereuses pour l'individu. Mais faut-il légiférer en la matière
en insérant dans notre code pénal, au demeurant suffisamment répressif, un nouveau délit,
alors que figurent déjà dans ce code de nombreuses infractions susceptibles d'être retenues
pour qualifier certaines pratiques déplorables de bizutage ? Je pense notamment aux violences, agressions
sexuelles, mise en danger d'autrui, administration de substances nuisibles, etc.
En l'espèce, dans le cadre d'un nouveau climat de lutte déterminée contre les pratiques de
bizutage, il faut surtout que les autorités compétentes engagent des poursuites disciplinaires à
l'encontre des auteurs de ces faits et que la loi pénale s'applique.
Nous avons entendu l'intervention de notre excellent collègue Michel Dreyfus-Schmidt. Comme lui, nous pensons
que, au cours de l'examen des articles et des amendements, nous aurons l'occasion d'y réfléchir encore,
de même que nous reviendrons plus longuement sur certains thèmes.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen accueillent d'ores et déjà
favorablement l'ensemble des mesures proposées et ils espèrent que le débat pourra les enrichir
encore.
Ils comptent également sur l'effectivité des moyens, qu'ils soient financiers ou en personnels, pour
leur bonne mise en oeuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen et sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, M.
Jacques Toubon, alors garde des sceaux, avait déposé, dans un climat chargé d'émotion
dont chacun se souvient, un projet de loi renforçant la prévention et la répression des infractions
sexuelles. Depuis, d'autres affaires ont été relatées par les médias, toutes aussi
dramatiques, toutes aussi scandaleuses, toutes aussi odieuses pour les victimes et leur famille.
Trop longtemps niée, la réalité de cette violence s'incarne pourtant dans des chiffres qui
donnent toute l'ampleur de ces tragédies : 65 000 enfants en danger dans notre pays en 1995, c'est autant
de vies qui peuvent être brisées ; 5 500 enfants victimes d'abus sexuels, c'est 5 500 innocences détruites.
De plus, si la médecine connaît encore mal les troubles du comportement, les experts ont établi
la certitude qu'il y a un risque élevé de récidive si aucune prise en charge médicale
ou psychothérapique n'est offerte à ceux qui en souffrent.
Or l'opinion publique a été frappée, dans toutes les affaires qui ont été relatées
par les médias, par le nombre de récidivistes qui y figurent. Le jeu des réductions et des
remises de peine remettant en liberté des auteurs d'infractions graves sans qu'ils aient été
soignés contribue au malaise ressenti par nos compatriotes.
L'augmentation du nombre des infractions sexuelles, plus particulièrement de celles qui sont commises sur
les mineurs, avait conduit, ainsi que je viens de le rappeler, le précédent gouvernement à
déposer un projet de loi. Je me réjouis que vous ayez repris le principe de ce projet, mais je déplore
qu'avec le texte que vous nous soumettez vous ne soyez pas en mesure d'atteindre les objectifs que vous vous êtes
fixés, c'est-à-dire la prévention et le renforcement de la protection des victimes.
En effet, tel qu'il nous a été transmis par l'Assemblée nationale, ce texte ne met pas les
soins médicaux au centre du dispositif et, par là même, n'apporte pas une réponse adaptée
au grave problème de la récidive.
Je regrette que vous ayez combattu, à l'Assemblée nationale, un amendement qui aurait fait de l'injonction
de soins une obligation lorsque l'expertise médicale établissait que le patient était susceptible
de suivre un traitement médical. Cet amendement apportait une réponse au risque de récidive,
risque qu'il est de notre devoir de réduire au maximum.
Il ne s'agissait pas, d'ailleurs, d'une proposition contraire à notre droit pénal, puisque l'article
L. 132-45 du nouveau code pénal relatif à la mise à l'épreuve permet d'obliger le condamné
à se soumettre à des mesures médicales. Il en est de même de l'article L. 132-26 sur
le régime de semi-liberté. Ce point étant fondamental, le groupe du RPR déposera un
amendement instaurant une obligation de soins.
En effet, je le répète, comment expliquer à l'opinion publique, aux parents des victimes,
qu'un condamné ne soit pas tenu de se faire soigner dès lors qu'un expert médical a attesté
qu'il était malade et qu'il pouvait faire l'objet d'un traitement ?
Quelle serait notre responsabilité, mes chers collègues, si nous laissions cette brèche dans
notre législation ?
De même, nous ne pouvons que regretter la faible durée qui est prévue pour le suivi sociojudiciaire,
d'autant que, pour une majorité de médecins, les délinquants peuvent redevenir aussi dangereux
qu'avant dès qu'ils ont arrêté le traitement. Aussi, je tiens à appuyer la volonté
de notre rapporteur de porter la durée de la peine de suivi socio-judiciaire au maximum à dix ans
en cas de délit et à vingt ans en cas de condamnation pour crime.
Nous ne pouvons également qu'approuver les propositions de la commission tendant à alourdir les peines
prévues en cas d'inobservation du suivi socio-judiciaire.
En outre, je me réjouis que l'Assemblée nationale ait adopté certains des amendements de nos
collègues de l'opposition qui améliorent ce texte. Il en est ainsi de la création d'un fichier
national des empreintes génétiques des condamnés pour crimes sexuels, de la suppression de
la possibilité pour les détenus qui suivent un traitement en prison de bénéficier d'une
libération conditionnelle, du fait de soumettre la sortie de l'hôpital psychiatrique des criminels
déclarés pénalement irresponsables à l'avis conforme d'une commission composée
d'un représentant de l'autorité administrative, de deux médecins, dont un psychiatre, d'un
magistrat et d'un médecin traitant.
Par ailleurs, vous me permettrez d'évoquer le dispositif proposé pour les atteintes à la dignité
de la personne commises en milieu scolaire, éducatif ou sportif.
On peut considérer que ce dispositif est superfétatoire, puisque les différentes incriminations
prévues par le code pénal permettent d'atteindre toutes les hypothèses visées, notamment
la mise en danger d'autrui et les violences. La Cour de cassation prend d'ailleurs en compte, ainsi que l'a souligné
notre excellent rapporteur M. Jolibois, le « choc émotif » causé par des violences, même
si elles n'ont pas occasionné de dommages directs pour la victime.
En la circonstance, plus qu'un texte de loi, il faut une volonté de la part des autorités qui sont
investies de pouvoirs disciplinaires et qui ont toujours la possibilité de saisir le procureur de la République
aux fins de poursuites.
Madame le ministre, le groupe du RPR votera ce projet de loi si les amendements qu'il juge essentiels sont adoptés.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
|