Détermination des Priorités Thématiques
du Forum sur la Gouvernance de l'Internet
Contribution du Caucus des Droits de l'Homme
31 mars 2006
Introduction
Le Caucus des droits de l'homme (Caucus DDH), formé par des organisations de la société civile participant au Sommet mondial sur la société de l'information, est actif dans le processus du SMSI depuis sa création en 2002. Ses plus de 65 membres, organisations internationales et nationales couvrant l'ensemble des régions du monde, ont décidé de demeurer impliqués, en tant que caucus, dans les développements post-SMSI. L'implication du Caucus dans le suivi du SMSI concerne à la fois les activités du Forum sur la Gouvernance de l'Internet (IGF) et le développement des grandes orientations (Action lines) post-SMSI.
Les contributions du Caucus à la phase post-SMSI seront fondées sur ses activités et positions élaborées pendant les phases de Genève et de Tunis, selon la même ligne de force: toute politique relative à la société de l'information doit respecter et protéger les droits de l'homme et l'État de droit. Le Caucus souhaite mettre en pratique, dans le contexte de la société de l'information, l'interrelation et l'interdépendance de tous les droits de l'homme, droits civils et politiques aussi bien que droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que le droit au développement.
Cette contribution du Caucus DDH aux priorités thématiques du Forum sur la Gouvernance de l'Internet suit cette ligne de force.
Proposition de principe directeur
Le Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour le SMSI a convié l'ensemble des parties intéressées à contribuer à la détermination des priorités thématiques de la première réunion de l'IGF, en envoyant leurs trois premiers choix respectifs en termes de questions de politique publique à discuter pendant cette réunion. Le Caucus DDH considère, étant donné l'interrelation entre les nombreuses questions qu'une arène dédiée à la gouvernance d'Internet devrait discuter, qu'une telle approche méthodologique entraîne certaines préoccupations, ne serait-ce que du point de vue de son efficacité et de sa cohérence. L'IGF devrait être ouvert, dès sa première année de fonctionnement, à des discussions potentielles sur tout sujet nécessitant une gouvernance coordonnée. Cela peut être réalisé à travers un processus continu, organisé autour de groupes de travail thématiques et de la tenue d'ateliers de travail dédiés. Pour autant, le Caucus DDH comprend que, s'agissant spécifiquement des réunions plénières annuelles de l'IGF, limiter les thèmes de discussion à un nombre raisonnable puisse être avisé.
Différentes parties intéressées manifestent légitimement différentes priorités, y compris dans un même groupe de parties prenantes. Cela vaut autant pour la société civile que pour les États. Nous comprenons que plusieurs thématiques ont déjà été et seront proposées comme priorités thématiques de l'IGF. Une courte synthèse préliminaire en est déjà fournie sur le site web de l'IGF. Ces thématiques constituent des questions très importantes, y compris pour le Caucus DDH. Pour autant, nous considérons que plusieurs d'entre elles progresseraient mieux au niveau régional, voire au niveau national (« Multilinguisme ») ou dans d'autres arènes plus spécialisées (« Spam », « Sécurité des infrastructure et des équipements »). La lutte contre la criminalité, de même que d'autres questions pénales (« Cybercriminalité »), ne relève pas du domaine de la gouvernance d'Internet, mais constitue une question de loi pénale générale. Nous considérons même que des questions de première importance pour le Caucus DDH (« Liberté d'expression », « Vie privée et protection des données personnelles ») ne devraient pas être traitées par l'IGF en tant que questions de politique publique parmi d'autres, sachant qu'il s'agit de questions transversales, en jeu dans toute discussion de n'importe quel thème de politique publique.
Le Caucus DDH considère que la valeur ajoutée principale apportée par l'existence et les travaux de l'IGF réside, comme défini au paragraphe 72 de l'Agenda de Tunis, dans sa capacité à créer les conditions pour que toutes ces questions puissent être traitées de manière adéquate au sein des arènes pertinentes et en bonne coordination entre celles-ci. Sans préjuger de la manière dont les thématiques seront discutées et des décisions auxquelles elles aboutiraient, le Caucus considère donc qu'un Forum mondial sur la gouvernance de l'Internet devrait traiter, d'abord et avant tout, de questions nécessitant absolument une gouvernance centralisée. Ces questions sont celles qui, à défaut d'une gouvernance centralisée, impliqueraient :
a. L'arrêt pur et simple ou du moins la mise en danger grave du fonctionnement du réseau, ou
b. L'orientation du développement global de la société de l'information au profit des seuls intérêts de certaines parties, privant une large portion du monde de ses droits à bénéficier d'une « Société de l'information pour tous ».La suite de cette contribution développe les trois priorités du Caucus DDH pour la détermination de l'agenda de l'IGF, suivant ce principe directeur.
