Réponse de Meryem Marzouki, responsable d'IRIS, adressée à la liste publique de la LDH le 17 juillet 2001 (date de publication encore inconnue...)
Texte publié le 19 juillet par IRIS
en complément de son communiqué de presse du 9 juillet 2001
Subject: [adh] Filtrage sur Internet - Reponse a Michel Tubiana Date: Tue, 17 Jul 2001 10:36:00 +0200 From: Meryem Marzouki <meryem.marzouki@dial.oleane.com> Organization: IRIS - Imaginons un Reseau Internet Solidaire To: rezo@ldh.ras.eu.org CC: "adh@iris.sgdg.org" <adh@iris.sgdg.org> Bonjour, Je voudrais réagir, à titre personnel, aux commentaires de Michel Tubiana publiés sur cette liste à la suite de la diffusion du communiqué de presse d'IRIS. Ce communiqué exposait l'analyse de l'association sur la question du filtrage de l'accès à certains sites web hébergés à l'étranger. Nous avons publié cette analyse en relation avec l'action engagée contre des fournisseurs d'accès français, par l'association « J'accuse - AIPJ », rejointe par d'autres associations dont la LDH. Je ne souhaite pas, avec cette réaction, entrer dans une polémique interminable, mon objectif est plutôt de contribuer à clarifier les termes et enjeux du débat. Je m'en tiendrai aussi aux points de désaccords entre IRIS et la LDH, dont je me félicite au passage qu'ils s'amenuisent, et sur des points non moins importants que celui du filtrage de l'accès à Internet, comme par exemple la question de la responsabilité des fournisseurs d'hébergement. Le point de désaccord porte effectivement sur le rôle du fournisseur d'accès à Internet (FAI). Et notre propos, selon lequel il ne leur appartient pas de décider de ce qui peut être lu ou non, ne connait pas de limite, quelle que soit la clarté des textes réprimant l'incitation à la haine et à la discrimination, quelle que soit la clarté de l'incitation à la haine elle-même dans certains textes, et enfin quelle que soit la quantité de ces textes. En effet, nous parlons ici de filtrage d'accès à un site. En d'autres termes, il s'agit, pour un fournisseur d'accès français, d'empêcher que ses abonnés consultent un ou plusieurs sites donnés. Sans forcément que les abonnés en soient informés, d'ailleurs, ni, évidemment, qu'ils aient voix au chapitre sur les sites interdits de consultation. Or, la consultation n'est pas interdite me semble-t-il, ni, évidemment, signe d'adhésion aux informations consultées. Je m'étonne donc que l'on puisse interpréter la demande adressée aux fournisseurs d'accès comme une demande de respecter la loi, alors qu'une telle loi n'existe pas : elle n'est qu'en projet dans le texte soumis au Parlement (projet de loi sur la « société de l'information »). Nous avons donc là une première différence d'interprétation entre IRIS et la LDH : IRIS considère que les FAI n'ont pas comme rôle de fournir l'accès à une information spécifique, qu'ils auraient choisi de diffuser - voire d'exhiber ou, par une interprétation abusive du sens de l'abonnement payant, de vendre -, mais que leur rôle est de permettre, matériellement, à leurs abonnés d'accéder à tous les services du réseau Internet, sans bien entendu aucun contrôle ni surveillance de leur part. Il ne s'agit donc pas pour IRIS de protéger la liberté d'expression de fascistes et de racistes, ni même de protéger la liberté d'information de personnes qui seraient ou deviendraient sensibles à ces thèses, mais bien de protéger la liberté de circulation sur le réseau Internet de tous les citoyens. C'est pourquoi nous sommes contre le filtrage d'accès, qu'il soit rendu possible par la loi, qu'il soit ordonné par un juge, ou, a fortiori, qu'il soit décidé par un intermédiaire technique à la demande d'une association. Je voudrais également revenir sur le raisonnement suivi par IRIS, à savoir que l'on donnerait, en suivant les revendications des plaignants, une fonction de puissance publique aux intermédiaires techniques. Ce raisonnement s'est vu qualifié de « juridiquement spécieux » par Michel Tubiana. Bien que, nullement juriste, il ne me soit pas aisé de répondre sur ce plan à un avocat - qui plus est président de la LDH -, je vais m'employer à récuser cette qualification, avec deux arguments : Le premier argument est que, même si les intermédiaires techniques sont informés d'une violation manifeste de la loi, ces intermédiaires techniques n'ont pas à considérer cette information comme fondée, tant qu'elle n'est pas confirmée par une décision judiciaire. Parce