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Loi société de l'information (LSI)
Avant-projet (31 mars 2001)

Commission nationale consultative des droits de l'homme
A V I S
RELATIF AU PROJET DE LOI SUR LA SOCIETE DE L'INFORMATION
(adopté par l'assemblée plénière du 10 mai 2001)

NB. Texte mis en ligne par IRIS, qui a pu se le procurer

Saisie en urgence du projet de loi sur la société de l'information, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) entend d'abord rappeler que ce texte a vocation à réglementer l'accès à l'information et aux archives mais aussi la liberté de communication en ligne, en même temps qu'il fixe les règles juridiques du commerce électronique et de l'accès au réseau, et détermine celles relatives à la sécurité dans la société de l'information.

Ce projet de loi revêt donc une importance primordiale au regard de l'application à la société de l'information des grands principes des droits de l'homme. C'est pourquoi la CNCDH recommande que la loi, qui organise l'utilisation du premier des "réseaux libertaires", comporte en préambule une référence aux droits de l'homme et du citoyen proclamés par la Déclaration de 1789, la Déclaration universelle de 1948 et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par ailleurs, la CNCDH regrette qu'un trop grand nombre d'articles de ce projet renvoient certaines définitions ou précisions au décret en Conseil d'Etat, alors que, s'agissant de la mise en oeuvre de libertés publiques, toutes les dispositions essentielles, y compris la définition précise des exceptions au principe de liberté, devraient figurer dans la loi elle-même conformément à l'article 34 de la Constitution.

Recommandations

A - S'agissant de l'accès aux données publiques (titre Ier, chapitre II, du projet de loi)

1 - Il serait nécessaire d'harmoniser la rédaction de l'alinéa 2 de l'article 3,concernant les "données ayant un caractère personnel", avec celle de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, qui se réfère à la notion de "données personnelles".

2 - D'autre part, au 4ème alinéa du même article, il y a lieu d'ajouter que la personne qui détient les données publiques doit également fixer les exigences garantissant que l'utilisation de ces données respectera les droits fondamentaux de la personne humaine

B - S'agissant de l'accès aux archives publiques (titre Ier, chapitre III)

Considération générale

L'économie générale du projet est tout à fait satisfaisante dans la mesure où elle procède d'une volonté d'élargir le champ d'application de la liberté de communication des archives publiques par rapport aux dispositions de la loi du 3 juillet 1979.

D'une part, en effet alors que celle-ci posait seulement pour principe, dans son article 6, que les documents dont la communication était libre avant leur dépôt aux archives publiques continueront d'être communiqués sans restriction à toute personne qui en fera la demande et que tous les autres documents d'archives publiques pourront être librement consultés à l'expiration d'un délai de trente ans ou des délais spéciaux prévus pour certaines catégories de documents, l'article 6 du projet de loi pose la règle générale que les archives publiques sont de plein droit communicables à toute personne qui en fait la demande et organise ensuite les exceptions à cette règle pour certaines catégories de documents.

D'autre part, les délais concernant les exceptions sont, en général, réduites par rapport aux délais extérieurs.

3 - La Commission nationale consultative des droits de l'home ne peut que se féliciter de cette extension du champ d'application de la liberté d'accès aux archives publiques et de la suppression du délai général de trente ans précédemment institué pour la communication de l'ensemble des documents dont la communication n'était pas libre avant leur dépôt aux archives.

Réserves

Cependant, la liste des exceptions posées à cette liberté générale d'accès et des délais de communication institués à cet égard appelle de la part de la Commission certaines réserves et observations critiques.

4 - Il est institué un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du document pour les archives publiques dont la communication porterait atteinte notamment au secret des délibérations du gouvernement et "des autorités responsables du pouvoir exécutif".

S'agissant d'une exception à une règle, elle devrait appeler une définition précise.

Or, la notion d'autorités responsables du pouvoir exécutif est vague.

Sans doute s'agit-il de la reprise d'une disposition figurant à l'article 6 de la loi du 19 juillet 1978. Mais il faut observer que les difficultés d'interprétation auxquelles les dispositions de cette loi peuvent donner lieu font l'objet d'un avis de la Commission d'accès aux documents administratifs et peuvent être ensuite soumis au juge administratif dans des conditions particulières. Ces garanties ne peuvent pas s'appliquer s'agissant de l'interprétation du texte sur les archives.

Il serait donc souhaitable que la notion d'autorités responsables du pouvoir exécutif soit définie de façon plus précise par le projet.

5 - Le projet prévoit que, ne peuvent être communiquées qu'après un délai de cinquante ans à compter de la date du document, les archives publiques dont "la communication porterait atteinte à la défense nationale, à la politique extérieure, à la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes".

Si un délai de cinquante ans se substitue ainsi au délai de soixante ans qui était prévu à l'article 7 de la loi de 1979 pour la communication de certaines de ces catégories de documents, le texte appelle, en revanche, de sérieuses réserves en ce qu'il étend ce délai à de nouvelles catégories de documents.

