Commentaire de Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l'homme, sur la liste publique de la LDH le 10 juillet 2001
Texte publié le 19 juillet par IRIS
en complément de son communiqué de presse du 9 juillet 2001
Subject: [Ldh-Rezo] A PROPOS DU COMMUNIQUE DE L'IRIS Date: Tue, 10 Jul 2001 17:19:35 +0200 From: "LDH" <ldh@wanadoo.fr> To: "LDH rezo" <ldh-rezo@ras.eu.org> L'IRIS avec laquelle la LDH a discuté à plusieurs reprises des problèmes concernant le net a publié une analyse concernant l'action engagée à l'encontre des principaux intermédiaires techniques par une association dénommée "J'accuse...Action Internationale pour la Justice". De quoi s'agit-il ? Il a été créé un portail dénommé "Front 14" qui accueille exclusivement des sites racistes et néo-nazis. L'association évoquée plus haut a demandé aux principaux fournisseurs d'accès regroupés au sein de l'association AFA d'empêcher l'accès à ce portail raciste dont la localisation est extérieure aux frontières européennes. Ceux-ci n'ayant pas satisfait à cette demande, une assignation a été délivrée. La LDH s'est jointe à cette procédure et je voudrais donc dire ce en quoi je ne partage pas la position de l'IRIS et ce en quoi je suis d'accord avec elle. Le premier point qui fait désaccord est l'affirmation selon laquelle les fournisseurs d'accès n'ont pas pour rôle de "contrôler ni de limiter de leur propre chef les allées et venues sur Internet de tous les citoyens...Ce rôle appartient aux seuls pouvoirs publics". Bien entendu, en laissant de côté les échanges de correspondances privées lesquels doivent être absolument secrets et sans interventions des fournisseurs d'accès, je partage l'avis selon lequel les fournisseurs d'accès ne sont pas chargés de faire la "police". Ceci dit, le propos a ses limites et ses limites ce sont l'existence de textes non équivoques et parfaitement clairs. En l'espèce, nul ne discute, l'IRIS ou les fournisseurs d'accès que la législation française et, pour une grande part européenne, prohibe le racisme et le négationnisme. La marge d'interprétation de ces textes est quasiment nulle, au regard en tout cas de ce qui figure sur "Front 14". Dès lors, ce n'est pas demander aux fournisseurs d'accès de se faire juge du contenu de ce site que de leur demander de respecter la loi et de ne pas permettre l'accès à ce site. Cela dit, la première demande qui a été faite l'a été de manière amiable. Ce n'est que sur le refus des fournisseurs d'accès que la procédure a été engagée. En l'espèce, c'est donc revenir au droit commun en laissant au juge le soin de décider. Ce ne sera donc plus les fournisseurs d'accès qui feront "la police", ce sera le juge, ce qui me semble-t-il n'est pas contestable dans une société démocratique. Viennent ensuite deux arguments : le premier reproche à la démarche judiciaire "d'opposer la seule censure généralisée, notamment par des moyens techniques, aux manifestations de négationnisme et de racisme sur internet". Je ne vais pas reprendre ce débat. Je suis bien d'accord que ce n'est pas uniquement en justice que se règle cette lutte contre le racisme et la LDH refuse plus souvent qu'à son tour d'engager des actions judiciaires à ce propos. Ce qui nous a déterminé, c'est qu'en l'espèce, le portail se veut "universel", si je peux employer ce mot à propos de racisme et a vocation à accueillir tous les sites de même nature. Les images et les propos saisis sur CD ROM révèlent une volonté de constituer un vrai bastion raciste appelé à se développer. Ici l'argument quantitatif a prévalu. c'était trop violent et trop important pour laisser passer. Le second argument est que l'on donne ainsi une fonction de puissance publique aux intermédiaires techniques. Là, juridiquement, le raisonnement est spécieux. Dès lors que les intermédiaires sont au courant d'une violation manifeste de la loi (et je voudrais rappeler qu'en matière de racisme les associations sont habilitées à exercer certaines des prérogatives de la puissance publique, par exemple le déclenchement d'une action pénale, normalement réservée à la victime ou au Parquet), ce n'est pas leur faire jouer un rôle de puissance publique, c'est de leur demander d'appliquer la loi. Je ne méconnais pas plus les dangers qui peuvent résulter de ce type de filtrage et en ce sens je partage les inquiétudes de l'IRIS sur le fait qu'il nous faut être très prudent sur le désir des États de tout contrôler. Pour ne pas aller jusqu'aux positions de l'IRIS sur la convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité, nous en partageons une bonne partie. Je suis aussi d'accord sur les limites que constitue le recours à un droit national. Ce qui m'amène à souhaiter comme l'IRIS une véritable convention internationale en ce domaine. Cela permettra de faire évoluer la position de ceux qui considèrent, cela ne vise pas l'IRIS, que la liberté d'expression n'a pas de limites. Mais au total, que reste-t-il de ce débat : d'abord et avant tout le refus des fournisseurs d'accès de prendre en compte une demande pour empêcher l'accès à un portail manifestement contraire à la loi et appelé à se développer. Ensuite, parce qu'ils ont refusé de prendre les mesures nécessaires, le recours à la Justice qu'ils dénoncent là aussi comme le risque d'une censure généralisée et au bout du chemin que faire ? Laisser un tel site se développer ? Nous ne l'avons pas pensé. Michel TUBIANA