Loi société de l'information (LSI)
Projet (13 juin 2001)Loi sur la société de l'information : un quadrillage administratif d'Internet
(Analyse de Martine Bernis pour IRIS - 19 juillet 2001)Voir aussi le dossier complet d'IRIS sur la LSI
Entre l'avant-projet, soumis pour avis aux diverses autorités concernées en mars dernier [1], et le projet de LSI issu des ultimes arbitrages après que les dites instances aient rendu leur avis [2], le texte de loi a évolué vers une sorte de partage des rôles destiné à proprement « quadriller » Internet.En amont, le Code des Postes et Télécommunications se trouve plusieurs fois modifié par le projet de LSI [3]. Le ministre de tutelle se voit confier la désignation des organismes gestionnaires des noms de domaine français de premier niveau par l'article 2 du projet, et aussi l'assignation de fréquences à des systèmes satellitaires, qui se négocie au plan international, par l'article 27. L'Autorité de Régulation des Télécommunications (ART), pour sa part, est chargée par l'article 29, qui traite de la téléphonie mobile, d'assurer le bon fonctionnement des accords d'itinérance, en vertu desquels tout opérateur peut être tenu de laisser utiliser ses réseaux par un concurrent, quand ils sont imposés par le ministre.
L'introduction d'une instance de « régulation » pose de vraies questions de légitimité. Le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA), créé en 1989 pour garantir « l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle » dans les conditions définies par la loi du 30 septembre 1986 modifiée, a de ce fait son mot à dire pour tout ce qui touche aux radios et aux télévisions. Aux termes de l'article 6 du projet de LSI, il se retrouve globalement garant de la liberté de communication sur Internet, comme s'il s'agissait banalement d'un média comme les autres.
Plusieurs textes ont pourtant mis en garde contre une telle évolution. La Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme (CNCDH), rappelant la Convention européenne des droits de l'homme qui consacre « la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques », recommande en effet dès 1996 : « la législation et la réglementation françaises de droit commun doivent s'appliquer, de préférence à des régimes sectoriels spécifiques comme ceux de la télévision, ou de la télématique » [4] ; dans son rapport de 1998 sur « Internet et les réseaux numériques », le Conseil d'État juge bon lui aussi de faire remarquer que les règles communes du droit ont vocation à s'appliquer à cet espace [5].Pour accompagner la mise à disposition des documents publics en ligne, la Commission d'Accès aux Documents Administratifs (CADA) fait son apparition dans le projet de LSI, et devient au titre de l'article 3, l'autorité de référence en matière d'accès aux données publiques numérisées, qui se « normalisent » donc et se rapprochent des autres documents publics. L'article 4 élargit dans le même mouvement sa compétence à l'ensemble des archives publiques, sous réserves de certaines dispositions particulières.
La Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL), instituée par la loi du 6 janvier 1978, intervient pour sa part, au titre de l'article 14, en tant que gardienne du respect de la vie privée dans le domaine informatique, au niveau de la conservation des données relatives aux télécommunications.
Le projet de LSI autorise enfin des pouvoirs supplémentaires au Premier ministre en matière de cryptographie, dans ses articles 37, 38, 41 et 44. Au nom de la sécurité des réseaux, elle organise aussi la mise en place de pouvoirs extraordinaires de police et de justice, notamment à travers ses articles 31 et 44, l'effacement de données informatiques illégales par la justice, sans procédure contradictoire préalable, et l'habilitation d'agents spéciaux dotés de pouvoirs de perquisition hors du contrôle du juge. Deux dispositions regrettées par la CNCDH dans son avis au gouvernement [6].
Au final, un partage des compétences, et des mesures de sécurité, qui laissent perplexe. Si l'on songe qu'en plus il existe désormais un « Forum des Droits de l'Internet », sans réelle légitimité institutionnelle mais supposé « coréguler » son devenir, on a le sentiment que, comme le mouvement s'en dessine d'ailleurs dans beaucoup de pays, Internet est en train de devenir le plus surveillé des espaces « de liberté ».
Références :
[1] Texte de l'avant-projet de loi au 31 mars 2001, mis en ligne au format HTML par IRIS : http://www.iris.sgdg.org/actions/lsi/apl/lsi-apl-310301.html
[2] Texte du projet de loi sur la société de l'information, adopté en Conseil des ministres le 13 juillet 2001 : http://www.legifrance.gouv.fr/html/actualite/actualite_legislative/prepa/pl_pli.htm
[3] Projet de loi sur la société de l'information, articles 1 et 2 du chapitre « L'accès à la communication en ligne », article 13 du chapitre « La responsabilité des prestataires techniques », articles 14 à 16 du chapitre « L'effacement des données relatives aux communications », articles 26 à 28 du chapitre « Les systèmes satellitaires », articles 29 et 30 du chapitre « La téléphonie mobile », article 50 du titre « Dispositions finales ». Tous articles accessibles à partir de : http://www.iris.sgdg.org/actions/lsi/evol
[4] Avis de la CNCDH du 14 novembre 1996, « Portant sur le réseau Internet et les Droits de l'Homme » : http://www.commission-droits-homme.fr/binTravaux/AffichageAvis.cfm?IDAVIS=531&iClasse=1
[5] Les rapports et les études du Conseil d'État : Internet et les réseaux numériques (1998) : http://www.ladocfrancaise.gouv.fr/html/9840015.19/html/0000.htm
[6] Avis de la CNCDH du 10 mai 2001, « relatif au projet de loi sur la société de l'information » (points 18 et 21) : http://www.commission-droits-homme.fr/binTravaux/AffichageAvis.cfm?IDAVIS=624&iClasse=1Sites des autorités administratives et commissions concernées :
- ART : http://www.art-telecom.fr
- CADA : http://www.cada.fr
- CNIL : http://www.cnil.fr
- CSA : http://www.csa.fr