2 Service public et service universel pour l'accès à Internet

2.1 Introduction

Les notions de service public et de service universel sont parfois confondues, volontairement ou par ignorance, dans certains discours. On a même vu la notion de service obligatoire, au contenu législatif pourtant bien défini, présentée comme le service public dans le discours ayant accompagné le projet de loi sur la société de l'information. Or ces notions sont très différentes, d'autant qu'elles ont été élaborées dans des contextes politiques et économiques différents. La notion de service universel n'a été en effet introduite que dans le cadre de la privatisation et de la déréglementation des télécommunications, en Europe comme en France. Il apparaît donc important de rappeler en premier lieu ces notions fondamentales et les logiques qui les déterminent.

La limitation du rôle de l'État et des collectivités locales, c'est-à-dire de la puissance publique, au financement d'une infrastructure exploitée par les seuls opérateurs privés à leur entier bénéfice a longtemps pris prétexte des « interdits européens ». Il apparaît aujourd'hui clairement que non seulement les collectivités territoriales peuvent effectivement devenir les opérateurs de leurs réseaux, mais que cette évolution est souhaitée par les collectivités elles-mêmes et par l'État, dans un but de décentralisation et d'aménagement du territoire. IRIS se félicite de cette tendance nouvelle, revendiquée par l'association depuis fort longtemps, et figurant par exemple dans son rapport d'analyses et de recommandations sur l'avant-projet de loi sur la société de l'information. Si les échecs retentissants dans le secteur des télécommunications, et plus particulièrement celui de France Télécom, peuvent avoir un effet positif, malgré le coût social et économique induit, cela doit assurément être celui de signer la fin de la régulation par le marché dans les économies de réseau, et le retour de la prise de conscience du rôle majeur de la puissance publique dans ce type d'économie, notamment à cause de ses externalités d'ordre social et économique.

Toutefois, décentralisation ne doit pas signifier désengagement - voire démission - de l'État, dont le rôle est essentiel pour pallier les disparités régionales, éviter la duplication des réseaux, favoriser les économies d'échelle et assurer une bonne péréquation sociale, géographique et tarifaire. Décentralisation ne doit pas non plus signifier opacité de gestion, ni financement abusif par l'impôt, puisque le fonds de service universel existe et peut être mobilisé à cet effet.

Après un rappel des principales notions et un approfondissement de ces points, IRIS propose dans ce document ses recommandations pour la mise en place d'un service public d'accès à Internet.

NB. Dans le cadre spécifique de cette consultation, il n'est pas pertinent de discuter des autres dimensions de l'accès à Internet, correspondant d'une part à l'acquisition d'une base culturelle informatique et électronique minimale par tous afin de maîtriser les transformations de la société dans tous ses aspects, pratiques et citoyens et d'autre part à la disponibilité de logiciels applicatifs de base ou plus spécifiques, notamment par l'encouragement de la production et de l'utilisation de logiciels libres.

2.2 Service public, service universel et missions d'intérêt général

Comme le rappellent de nombreux chercheurs de ce domaine, un service public correspond à un projet politique de transformation sociale, à travers la transformation des structures économiques et sociales, sous l'impulsion d'un État porteur d'une vision politique forte. Un service public, surtout en économie de réseau, s'exerce généralement à travers un monopole, chargé de remplir des missions d'intérêt général.

La notion de service universel est consubstantielle à celle de marché dans les économies de réseau. Elle sert à compenser le rôle prépondérant des nouveaux monopoles privés, constitués de fait par des acteurs économiques ayant acquis une position dominante (notion générale du droit de la concurrence) ou encore une position dite d'« opérateur puissant » (notion spécifique au secteur des télécommunications). Comme le souligne Philippe Bouquillon, professeur à l'université Paris 8, dans une communication présentée lors d'un colloque organisé par le syndicat SUD-PTT en octobre 2001 (voir le site www.sudptt.fr pour les documents correspondants), le service universel a pour objectif de «  réguler les [...] utilités publiques [qui] sont des actions économiques menées par des agents privés [aux] conséquences économiques ou sociales particulièrement fortes sur leur environnement. Leur régulation, à travers le service universel, doit permettre de s'assurer que le caractère privé et de gestion marchande de ces activités économiques n'entrave pas les bénéfices économiques et sociaux dont peut bénéficier l'environnement. Le service universel a donc une définition « fonctionnelle ». Il est destiné à maximiser les avantages procurés à la communauté tout en respectant les intérêts légitimes des opérateurs industriels marchands ».

