Appel contre le projet de loi sur la sécurité intérieure
Conférence de presse
21 octobre 2002 - Bourse du travail - ParisCompte-rendu de Meryem Marzouki pour IRIS
La conférence de presse s'est tenue à l'invitation de la Ligue des droits de l'homme (LDH), du Syndicat de la magistrature (SM) et du Syndicat des avocats de France (SAF), initiateurs de l'Appel à la mobilisation contre le projet de loi sur la sécurité intérieure.
Michel Tubiana (LDH) a introduit la conférence de presse en présentant l'Appel, citant les nombreuses organisations représentées, une bonne vingtaine parmi les 34 premiers signataires. Il a rappelé qu'on n'avait pas vu depuis 20 ans un tel projet de gouvernement impliquant et stigmatisant des groupes sociaux, et par conséquent nos libertés à tous. Le plus grave est qu'un tel projet conduit à baisser les bras dans la lutte contre la pauvreté, et, s'attaquant aux personnes privées de logement, aux prostitué(e)s, aux mendiants, à une véritable criminalisation de la pauvreté, attitude que « l'on croyait disparue depuis la fin du XIXe siècle ». Pour la LDH, « il y avait longtemps que l'on n'avait pas vu s'appliquer une telle volonté d'affrontement social, qui prend acte de la pauvreté et considère qu'il n'est plus possible de lutter contre elle ». Une telle attitude « touche aux fondements même de la République et à l'égalité des droits », a rappelé Michel Tubiana, qui a poursuivi en disant que ce « gouvernement ment » et que ce projet de loi « ne concerne pas la sécurité intérieure, mais la sécurité des "gens d'en haut" contre les "gens d'en bas" ».
Le président de la LDH a conclu son intervention en appelant à créer un mouvement suffisamment fort dans la population pour « signaler à ce gouvernement qu'il n'a pas à mettre en oeuvre un programme pour lequel le président de la République n'a pas reçu mandat ». Il a appelé à organiser des manifestations de toute sorte pour créer et faire entendre ce mouvement : manifestations de rue mais aussi organisation de réunions publiques, saisine des élus par chacun, etc.
Ulrich Schalchli (SM) a ensuite pris la parole pour insister sur le fait que ce projet de loi allait toucher toute la population, et non pas seulement certains individus. Le secrétaire général du SM l'a expliqué en prenant comme exemple deux « mesures phare » du projet. Ainsi, toute personne pourra se voir immobilisée à tout moment pour la fouille de son véhicule, sans même qu'une enquête soit ouverte : on mêle ainsi le travail de police judiciaire avec une vision considérant que tout le monde doit se soumettre à la police. Pire encore, il s'agit de ficher, à vie, l'intégralité des personnes simplement soupçonnées d'infractions, même légères (il cite comme exemple le fait de donner une claque !) ; estimant à 8 millions le nombre de personnes actuellement fichées par la police ou la gendarmerie, le représentant du SM prévoit dans deux ou trois ans, si ce projet de loi venait à être adopté, que ce nombre atteindra 15 millions de personnes.
Bruno Marcuse (SAF) est revenu sur l'aspect le plus choquant de ce projet selon lui, c'est-à-dire son caractère de renoncement et de remise en cause de droits fondamentaux comme la présomption d'innocence et la prescription. Le président du SAF a ainsi donné l'exemple de la conservation pendant quarante ans dans un fichier des empreintes et surtout des traces génétiques relevées sur la scène d'un crime, délai bien supérieur à la date de prescription du crime (au bout de vingt ans). On peut ajouter que le projet de loi entend étendre le fichier des empreintes et traces génétiques aux « personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants de nature à motiver leur mise en examen pour un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'au moins trois ans », alors que les délits sont prescrits au bout de cinq ans.
Les questions de la presse ont ensuite permis à d'autres représentants d'associations, de syndicats et de partis politiques de revenir sur certains aspects particuliers du projet de loi. Ainsi, Mouloud Aounit (MRAP) a relevé que « le délit de résistance devient officiel » et que la notion d'atteinte à l'ordre public ouvre « une voie royale à l'arbitraire et aux bavures », pour conclure que ce projet est « dangereux d'un point de vue antiraciste » ; de son côté, Christian Picquet (LCR) a rappelé qu'il ne s'agissait pas d'un débat sur la sécurité, mais bien sur le type de société que nous souhaitons, renchérissant sur le fait que le gouvernement se trompe sur l'état réel du pays et sur le message adressé par les citoyens lors des dernières élections : il n'y a pas mandat pour mener une guerre contre les pauvres.
Mais c'est surtout la question relative au rôle de la « gauche plurielle », avec notamment la loi sur la sécurité quotidienne (LSQ), qui a obligé les représentants des partis composant le précédent gouvernement à répondre. On aura noté en effet que le Parti socialiste, le Parti communiste et Les Verts sont signataires de l'appel. Adeline Hazan a ainsi défendu tant bien que mal la position du PS, en rappelant, comme on a désormais l'habitude de l'entendre, les réalisations positives du précédent gouvernement - comme si elles justifiaient le reste - et en considérant que ce projet de loi n'était « pas comparable » avec la LSQ ; pourtant, le projet de loi sur la sécurité intérieure apparaît bien comme une continuité et non une rupture avec la LSQ, ni même un changement d'échelle par rapport à cette loi. Henri Malberg (PCF) s'est déclaré plus nuancé que la représentante du PS, distinguant deux périodes pendant que la « gauche plurielle » était aux affaires : la première avec une « très forte montée d'idées progressistes sur la justice et sur l'enfermement, matérialisées notamment dans la loi sur la présomption d'innocence », puis, « suite à la violence avec laquelle la droite et l'extrême-droite ont posé la question de l'insécurité », une période pendant laquelle « la gauche a mal réagi ». Le représentant du PCF convient toutefois que ce projet de loi représente « une autre étape », et affirme que « les communistes s'engagent très fermement contre ce projet ». Enfin, Martine Billard (Les Verts) a rappelé que sa formation avait toujours exprimé son désaccord avec la loi sur la sécurité quotidienne.
Concluant la conférence de presse, Michel Tubiana (LDH) a rappelé qu'un autre projet de loi devrait suivre (projet du ministre de la justice Dominique Perben) reprenant sans doute les mesures présentes dans le document de travail du ministère de l'Intérieur daté de septembre 2002 et dévoilé par la presse, mesures qui ont été pour l'instant supprimées du projet de loi sur la sécurité intérieure. Le président de la LDH a annoncé qu'un tract commun aux organisations signataires (texte en cours de discussion) serait largement diffusé, et que plusieurs manifestations seraient organisées partout en France et devaient être relayées. Chaque organisation, chaque citoyen, peut et doit, à son niveau, aider à mobiliser l'ensemble de la société contre ces projets de loi.
Texte de l'Appel contre le projet de loi sur la sécurité intérieure, avec liste des premiers signataires au 21 octobre et contact pour signer cet Appel : http://www.iris.sgdg.org/actions/loi-si/appelsi211002.html
IRIS fait partie des premiers signataires de cet Appel. Contact IRIS : iris-contact@iris.sgdg.org - Tel/Fax : 0144749239