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Date: Sam 29 juin 2002 09:38:56 Europe/Paris
Subject: Affaire miditext.com : beaucoup de bruit pour rien ?Affaire miditext.com : beaucoup de bruit pour rien ?
Par Pierre MounierLes société d'enregistrement de noms de domaine peuvent-elles être soumises au même régime de responsabilité que les hébergeurs de sites web ? C'est ce que pourrait laisser penser l'ordonnance du 31 mai 2002 émanant du Tribunal de Grande Instance de Paris [1] ordonnant à la société Gandi à la fois de suspendre la résolution du nom de domaine « miditext.com » pointant vers un site contenant des contenus illicites, et de lui remettre les dernières données de connexion afférentes à ce nom de domaine.L'ordonnance, relatée par la presse spécialisée comme une innovation juridique importante fixant pour la première fois la responsabilité des « registrars » en matière de contenu illicite a soulevé une certaine émotion dans nombre de forums de discussion, listes de diffusion et sites associatifs, émotion que le principal intéressé, la société Gandi, ne semble d'ailleurs pas partager, comme il ressort de l'entretien que son président a accordé au magazine Vnunet [2]. Et de fait, à y regarder de plus près, il n'est pas si sûr que l'ordonnance du TGI de Paris constitue une si grande innovation ou qu'elle change quoi que ce soit à la responsabilité des sociétés de ce type. Tentative d'interprétation.
1. Miditext.com : des contenus illicites autorisant une saisie-contrefaçon
Proposant aux internautes la libre consultation de plusieurs centaines de textes de chansons et de partitions musicales, les contenus mis en ligne par Miditext.com tombent sous le coup des articles du Code de la Propriété Intellectuelle au titre de la reproduction illicite d'oeuvres protégées. C'est à ce titre que la chambre syndicale des éditeurs de musique (CSDEM) a fait constater par huissier le caractère illicite du site et s'est présenté devant le Tribunal de Grande Instance de Paris afin d'en obtenir la suspension.
Cette procédure est possible au vu de l'article 332-1 du Code de la Propriété Intellectuelle :
« Les commissaires de police et, dans les lieux où il n'y a pas de commissaire de police, les juges d'instance, sont tenus, à la demande de tout auteur d'une oeuvre protégée par le livre Ier, de ses ayants droit ou de ses ayants cause, de saisir les exemplaires constituant une reproduction illicite de cette oeuvre. Si la saisie doit avoir pour effet de retarder ou de suspendre des représentations ou des exécutions publiques en cours ou déjà annoncées, une autorisation spéciale doit être obtenue du président du tribunal de grande instance, par ordonnance rendue sur requête »Cette « ordonnance rendue sur requête » est une mesure conservatoire obtenue au terme d'une procédure non contradictoire ; elle n'implique pas une mise en cause pour la société qui fait l'objet de l'ordonnance. Celle-ci est simplement tenue d'obéir aux injonctions du juge qui la rédige.2. Le juge ordonne, mais à qui ?
Habituellement, ce genre d'ordonnance en « saisie-contrefaçon » vise les acteurs les plus impliqués dans la diffusion de contenus illicites : éditeurs, webmestres et à défaut, hébergeurs. Dans le cas de Miditext.com, le juge se trouvait face à une situation classique pour ce genre de site : le webmestre est inconnu - on connaît seulement le nom du propriétaire du nom de domaine -, les serveurs hébergeant le site sont aux Etats-Unis, hors de la juridiction française. Restait un acteur beaucoup plus éloigné du processus d'édition à proprement parler, mais qui joue un rôle important pour l'accessibilité au site : le registrar qui opère la résolution de nom de domaine ; en l'occurence une société française : Gandi S.A. C'est vers elle que le juge s'est en définitive tourné pour « suspendre » la diffusion des contenus incriminés, en mettant en place une redirection à partir du nom de domaine vers le site de l'Agence de Protection des Programmes en vertu du même Code de la Propriété Intellectuelle et des articles 493 et 812 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Il fallait enfin s'assurer, pour un procès en indemnisation ultérieur, de l'identité des responsables du site. Et cela, c'est la loi relative à la liberté de communication du 30 septembre 1986, amendée le 1er août 2000 qui le permet. Mais cette loi est aussi à la source de toutes les confusions, en particulier l'article 43-8, invoqué par l'ordonnance.
3. Cherchez l'intrus
Après avoir invoqué le Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC) et le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), le juge Alain Girardet qui a rédigé l'ordonnance s'appuie maintenant sur les articles 43-8 et 43-9 de la loi de 1986 sur la liberté de communication, amendée le 1er août 2000, à l'issue d'un débat mémorable [3]. Que disent-ils ? L'article 43-9 précise que :
« Les prestataires mentionnés aux articles 43-7 et 43-8 sont tenus de détenir et de conserver les données de nature à permettre l'identification de toute personne ayant contribué à la création d'un contenu des services dont elles sont prestataires.Bien que le décret d'application de l'article 43-9 ne soit pas encore publié [4], c'est à ce titre que le juge a requis dans son ordonnance que la société Gandi lui communique « l'adresse IP utilisée par la personne ayant procédé à la réservation du nom de domaine www.miditext.com ainsi que l'adresse IP de la personne ayant procédé à la dernière modification du 6 septembre 2001 et le mot de passe associé à l'identifiant « TA51-GANDI » attribué lors de l'achat du nom de domaine; » Comme l'article 43-8 est évoqué en même temps que le 43-9, on pourrait penser que c'est en vertu de cet article que Gandi est concerné par ces mesures. Mais l'article 43-8 ne concerne que :
Ils sont également tenus de fournir aux personnes qui éditent un service de communication en ligne autre que de correspondance privée des moyens techniques permettant à celles-ci de satisfaire aux conditions d'identification prévues à l'article 43-10.