En droit français, le service public est défini par trois composantes dont le contenu est précisément énuméré : le service universel, les services obligatoires et les missions d'intérêt général (articles L35 à L35-7 du Code des postes et télécommunications). L'opérateur chargé d'assurer le service universel et les services obligatoires est France Télécom, mais rien n'empêche d'autres opérateurs de les assurer s'ils le souhaitent et s'ils en ont la capacité. Les services contenus dans le service universel et dans les services obligatoires doivent être fournis sur l'ensemble du territoire. La différence entre service universel et services obligatoires réside dans la faculté de déterminer les tarifs de ces services : si le tarif du service universel est homologué par la puissance publique nationale, ceux des services obligatoires peuvent être librement déterminés par l'opérateur qui en a la charge, sauf dans le cas où une concurrence existe, les tarifs étant alors homologués comme pour le service universel.

Le contenu du service universel est ainsi défini : « le service universel des télécommunications fournit à tous un service téléphonique de qualité à un prix abordable. Il assure l'acheminement des communications téléphoniques en provenance ou à destination des points d'abonnement, ainsi que l'acheminement gratuit des appels d'urgence, la fourniture d'un service de renseignements et d'un annuaire d'abonnés, sous formes imprimée et électronique, et la desserte du territoire national en cabines téléphoniques installées sur le domaine public ». Il est également précisé que sa fourniture se fait « dans des conditions tarifaires et techniques prenant en compte les difficultés spécifiques rencontrées dans l'accès au service téléphonique par certaines catégories de personnes en raison notamment de leur niveau de revenu ou de leur handicap »

La loi définit ainsi le contenu des services obligatoires : « une offre, sur l'ensemble du territoire, d'accès au réseau numérique à intégration de services, de liaisons louées, de commutation de données par paquet, de services avancés de téléphonie vocale et de service télex  ».

Les missions d'intérêt général sont définies en matière de défense, de sécurité, de recherche publique et d'enseignement supérieur.

La Commission supérieure du service public des postes et télécommunications est chargée de veiller au respect des principes du service public et notamment du service universel.

2.3 Des discours prometteurs qu'il reste à traduire en actes

IRIS se félicite que les discours officiels au plus haut niveau reconnaissent enfin l'échec patent d'une stratégie fondée sur la seule « régulation » par le marché du déploiement de l'infrastructure et de l'accès à Internet et semblent préparer le retour à un rôle important de l'État et des collectivités locales dans le double objectif d'une généralisation de l'accès à Internet - y compris en haut débit - et d'un bon aménagement du territoire.

Le discours de la ministre chargée de la Recherche et des Nouvelles Technologies, prononcé lors de l'édition 2002 de l'Université d'été de la communication à Hourtin (www.recherche.gouv.fr/discours/2002/dhourtin.htm), est à ce titre édifiant : « les concepts abstraits d'« autoroutes de l'information », le gonflement puis l'éclatement de la « bulle Internet », la réussite mitigée des « opérateurs alternatifs », les promesses non tenues de l'Internet mobile, les tergiversations réglementaires et techniques sur le mobile de troisième génération ont, en effet, eu un impact négatif sur la perception des nouvelles technologies par les Français ».

Sur le point particulier de l'accès, la ministre poursuit ainsi : « en décembre 2001, la France comptait 7,1 millions d'abonnés actifs à l'Internet, résidentiels ou professionnels. Parmi ceux-ci, les abonnés bénéficiant du haut débit (câble, ADSL) représentaient un peu moins de 10% - soit 600 000 abonnés. L'opinion publique a clairement conscience d'une inégalité d'accès à l'Internet, aussi bien sur le mode connecté qu'en haut débit : 75% de nos concitoyens estiment que tous n'ont pas les mêmes chances d'accès à Internet, et considèrent qu'Internet devient un critère de sélection déterminant à l'embauche. Nous devons focaliser nos objectifs sur ces deux chiffres d'abonnés Internet et d'abonnés haut débit - puisque pour l'un comme pour l'autre nous sommes loin du peloton de tête en Europe - en utilisant les possibilités incitatrices et régulatrices de l'État ».