Dans cette contribution, nous ne détaillerons pas l'alinéa a, c'est-à-dire la nécessité de traiter de la gestion du système de noms de domaines et de l'allocation des adresses IP, en d'autres termes des moyens d'améliorer la coopération pour la coordination et la gestion des ressources critiques d'Internet. Cette question est au coeur du mandat de l'IGF, et la condition évidente pour « contribuer à la viabilité, à la robustesse, à la sécurité, à la stabilité et au développement de l'Internet », comme précisé au paragraphe 72(a) de l'Agenda de Tunis. Nous partons du principe que cette question sera traitée par l'IGF.
Le Caucus DDH est plutôt préoccupé de voir les questions développées dans la suite de ce document, qui ressortissent à l'alinéa b, retenir l'attention qu'elles méritent de la part de l'IGF.
Priorités du Caucus DDH en termes de questions à discuter par l'IGF
1. Établissement d'une Commission pour les droits de l'homme et la gouvernance d'Internet
Cette proposition n'est pas un thème de discussion à proprement parler, mais une question à la fois thématique et opérationnelle.
Quel que soit l'agenda définitif de l'IGF, pour sa première année d'activité et ses travaux subséquents, l'IGF doit assurer que ses discussions tiennent compte du respect des standards en matière de droits de l'homme, et que ses décisions sont prises en vue de protéger et promouvoir ces standards. De plus, il est nécessaire d'identifier et d'évaluer, dans le même objectif, les processus, modalités et mécanismes de gouvernance d'Internet déjà en place.
À cette fin, l'IGF devrait constituer une Commission pour les droits de l'homme et la gouvernance d'Internet. Cette Commission devrait traiter en particulier du respect de la liberté d'expression, de la vie privée et de l'État de droit (notamment le droit à un procès équitable et à un recours effectif).
Composée de parties intéressées à la connaissance et la compétence reconnues dans le domaine des droits de l'homme, y compris leur traduction dans le contexte de la société de l'information, une telle Commission participerait à ce que les discussions de l'IGF bénéficient d'une large légitimité et de l'accueil le plus favorable.
La nécessité d'une Commission de l'IGF pour les droits de l'homme et la gouvernance d'Internet prend directement sa source dans les paragraphes 42 et 46 de l'Agenda de Tunis. Par son rôle transversal, cette Commission contribuerait largement à remplir le mandat de l'IGF, comme défini aux alinéas (b), (c), (d), (g), (i) et (k) du paragraphe 72 de l'Agenda de Tunis. Sans elle, la première section de la Déclaration de principes de Genève (« Notre conception commune de la société de l'information »), réaffirmée dans l'Engagement de Tunis, ne serait qu'un voeu pieux.
2. Accès à l'infrastructure et coûts d'interconnexion internationale
Assurer l'accès à l'infrastructure est à l'évidence un prérequis pour la réduction de la fracture numérique. L'accès à l'infrastructure peut prendre plusieurs formes et faire l'objet de différentes actions de politique publique au niveau national, tenant compte des contextes et cultures locaux. Il comporte aussi de nombreuses et larges implications aux niveaux régional et international, traitées dans d'autres arènes, en particulier mais non exclusivement au sein de l'IUT.
Pour autant, d'une part cette question est rarement, pour ne pas dire jamais, traitée sous l'angle des droits, en particulier comme une nécessité pour la réalisation du droit au développement; d'autre part la privatisation et la mondialisation du secteur des télécommunications ont largement dépourvu d'influence pratique les tarifs équitables et symétriques ainsi que les accords et recommandations intergouvernementaux pour l'échange de trafic (peering). Dans une situation où le marché détermine quasiment seul le coût et la couverture géographique des connexions internationales, accomplir les objectifs de développement en termes d'accès à l'infrastructure Internet devient pour une large part une question de gouvernance. L'IGF pourrait apporter ici une valeur ajoutée décisive dans l'objectif de minimiser les disparités entre régions du monde.