En effet, la loi de 1979 ne met en cause à cet égard que les informations "intéressant la sûreté de l'Etat ou la défense nationale, et dont la liste est fixée par décret du Conseil d'Etat". Dans ces conditions, en tant qu'il prévoit l'application du délai de cinquante ans aux documents portant atteinte à la politique extérieure, (il vaudrait d'ailleurs mieux parler de "la conduite de la politique extérieure"), à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, le texte proposé constitue une régression par rapport à la situation actuelle (délai de trente ans).

Sans doute l'inclusion de ces catégories de documents dans le projet s'explique-t-elle par le souci de mettre celui-ci en harmonie avec les dispositions de la loi du 17 juillet 1978 qui inclut ces catégories de documents parmi celles qui ne sont pas librement communicables.

Mais il n'y a aucun rapport entre la liberté entière de communication de ces catégories de documents au fur et à mesure de leur élaboration et la liberté de leur communication après leur archivage. Et de toute façon, la soumission de leur communication à l'expiration d'un délai de cinquante ans paraît excessive.

6 - L'institution d'un délai de cent ans à compter de la clôture des registres pour la communication des registres de naissance de l'état civil est elle aussi excessive.

Ainsi, dans les différents pays Européens voisins de la France, les délais de libre communicabilité de ces actes sont plus brefs :

- dix ans de la mort ou 90 ans de la naissance en Allemagne, 25 ans de la mort ou 50 ans de la mort en Espagne, 70 ans en Italie, 75 ans au maximum aux Pays-Bas.

La Commission estime que le délai de cinquante ans de l'acte ou vingt-cinq ans de la mort, tel qu'il est prévu dans le projet d'une façon générale pour les archives publiques dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée serait suffisant.

La même observation vaut pour la communication des registres de mariage.

7 - La Commission approuve l'introduction par le projet d'un critère de l'autorisation de consultation accordée par dérogation avant l'expiration des délais, critère tenant à ce que celle-ci peut être accordée "dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte disproportionnée aux intérêts que la loi a entendu protéger".

Cependant, les dispositions relatives à ces autorisations appellent deux observations :

- d'une part, le projet prévoit que cette consultation n'est assortie d'aucune restriction "sauf disposition expresse de la décision administrative portant autorisation". L'imprécision de cette règle est regrettable.

- d'autre part, en ce qui concerne les actes d'état civil, l'article 9 du décret du 3 août 1962 modifié par un décret du 15 février 1968 prévoit à l'heure actuelle que les tiers ne peuvent obtenir avant l'expiration d'un délai de cent ans la copie intégrale d'un acte de naissance qu'en vertu d'une autorisation du Procureur de la République, éventuellement soumise en cas de refus au contrôle du Président du Tribunal statuant en référé.

Il n'est sans doute pas opportun de modifier ces règles de compétence.

En revanche, ces dispositions devraient se retrouver dans l'article 8 nouveau de la loi de 1979 résultant du projet de loi, afin notamment que le critère de l'atteinte disproportionnée puisse s'appliquer aux décisions qui incombent à cet égard au Procureur de la République et au Président du Tribunal.

C - S'agissant des communications en ligne (Titre II, chapitre Ier)

L'article 13 du projet de loi crée un droit de réponse sur le Net à l'instar de ce qui existe dans la loi du 29 juillet 1881.

Cet article entend fixer un cadre précis afin que "toute personne nommée ou désignée dans un service de communication en ligne dispose d'un droit de réponse".

8 - La CNCDH, après avoir souligné qu'il semblerait préférable de parler de "personne mise en cause", fait remarquer qu'un même message publié en ligne et en version papier pourrait se voir appliquer deux délais distincts pour la mise en oeuvre du droit de réponse, l'un relatif au support papier avec un délai de trois mois à compter du jour où la publication aura eu lieu, conformément à l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881, et l'autre relatif à l'Internet avec un délai de trois mois à compter de la cessation de la mise à disposition du public du message contenant la mise en cause qui fonde l'action.

9 - En outre, la Commission s'interroge sur le sens et la portée de la distinction que le projet d'article 13 parait faire, dans deux alinéas successifs, entre "l'accessibilité au public" et la "mise à disposition du public", la première paraissant être une notion plus large que la seconde. Il serait nécessaire que ces deux notions soient clarifiées.

10 - Enfin, la CNCDH, bien que se félicitant de l'allongement du délai de la demande d'exercice du droit de réponse, s'étonne que le texte du projet de loi semble ne pas avoir pris en compte la particularité de l'accessibilité en ligne des archives, notamment des journaux, et les conséquences de l'exercice de ce droit au regard de la liberté de communication en ligne.

11 - Au terme de ses observations sur cet article et de manière plus générale, la Commission attire l'attention du Gouvernement sur la nécessité d'harmoniser, ou à tout le moindre de rendre cohérentes, la terminologie et les règles de fond qui sont énoncées sur le même sujet ou des sujets connexes par les lois de 1881 sur la presse, de 1978 sur l'informatique et les libertés, de 1982 sur la communication audiovisuelle et de 1986 sur la liberté de communication, et elle souhaite que soit notamment prise en compte à cet égard la délibération de la CNIL n° 95-012 du 24 janvier 1995.