Le discours du ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l'État, prononcé à la même occasion, va dans le même sens tout en se concentrant sur la question de l'aménagement du territoire : « certaines collectivités ont aujourd'hui dans les zones les plus dynamiques accès à de telles infrastructures. Les autres, dans les zones moins favorisées, qui sont aussi le plus souvent les zones délaissées par les opérateurs, doivent également avoir les moyens de se développer. Au-delà des aspects liés au développement de l'Internet local [...], cette problématique soulève des enjeux d'aménagement du territoire considérables » (www.fonction-publique.gouv.fr/leministre/lesdiscours/discours-200209021647.htm).

L'Autorité de régulation des télécommunications note quant à elle dans son rapport de juillet 2002 sur l'adaptation de la régulation : « une telle évolution [revenir sur l'interdiction faite aux collectivités d'exercer l'activité d'opérateur] peut se justifier par les exigences d'aménagement du territoire au regard de la réalité du marché. Il apparaît aujourd'hui clairement que, même avec une aide des collectivités territoriales, certaines zones du territoire ne pourront être desservies par les opérateurs dans des conditions de rentabilité suffisante. Il pourrait donc être envisagé d'autoriser les collectivités qui le souhaitent, sous certaines conditions et dans les zones les moins desservies, à établir et à exploiter elles-mêmes un réseau de télécommunications » (www.art-telecom.fr/publications/rarefinal.pdf).

Notons par ailleurs que dans ce récent rapport, l'Autorité de régulation des télécommunications montre l'évolution de sa position depuis 1999 (www.art-telecom.fr/dossiers/su/) sur l'extension du service universel aux communications mobiles et à l'Internet haut débit, qu'elle considère désormais comme justifiée, tout en soulignant les problèmes juridiques soulevés au niveau européen à cet égard, et surtout en écartant son financement par le fonds de service universel, dans une curieuse et bien soudaine invocation de la solidarité nationale à propos du service universel, lequel a justement servi à légitimer la privatisation des télécommunications et ne peut être considéré que comme un ersatz de service public dans ce secteur  : « le service universel répondant à un objectif d'intérêt général, il serait logique que son coût soit assumé en amont par le budget d'État et non par les seuls acteurs d'un même secteur, choisis arbitrairement étant donné qu'il s'agit d'un secteur en pleine croissance. La solution budgétaire semble plus conforme au principe de solidarité nationale qui fonde la mise en oeuvre du service universel. En outre, la solution du financement par l'impôt présente l'avantage d'être neutre à l'égard du fonctionnement du marché ». Cette affirmation est d'autant plus contestable que la mise en oeuvre du service universel n'est bien entendu pas fondée sur le principe de solidarité nationale - seul le service public peut y prétendre -, mais sur un objectif fonctionnel destiné à corriger les disparités entre opérateurs dans un contexte concurrentiel d'une part et à limiter les effets négatifs de l'abandon du service public sur la collectivité d'autre part.

Au-delà de cette prise de position favorable aux opérateurs privés de la part de l'Autorité de régulation des télécommunications à propos du fonds de service universel, on retiendra de toutes façons que le discours politique a bel et bien évolué récemment.

Ce discours politique nouveau ne saurait être expliqué de façon simpliste par un changement de majorité politique, d'autant qu'il s'expliquerait assez curieusement - et ironiquement - de ce fait étant donné le sens du changement. Depuis 1997, avec l'annonce et le développement du « Programme d'action gouvernementale pour la société de l'information » par la précédente majorité, on a en effet peu relevé de divergences de fond entre les principaux partis de gauche et de droite sur toutes les questions liées à Internet, comme l'a souligné IRIS a plusieurs reprises, notamment à l'occasion des débats parlementaires et des votes subséquents.

Ces directions nouvelles annoncées, dont on attend bien sûr de voir comment elles seront effectivement mises en oeuvre, doivent plutôt être mises au compte de la prise de conscience d'une réalité qui dépasse malheureusement les pires pronostics et les mises en garde les plus sévères qui ont pu être avancés par certains acteurs associatifs et syndicaux dont fait partie IRIS.

