Rapport-CE


I. Droit pénal général.


Internet n'est pas en soi un vecteur de nouvelles atteintes aux droits de la personne, ni même de nouveaux délits, hormis les délits de piratage informatique, déjà sanctionnés par une loi existante. En revanche, les atteintes aux droits de la personne peuvent prendre de nouvelles formes, ou plutôt des formes exacerbées par le fait qu'Internet permet l'expression publique à tous, citoyens ou collectifs, sans médiateur, avec des moyens et un coût très modestes. L'immédiateté de la transmission de l'information sur Internet est également un facteur d'amplification du phénomène. Ce sont plutôt les atteintes à la vie privée et à la confidentialité des données personnelles qui sont les plus à craindre.

Il n'y a donc pas lieu de légiférer spécifiquement pour Internet, mais sans doute de modifier la procédure pénale ainsi que l'organisation judiciaire, afin de tenir compte des caractéristiques du réseau, ainsi que de ses usages. Il y a surtout nécessité de former sérieusement les services de la police et de la justice à ces caractéristiques et à ces usages, afin d'éviter que des mesures arbitraires, des procédés infamants et, in fine, inefficaces ne se reproduisent (cf. affaire des deux fournisseurs Francenet et Worldnet, par exemple, toujours en attente de jugement depuis mai 1996).

Il y a néanmoins une question essentielle à clarifier : celle de la cascade de responsabilités dans la chaîne constituée de l'émetteur d'une information jusqu'au récepteur final de cette information. Cette chaîne comporte un certain nombre d'intermédiaires techniques, variable en fonction du service Internet impliqué. Ces intermédiaires assurent en particulier le transport et le stockage, en relais provisoire ou en hébergement permanent, d'informations. Ces fonctions ne sont que des fonctions techniques, le plus souvent automatisées, et portent sur des quantités d'informations très importantes.

En cas d'informations illégales, le seul responsable doit être l'auteur lui-même de l'émission, et non les intermédiaires, dont c'est le métier de transporter, stocker, et héberger de façon permanente l'information, encore moins le récepteur de cette information, même s'il la consulte par intervention active (consultation de sites Web impliquant le stockage temporaire de l'information sur son disque dur, ou lecture d'articles de forums, impliquant le chargement du contenu de ces articles sur le disque également).

Pour autant que l'information est émise par une tierce partie, sans collusion avérée avec l'intermédiaire, cet intermédiaire, fournisseur d'accès, de service, ou d'hébergement ne doit pas pouvoir être déclaré responsable ou coresponsable des infractions commises par ses clients, ou par toute personne utilisant ses machines dans la chaîne de distribution d'information selon le fonctionnement normal des protocoles du réseau Internet. Toute autre analyse inciterait l'intermédiaire à se transformer en censeur, ce qui impliquerait de soumettre la liberté d'expression à l'arbitraire d'une personne ou d'une structure, commerciale ou non. Un tel résultat porterait atteinte à l'état de droit.

Une transposition sans nuance des schémas de responsabilité prévus pour la presse et pour l'audiovisuel ne peut se concevoir sans dommages importants. En effet, ce serait faire abstraction de la caractéristique première d'Internet, qui est de permettre l'expression publique de chacun, sans médiateur, à destination de tous. Si les entreprises et organes de presse et de communication audiovisuelle classiques (radio, télévision) doivent rester soumis à la législation les concernant, qu'ils émettent sur Internet ou hors Internet, il n'en va pas de même des individus, associations ou organismes qui ne relèvent pas du secteur marchand, et qui n'auront jamais les mêmes moyens financiers, ni le même impact sur le public. Par ailleurs, le système de cascade de responsabilités en vigueur dans la législation sur la presse vise des intervenants ayant tous une relation au contenu, car disposant d'un pouvoir de décision sur la publication de ce contenu (responsabilité éditoriale). La relation entre intervenants est également différente, puisqu'elle est de l'ordre de la relation employeur-employé dans le cas de la presse, alors qu'il ne s'agit que d'une relation client-fournisseur dans le cas d'Internet. Pour ce qui concerne plus particulièrement la loi sur l'audiovisuel, il serait tout simplement impensable d'exiger une déclaration préalable pour toute page Web, la preuve en est l'absence de réponse des services compétents aux demandes qui leur ont été adressées à cet effet par certains auteurs de sites. Néanmoins, certaines dispositions de la loi de 1881 sur la presse pourraient avantageusement être applicables pour Internet, comme l'impossibilité de saisie, limitée à la collecte d'un nombre limitatif d'exemplaires de publications (ici, des copies), aux fins d'établissement de la preuve. En tout état de cause, il convient ici encore d'assimiler le stockage temporaire ou permanent d'informations par un intermédiaire au transport de ces informations, dans le cas d'Internet.