D - S'agissant de la responsabilité des opérateurs (Titre II, chapitre II)

12 - La CNCDH rappelle qu'il convient de concilier la nécessaire sanction de l'hébergement de données illicites et la nécessaire protection de la liberté d'expression.

Il résulte de l'article 14,I,a, du projet de loi (suppression du mot "pénalement") que la responsabilité pénale des hébergeurs ne sera plus une responsabilité limitée, comme elle l'est actuellement en vertu de l'article 43-8 de la loi du 30 septembre 1978 modifié par la loi du 1er août 2000. La CNCDH approuve dans son principe ce retour à l'application du droit commun, mais elle reste attachée, en outre, à la création d'une sanction spécifique des opérateurs : il convient que la responsabilité pénale des opérateurs soit engagée si, ayant effectivement connaissance du caractère illicite du contenu des services qu'ils hébergent, ils n'ont pas fait cesser toute possibilité d'accès à ce contenu.

E - S'agissant de l'effacement des données relatives aux communications (Titre II, chapitre III)

13 - La CNCDH considère que le principe de l'effacement et de l'anonymisation de toute donnée relative à une communication, dès que celle-ci est achevée, doit être clairement affirmé. A cet égard, la notion de "donnée technique" qui n'est d'ailleurs pas claire, devrait être supprimée au I de l'article L. 32-3-3 du code des postes et télécommunications. En revanche, cette notion devrait être introduite dans les trois paragraphes suivants, mais avec une définition de la "donnée technique". Le I de l'article L. 32-3-3 devrait donc poser le principe de l'effacement des données, sous la seule réserve des exceptions mentionnées aux II et III.

14 - D'autre part, la CNCDH souhaite que la notion de "tiers" figurant au III de ce même article soit précisée, en indiquant clairement les fonctions que ce tiers doit assumer et qui justifient qu'on puisse lui transmettre certaines catégories de données : plus précisément, la loi elle-même doit dire qu'il s'agit de personnes chargées d'effectuer des tâches de facturation et de recouvrement.

15 - S'agissant du deuxième alinéa de ce III, la CNCDH ne comprend pas pourquoi, alors que le principe d'effacement des données est affirmé dans le but de protéger la personne humaine, l'exception justifiée par les seuls besoins de la facturation serait étendue au traitement de ces données à des fins commerciales. Si cet alinéa devait subsister, il conviendrait à tout le moins qu'un décret en Conseil d'Etat précise les conditions dans lesquelles l'usager concerné donne son consentement, afin de préserver la liberté totale de celui-ci.

F - S'agissant de la publicité par voie électronique (Titre III, chapitre II)

16 - La CNCDH considère que les personnes morales doivent bénéficier de la procédure d'opposition prévue à l'article L. 121-15-3 nouveau du Code de la consommation.

17 - Elle souhaite d'autre part que le décret en Conseil d'Etat prévoie la possibilité de l'inscription en ligne sur les registres d'opposition.

G - S'agissant de la lutte contre la cyber-criminalité (Titre V, chapitre Ier, article 36)

18 - La CNCDH considère que l'effacement définitif de données informatiques, équivalant à la destruction d'une preuve en enquête préliminaire, peut se révéler attentatoire à la protection des libertés. Elle est donc opposée à ce que cet effacement définitif puisse intervenir sur seule instruction du Procureur de la République et sans débat contradictoire. Une telle décision ne doit pouvoir être prise que par le juge des libertés et de la détention, en procédure contradictoire.

H - S'agissant de la procédure de "saisine des moyens de l'Etat pour la mise au clair de données chiffrées" (Titre V, chapitre II, section 4)

19 - La CNCDH s'interroge sur le sens et la portée de l'article 51 du projet de loi, d'où il paraît résulter qu'un agent requis par l'autorité judiciaire ne serait "tenu d'apporter son concours à la justice" qu'en "son honneur et sa conscience", ce qui laisse à penser qu'au même titre il pourrait le refuser, et cela indépendamment des obligations découlant du secret de la défense nationale. Une pareille disposition, qui n'apparaît d'ailleurs pas spécialement justifiée ici, pourrait constituer un dangereux précédent. La Commission exprime à cet égard de sérieuses réserves.

I - S'agissant des dispositions de droit pénal (même chapitre, section 5)

20 - La CNCDH s'étonne de l'imprécision de la rédaction de l'article 52, notamment dans sa références à la loi du 10 juillet 1991. Le projet de loi devrait énoncer les motifs légaux d'une telle demande et préciser quelles sont les autorités habilitées autres que les autorités judiciaires.

21 - Par ailleurs, à l'article 54, la Commission n'est pas favorable à la création d'une nouvelle catégorie d'agents habilités par le Premier Ministre disposant notamment d'un droit de perquisition hors de tout contrôle préalable de l'autorité judiciaire.

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