Ainsi, comme le rapporte le journal en ligne 01net dans un dossier consacré à ce sujet en date du 9 septembre 2002 : « la déréglementation des télécommunications, entrée en vigueur à l'échelle européenne le 1er janvier 1998, a laissé le champ libre aux opérateurs privés pour créer des réseaux alternatifs aux monopoles publics et irriguer les territoires de technologies nouvelles. Quatre ans plus tard, le constat est sans appel : la concurrence est restée cantonnée aux grands centres économiques et, malgré les aménagements réglementaires pour éviter la création d'une trop grande fracture numérique, des zones géographiques entières restent sous-équipées. Si l'on s'en tient aux investissements des opérateurs déjà réalisés dans des infrastructures de boucle locale pour développer le haut débit, la France serait découpée en trois zones inégales. D'une part les zones blanches, c'est-à-dire les grandes agglomérations qui regroupent 65% de la population sur 10% du territoire [...]. Ensuite, les zones grises, les territoires disposant d'un potentiel économique, mais isolés des grandes infrastructures qui représentent 10% de la population sur 10% du territoire [...]. Enfin, les zones noires qui représentent 25% de la population sur 80% du territoire » (www.01net.com/rdn?oid=192817&rub=3363&page=0-192817).

Par ailleurs, il n'est plus possible de nier que la situation catastrophique du secteur des télécommunications, et l'incroyable situation dans laquelle se trouve actuellement France Télécom (plus de 70 milliards d'euros de dette, 12 milliards de pertes simplement pour le premier semestre 2002, comme le rappellent Pierre Khalfa et René Ollier dans une tribune du journal Libération du 18 septembre 2002) est non seulement le résultat de l'échec de la régulation par le marché dans les économies de réseau et de la stratégie qui visait à transformer une entreprise de service public en une firme multinationale, comme l'analysent les auteurs de cette tribune, mais aussi et surtout le produit tout à fait prévisible de la démission de l'État, voire de « la faillite de l'État régulateur porteur de l'intérêt général et d'une vision de long terme ».

2.4 Rôle de l'État et des collectivités locales pour un vrai service public de l'accès

Il est grand temps de mettre fin à cette stratégie - ou plutôt à cette absence de stratégie - dont le coût social et économique est énorme. Il est grand temps de redéfinir les contours et la mise en oeuvre d'une stratégie de service public pour l'accès à Internet, dans laquelle l'État comme les collectivités locales puissent jouer pleinement leur rôle dans une articulation rationnelle au service de la collectivité pour remplir leurs missions d'intérêt général, en faisant bon usage d'un service universel étendu, notamment du point de vue du financement en mobilisant le fonds de service universel dont c'est l'objet.

Toutefois, dans l'objectif d'une généralisation de l'accès à Internet à haut débit, mais aussi en vue d'améliorer plus globalement la décentralisation et l'aménagement du territoire, il n'est pas illégitime d'envisager de mobiliser, outre le fonds de service universel - qu'il convient évidemment de maintenir, contrairement à ce que suggère l'Autorité de régulation des télécommunications, voire d'étendre - des subventions publiques au niveau local comme au niveau national, eu égard aux externalités de réseau, dont l'impact social et économique, pour difficile à mesurer qu'il soit, s'étend très certainement au-delà du seul secteur des télécommunications.

Il convient alors de permettre aux collectivités locales d'être opérateurs de télécommunications, et non de les cantonner à un rôle d'investisseurs au service des opérateurs privés par le seul déploiement de l'infrastructure. Bien entendu, un strict contrôle de la transparence de ces procédures, de la décision démocratique de leur mise en oeuvre et de la nécessité réelle des subventions publiques doit alors être mis en place, de sorte que ces subventions ne viennent pas subrepticement se substituer à la contribution des opérateurs privés.

La contribution de la puissance publique par des subventions ne peut s'envisager alors que dans le cadre de l'extension des missions d'intérêt général participant à la définition juridique du service public. Le rôle de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications devrait à cet égard être renforcé.

La condition la plus importante de la légitimité d'un tel schéma demeure évidemment l'extension du service universel à l'Internet haut débit, par le câble et l'ADSL lorsque c'est raisonnablement envisageable, mais sans négliger les apports des techniques nouvelles basées sur la communication sans fil, particulièrement intéressantes au niveau local.