De plus amples développements sur l'analyse de la responsabilité sur Internet sont fournis en annexe II (« Contenus sur Internet : droits et responsabilités »).

La question du lien hypertexte, de même que celle du droit de réponse, ne soulèvent pas plus de nouveaux problèmes.

Le lien hypertexte est le fondement même du concept du World Wide Web. S'il n'est pas considéré uniquement comme une simple référence, c'est tout le concept et la viabilité de l'édition hypermédia qui sont remis en cause. Le lien hypertexte apparaît dans un document, qui constitue le contexte du lien. C'est de ce contexte, à l'exclusion de l'information accessible via le lien, que l'auteur du document est responsable. Lorsqu'un lien pointe sur un contenu illégal, il faut considérer si le contexte est lui-même illégal, ou si son objet est, par exemple, de dénoncer l'existence de contenus illégaux, ou de les réfuter. Un lien peut également pointer sur un contenu devenu illégal ultérieurement, à cause de la facilité de modification des pages Web, et de l'immense difficulté de connaître tous les liens pointant sur un document donné. L'auteur du lien ne doit pas en être tenu pour responsable, ce que vient de confirmer la jurisprudence allemande (affaire Angela Marquardt).

Le droit de réponse peut et doit utiliser le même canal que l'objet de la réponse. Il suffit d'obliger l'auteur de l'infraction à diffuser la réponse sur le canal en question, dans les mêmes conditions que le droit de réponse dans le cas de la presse.

La dernière question de la section « Droit pénal général » porte sur l'anonymat.

Il convient tout d'abord de préciser très clairement que l'anonymat doit être absolu lors de la consultation d'informations : cette question est d'ailleurs du ressort de la protection de la vie privée et des données personnelles. Un défaut d'anonymat lors de la consultation porterait gravement atteinte à ce droit des citoyens.

Dans le cas de l'émission de contenus, quelle que soit la pérennité de l'information (celle des articles de forum est différente de celle des pages Web, par exemple), la question est très complexe, et mérite d'être étudiée en profondeur. En effet, tout citoyen, ou organisation, est en droit de produire et d'émettre des informations publiquement sous couvert d'un anonymat légitime lorsqu'il l'estime nécessaire. La question se pose en cas d'information illégale, ou portant atteinte à une tierce partie (diffamation, par exemple), et il est également légitime de vouloir assurer l'identification de l'auteur de l'infraction dans un tel cas. Certaines solutions, avancées sans doute sans que la nécessaire réflexion préalable ait été conduite, préconisent le maintien de journaux de connexion (logs) par le fournisseur du service d'anonymisation, qui seraient fournis sur requête de l'autorité judiciaire. Une telle suggestion nécessite une grande prudence : sachant le peu de sécurité offert par le réseau Internet, et par les systèmes d'exploitation des machines (les ordinateurs du Pentagone sont aussi piratés !), on en déduit immédiatement que les ordinateurs sur lesquels sont conservés les journaux de connexion constitueront une cible idéale et facile, techniquement mais aussi en termes de moyens de pression morale ou financière, pour tous ceux qui auraient intérêt à identifier, sans aucune légitimité pour ce faire, l'auteur d'une information anonyme : on peut rappeler à ce titre que les gestionnaires de tels anonymiseurs ont été harcelés par l'église de scientologie (cas de l'anonymiseur finlandais anon.penet.fi), on peut également rappeler les difficultés éprouvées par des organisations comme Amnesty International pour mener à bien leurs missions, sans mettre en danger la vie d'êtres humains. Notons enfin que les gestionnaires de tels services d'anonymisation prennent souvent eux-mêmes des mesures pour éviter le pire, par exemple en limitant la taille des messages contenant des informations anonymes, en vue de rendre difficile la diffusion d'images pédophiles (la taille des fichiers binaires est importante). Il nous semble par conséquent nécessaire de subordonner toute prise de décision concernant l'anonymat pour l'émission d'informations à la disponibilité d'études sérieuses et complètes permettant d'examiner tous les aspects de la question, et de faire émerger des solutions alternatives. Une telle étude n'a à notre connaissance pas été conduite en France, ni même dans d'autres pays. L'une des priorités d'IRIS est de produire une telle étude, sans doute en collaboration avec ses partenaires internationaux qui incluent des organisations de défense des droits de l'homme et des libertés civiles, étude qui sera largement diffusée.

Préambule

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Section

octobre 1997 - webmestre@iris.sgdg.org