que, justement, une décision judiciaire intervient dans le cadre d'une procédure contradictoire, normalement sereine et à l'abri de toute pression - médiatique, politique, administrative, économique, financière -, et susceptible d'appel. Le deuxième argument est que, si Michel Tubiana considère qu'« en matière de racisme les associations sont habilitées à exercer certaines des prérogatives de la puissance publique, par exemple le déclenchement d'une action pénale, normalement réservée à la victime ou au Parquet », je ne suis pas d'accord avec lui. D'une part, je pense que les associations ayant capacité à se porter partie civile, en matière de racisme comme en certaines autres matières, ne se sont pas vu conférer des prérogatives de puissance publique mais des prérogatives de victime. C'est en tous cas mon interprétation de la formule du code de procédure pénale, disposant que ces associations peuvent « exercer les droits reconnus à la partie civile ». D'autre part, il me semble nécessaire de ne pas étendre plus ces prérogatives (leur élargissement à d'autres matières n'étant pas ici en cause) : ne pas les étendre à des intermédiaires techniques, comme ne pas les étendre, justement, à des prérogatives dépassant celles des victimes. Or, à ma connaissance, les victimes ne disent pas le droit, elles se contentent de demander que justice leur soit rendue. Puisqu'il m'est donné de répondre après que le juge a rendu sa décision en première instance, je note que cette décision ne donne pas du tout tort à notre raisonnement, puisque le juge a considéré, justement, que la question nécessitait débat. Nous sommes donc, fort heureusement, bien loin d'une « évidence » à laquelle auraient dû se plier sans tarder les fournisseurs d'accès. Enfin, nos deux associations, comme plusieurs autres, se retrouvent au final pour constater l'immense difficulté d'empêcher dans l'immédiat que l'incitation à la haine, le racisme et le fascisme gagnent du terrain, y compris - mais non uniquement - en se déployant via le réseau Internet. La question du « que faire ? » se pose bien entendu. Il y a des pistes, mais le chemin est long, nous le savons. Ces pistes sont éducatives, et elles sont politiques. En aucune façon elles ne doivent mener vers un repli et une « protection » - par exemple au moyen du filtrage - d'un territoire où le refus serait acquis, celui des pays ayant adopté une législation réprimant l'incitation à la haine (mais où, est-il nécessaire de le rappeler, le « racisme ordinaire » s'étend de plus en plus, comme en France par exemple). La LDH va-elle tenir cet été à Durban des discours conventionnels, ou va-t-elle porter des revendications fortes comme celle, préconisée par IRIS, de l'interdiction, par les États réprimant le racisme, d'installation de filiales commerciales lorsque la maison mère n'affiche pas une politique antiraciste claire ? D'autre part, on sait peu que le Premier amendement de la Constitution américaine s'applique au Congrès des États-Unis et non aux organismes privés, commerciaux ou non. S'il est donc peu probable qu'un futur, même lointain, réprime l'expression raciste ou fasciste aux États-Unis, il est en revanche déjà possible de gagner des procès dans ce pays pour intimidation, harcèlement ou menace envers une ou des personnes. Il y a sans doute, là aussi, un travail à engager en collaboration avec les associations américaines de défense des droits de l'homme et de lutte contre le racisme. Cela ne peut que faire progresser l'idée que le racisme est une atteinte à la conscience universelle de l'humanité, et qu'il ne peut se concevoir comme une opinion. J'ai bien conscience que de telles pistes peuvent sembler utopiques, pour l'instant, et que demeurera la question centrale : « que faire dans l'immédiat ? ». Parce que nous nous situons parmi « ceux qui préfèrent le désordre à l'injustice », notre priorité demeure, pour citer notre communiqué de presse, d'empêcher de « rediriger, par un glissement subtil, la surveillance, le contrôle, et, in fine, la culpabilité, sur le citoyen ». Parce que le filtrage n'est pas une affaire de technique, ni de morale, mais de démocratie. Meryem Marzouki. -- Meryem Marzouki - Pages personnelles : http://asim.lip6.fr/~marzouki IRIS - 294 rue de Charenton, 75012 Paris, France Tel/Fax: +33(0)144749239 - http://www.iris.sgdg.org -- iris-adh Liste de discussion des membres d'IRIS Pour tout désabonnement: écrire à secretariat@iris.sgdg.org