Par ailleurs, le service public pour l'accès à Internet a une dimension plurielle. Outre le déploiement de l'infrastructure et la possibilité d'être opérateur, y compris pour la fourniture de l'accès, la question de l'attribution et de la gestion des noms de domaine doit aussi en faire partie. En effet, on ne saurait concevoir l'accès à Internet dans le seul objectif de consommation d'information. Il s'agit pour toutes les composantes de la société, et en premier lieu celles de la société civile, d'utiliser l'accès au réseau pour une meilleure participation à la collectivité et à la vie publique, locale comme nationale. Tous les acteurs économiques et sociaux ont donc vocation à déployer leurs activités visiblement sur Internet, et à utiliser ce moyen pour participer au débat public. À ce titre, le bénéfice d'un nom de domaine doit être considéré comme faisant partie du dispositif global de l'accès. Depuis 1997, l'opérateur du .fr est l'AFNIC (Association française pour le nommage Internet en coopération). L'AFNIC a le monopole de gestion d'un bien public, mais ne fonctionne pas du tout comme un opérateur de service public des noms de domaine en France, comme cela a été analysé et dénoncé à plusieurs reprises par IRIS. Il convient donc de bien définir juridiquement les conditions d'accès et de coût pour cette ressource publique qu'est l'espace du nom de domaine de premier niveau constitué par le .fr, en l'incluant dans le service public pour l'accès à Internet.

2.5 Recommandations d'IRIS pour un service public de l'accès à Internet

La première nécessité est évidemment l'extension du service universel à l'Internet à haut débit, c'est-à-dire le droit à l'accès haut débit pour le même tarif en tout point du territoire, quitte à définir un calendrier pour la mise en place d'une véritable politique publique d'accès de tous à Internet, prenant en compte toutes ses dimensions : diversité des modes de communication, (ADSL, câble, communication sans fil), diversité des acteurs publics et privés impliqués, diversité des lieux d'accès (domicile, point d'accès public, ...).
IRIS recommande l'extension de la définition juridique du service universel à l'Internet à haut débit.

Le second point concerne le rôle des collectivités locales. Un article de l'avant-projet de loi sur la société de l'information, relatif à la création d'infrastructure par les collectivités locales, a fait l'objet d'un amendement au projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social éducatif et culturel. Il a été adopté comme article 19 de la loi n°2001-624 du 17 juillet 2001.

Cet article a modifié en profondeur l'article L.1511-6 du code général des collectivités territoriales, qui fixe les conditions de création, par les collectivités territoriales, d'infrastructures destinées à supporter des réseaux exploités par les opérateurs privés de télécommunications. L'ancien article était issu de la loi n°99-543 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.

L'exposé des motifs de l'avant-projet de loi justifiait de telles modifications par la volonté du gouvernement de simplifier les modalités de création d'infrastructure. Au prétexte de la simplification des procédures, cet article permet en fait une considérable régression par rapport à la situation précédente.

Régression d'abord en matière de contrôle démocratique des investissements publics : ainsi, la décision de créer une infrastructure pour les réseaux de télécommunications n'est plus subordonnée à un constat de carence des acteurs du marché à fournir une offre de services ou de réseaux à un prix abordable et selon des exigences techniques et de qualités attendues ; ce constat de carence est remplacé par un simple recensement des besoins des opérateurs ou des utilisateurs. Mieux encore, les dépenses et recettes relatives à la construction, à l'entretien et à la location des infrastructures ne sont plus examinées de façon prévisionnelle par les organes délibérants dûment informés de la carence du marché, et il n'est plus fait mention des modalités de calcul de la location des infrastructures.

IRIS recommande le rétablissement dans le code général des collectivités locales du contrôle démocratique des investissements publics locaux en matière de télécommunications.

Régression ensuite en matière de service public : l'article L.1511-6, qui figure dans le code général des collectivités territoriales au chapitre de l'aide aux entreprises, permet dans sa nouvelle version encore plus d'aide aux opérateurs privés de télécommunications, en supprimant la plupart des contraintes dont cette aide était assortie. En effet, les références aux articles L.32 et L.33-1 du code des postes et télécommunications ont disparu de la définition des opérateurs privés susceptibles d'exploiter les infrastructures. Or ces mentions permettaient respectivement la référence aux définitions précises des opérateurs de télécommunications et des exigences essentielles de garantie de l'intérêt général (L.32) et à l'exigence de respect par les opérateurs concernés d'un cahier des charges, comportant notamment l'obligation de service universel définie aux articles L.35-2 et L.35-3 du code des postes et télécommunications (L.33-1).