Les questions à discuter dans ce cadre sont liées aux coûts d'interconnexion internationale, en particulier l'inégalité Nord-Sud fondamentale consistant à faire supporter à des pays en développement à la fois les coûts d'émission et de réception du trafic Internet de et vers ces pays. L'IGF devrait entamer des discussions sur la manière dont la couverture géographique (routes Internet) ainsi que les accords d'échange et de transit de trafic peuvent être évalués, et négociés en faveur d'accords et de coûts plus justes et plus équitables.
En tant qu'élément essentiel pour la réduction de la fracture numérique, l'accès à l'infrastructure réalisé au moyen de coûts d'interconnexion internationale équitables a été l'une des raisons d'être même du SMSI. En outre, les paragraphes 49 et 50 de l'Agenda de Tunis affirment l'engagement de favoriser la prise en compte des coûts d'interconnexion internationale dans les accords en matière de gouvernance d'Internet. Enfin, selon le paragraphe 72(e) de ce même document, cette question est partie intégrante du mandat de l'IGF.
3. Accès à l'éducation, à la culture et au savoir et définition des standards techniques
De même que pour l'accès à l'infrastructure, l'accès à l'éducation, à la culture et au savoir, droit fondamental universellement reconnu, se traduit par plusieurs exigences en termes de politiques publiques dans des secteurs divers, aux niveaux national et international. Bien que loin de constituer le moyen exclusif de l'accès à l'éducation, à la culture et au savoir, Internet est une opportunité majeure pour sa réalisation.
Cependant, cette chance risque d'être gâchée si des barrières supplémentaires, artificielles et évitables, sont dressées contre les efforts en matière d'éducation et contre la légitime circulation de la culture et du savoir. Un tel risque peut résulter d'un régime extensif de copyright, spécialement lorsque sa mise en oeuvre au moyen de standards techniques le transforme en régime exclusif de fait, rendant même difficile l'entière application d'accords internationaux, comme la Convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Il est donc nécessairement de l'ordre de la gouvernance d'Internet d'assurer que les standards techniques pour l'infrastructure d'Internet, l'équipement et le logiciel, soient définis et mis en oeuvre sans faire obstacle à l'accès à l'éducation, à la culture et au savoir, ni à la réalisation pleine et entière des instruments internationaux qui s'imposent aux États.
Les questions à discuter dans ce cadre sont liées à la manière dont les législations actuelles sur le copyright, de même que la prédominance du marché et les mesures techniques de gestion des droits (Digital Right Management), font obstacle au droit à l'éducation, à la culture et au savoir. En particulier, l'IGF devrait discuter et évaluer si les standards techniques pour l'infrastructure Internet, l'équipement et le logiciel permettent l'exercice légitime d'un usage loyal (fair use) à des fins non commerciales, la contribution à et l'usage d'un large domaine public de la connaissance, ainsi que la promotion et le soutien à la production et à l'usage de logiciels et de contenus libres et ouverts.
Le Plan d'action de Genève a consacré une section entière à l'accès à l'information et au savoir. Cela a été réaffirmé aux paragraphes 10, 11 et 29 de l'Engagement de Tunis et au paragraphe 90(k) de l'Agenda de Tunis. Enfin, les standards techniques faisant partie des ressources critiques d'Internet, le paragraphe 72(j) de l'Agenda de Tunis inscrit cette question dans le mandat de l'IGF.
Information sur le Caucus DDH du SMSI et points de contact
Site web : http://www.iris.sgdg.org/actions/smsi/hr-wsis
Archives publiques de la liste de discussion : http://www.iris.sgdg.org/actions/smsi/hr-wsis/list/
Co-responsables:
- Rikke Frank Jørgensen
Institut Danois pour les Droits de l'Homme, Danemark
rfj@humanrights.dk- Meryem Marzouki
Imaginons un Réseau Internet Solidaire, France
Meryem.Marzouki@iris.sgdg.org