Les autorités judiciaires peuvent requérir communication auprès des prestataires mentionnés aux articles 43-7 et 43-8 des données mentionnées au premier alinéa. Les dispositions des articles 226-17, 226-21 et 226-22 du code pénal sont applicables au traitement de ces données. »« Les personnes physiques ou morales qui assurent, à titre gratuit ou onéreux, le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par ces services. »Ce n'est assurément pas le cas d'une société d'enregistrement de nom de domaine, comme plusieurs articles de presse [5] le font remarquer. A l'extrême limite, la catégorie de prestataires définie dans l'article immédiatement précédent - le 43-7 - lui conviendrait mieux, bien que cet article concerne en fait les fournisseurs d'accès, et non les registrars . Que s'est-il passé lors de la rédaction de ce texte ? Pourquoi l'article 43-8 s'est-il glissé comme un intrus au milieu des articles de loi cités ? Mystère...mais cet intrus est au centre d'un bel embrouillamini dans les interprétations qui ont été données par la suite.L'article 43-8 prévoit en effet que :
« Les personnes physiques ou morales qui assurent, à titre gratuit ou onéreux, le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par ces services, ne sont pénalement ou civilement responsables du fait du contenu de ces services que :D'où l'idée selon laquelle l'injonction de suspendre la résolution (et donc l'accès) du nom de domaine miditext.com s'appuyait sur l'article 43-8 qui concerne les hébergeurs, alors qu'en réalité, elle n'a pas besoin de cet article de loi, mais plus simplement du CPI et du NCPC qu'elle évoque par ailleurs. La loi de 1986 amendée ne trouve donc pas sa place ici, puisqu'elle ne peut désigner que les fournisseurs d'accès ou les hébergeurs, et en aucun cas les registrars, ou alors au prix de contorsions juridiques pour le moins dangereuses.
- si, ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n'ont pas agi promptement pour empêcher l'accès à ce contenu »4. Tout ça pour ça
Toute cette affaire demande à rappeler fermement que les sociétés d'enregistrement de noms de domaine ne sont pas des hébergeurs de contenus, et comme telles, ne peuvent être responsables des contenus vers lesquels pointent leurs serveurs de résolution (DNS), dont elles n'ont d'ailleurs pas la totale maîtrise. Les rapports que ces sociétés entretiennent avec la justice sont bien plus souvent liées à des questions de « cyber-squatting » sur des noms de marques déposées, qu'à des affaires du type Miditext.com. Il n'en reste pas moins qu'un juge peut leur ordonner, dans le cadre du droit commun, de suspendre la résolution de certains noms de domaine afin d'empêcher ou retarder la mise à disposition du public de contenus illicites.
« Retarder » est bien le mot, car plusieurs observateurs ont bientôt remarqué que le nom de domaine est très accessoire dans l'acte de publication par le web. Il est en principe toujours possible, comme c'était semble-t-il le cas pour Miditext, d'accéder au serveur en tapant son adresse IP, en se passant donc du nom de domaine. Sauf que la plupart des solutions d'hébergement recourent à du « virtual hosting » c'est-à-dire l'hébergement de plusieurs sites Web sur une même machine. C'est alors le nom de domaine qui permet de retrouver le bon site parmi tous ceux qui se partagent les mêmes ressources matérielles.
Mais il n'est pas besoin d'aller chercher si loin. Le webmestre du site en question, après que Gandi ait suspendu la résolution de miditext.com, a évidemment déposé dans les 48 heures miditext.net auprès d'un registrar - Directi - basé à...Bombay, ce qui prouve qu'il a de la suite dans les idées.
Cet article est une co-publication IRIS/homo-numericus.net
Merci à Corinne Bariel, Kaïs Marzouki et Meryem Marzouki pour leurs informations et éclaircissements.Références :
[1] TGI de Paris. Ordonnance du 31 mai 2002. Affaire miditext.com.
http://www.app.asso.fr/miditext.htm[2] VNUnet.fr. « Le TGI de Paris passe par Gandi pour suspendre un site de musique ». 13 juin 2002.
http://www.vnunet.fr/actu/article.htm?numero=9790&date=2002-06-13[3] IRIS. Dossier loi sur la liberté de communication.
http://www.iris.sgdg.org/actions/loi-comm[4] IRIS. « Décret sur l'identification des données personnelles : ça commence mal ! ». Communiqué de presse. 20 juin 2002.
http://www.iris.sgdg.org/info-debat/comm-decret0602.html[5] ZDNet. « Le TGI de Paris passe par Gandi pour suspendre un site de musique ». 19 juin 2002.
http://news.zdnet.fr/story/0,,t118-s2112121,00.html
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