IRIS recommande le rétablissement dans le code général des collectivités locales du respect de l'obligation de service universel pour les opérateurs privés utilisant les infrastructures déployées par la puissance publique.

En outre, l'article 19 de la loi n°2001-624 du 17 juillet 2001 introduit la possibilité de subventionner la mise en place d'infrastructures dans certaines zones géographiques. IRIS soutient le principe d'une telle subvention, conforme au principe de péréquation tarifaire du service public. Toutefois, une telle subvention ne doit pas être financée abusivement par l'impôt, puisque le fonds de service universel a été créé justement dans ce but. C'est ce fonds qui doit être maintenu et prioritairement utilisé pour compenser les différences de coût des infrastructures entre les régions. Le financement par l'impôt ne doit être conçu qu'à titre complémentaire, lorsque l'effet des externalités de réseau sur le plan social et économique est démontré pour remplir des missions d'intérêt général définies dans le service public des télécommunications.

IRIS recommande de soumettre les subventions publiques locales ou nationales pour le déploiement d'infrastructure à de réelles externalités de réseau dans l'objectif de remplir des missions d'intérêt général définies dans le service public des télécommunications.

Pour justifier pleinement du bénéfice de subventions publiques, le déploiement d'infrastructure doit avoir pour objectif de remplir des missions nouvelles d'intérêt général. Celles-ci doivent figurer dans la définition du service public des télécommunications, et être soumises à un contrôle.

IRIS recommande d'étendre les missions d'intérêt général du service public des télécommunications au développement social et économique et de renforcer le rôle de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications en la chargeant de veiller également au bon emploi des subventions publiques locales ou nationales pour remplir ces missions.

D'autre part, tant dans son ancienne version que dans la nouvelle, l'article L.1511-6 du code général des collectivités territoriales interdit aux collectivités territoriales d'exercer elles-mêmes l'activité d'opérateur de télécommunications. Cette interdiction est extrêmement regrettable : elle interdit l'existence d'un vrai service public de l'accès à Internet.

IRIS recommande que les collectivités territoriales, notamment à l'échelle intercommunale, puissent exercer l'activité d'opérateur de télécommunications, au sens de l'article L.32 du code des postes et télécommunications.

Cette possibilité ne supprimera pas le recours, le cas échéant et sur décision des organes délibérants, à d'autres opérateurs, dont l'activité devrait être soumise au respect d'un cahier des charges établi notamment en fonction d'exigences de péréquation tarifaire pour le coût du service offert aux usagers.

Le dernier aspect du service public pour l'accès à Internet concerne les noms de domaine. La première nécessité à cet égard est de reconnaître, comme le faisait d'ailleurs le projet de loi sur la société de l'information, les domaines de premier niveau dans la zone correspondant aux codes pays de la France comme une ressource publique, qui doit être gérée dans le cadre d'un service public d'enregistrement des noms de domaine, dont l'opérateur pourrait être l'organisme de gestion des ccTLD relevant de la France.

IRIS recommande l'extension du service universel au bénéfice d'un nom de domaine dans la zone du .fr.

Ce service public d'attribution d'un nom de domaine n'interdit pas le recours éventuel à un prestataire intermédiaire entre l'usager et l'organisme de gestion, si tel est le souhait de l'usager, mais ce recours ne doit aucunement être obligatoire comme c'est le cas actuellement.

Les missions de cet organisme devront lui imposer l'attribution, directe et simplifiée par des téléprocédures automatiques, de noms de domaines dans les ccTLD de sa compétence et dans les gTLD, en suivant la règle commune du « premier arrivé premier servi » dans ce dernier cas. Le but est d'assurer des conditions d'accès objectives, transparentes et non discriminatoires, applicables tant au domaine de premier niveau (.fr par exemple) qu'aux domaines de deuxième niveau (.asso.fr ou .nom.fr par exemple).

Un coût maximal devra être fixé par domaine pour les personnes physiques et les groupements à but non lucratif, ne devant pas dépasser le double du prix unitaire le plus bas reversé à l'organisme international en charge de la gestion technique pour les noms de domaine génériques.

La péréquation tarifaire sera assurée d'une part par une surtaxe raisonnable pour l'attribution de noms de domaines aux groupements à but lucratif ; d'autre part par le fonds de service universel, en tant que contrepartie logique de l'extension du service universel au bénéfice d'un nom de domaine.

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