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Date: Sun, 29 Apr 2001 00:10:52 +0200 Subject: Danone : le combat des "P'tits LU" grignoté Bonsoir à tous, Vous trouverez ci-après une lettre d'Iris, présentant une analyse de la médiatisation autour du site « jeboycottedanone.com ». Nous souhaitons aussi vous faire partager nos préoccupations à propos de ce qui nous semble être une perte de sens dans le combat politique et le combat pour la citoyenneté. Plus que jamais, en ces temps de politique-spectacle, il est nécessaire de conserver la mémoire de ce qui se dit et se fait, et de poursuivre la réflexion et l'action dans la plus grande rigueur. Le comité de rédaction de la lettre électronique d'Iris ================ Danone : le combat des « P'tits LU » grignoté Après avoir été dépossédés de leurs emplois, les « P'tits LU » se verront-ils dépossédés de leur combat ? On peut le craindre, à voir l'ampleur de la médiatisation autour du site « jeboycottedanone.com ». Notons au passage que les employés de Marks&Spencer, comme les salariés d'autres entreprises ayant annoncé - et continuant d'annoncer - des vagues de licenciements, ne font pas l'objet d'un tel remue-ménage, dont on peut se demander à qui il profite vraiment. Il est vrai que, curieusement, seul Danone fait l'objet de l'appel à boycott. C'est donc le boycott qui intéresse. Qui intéresse qui, au fait ? Qui intéresse les médias. Donc qui intéresse les politiques, et les associations et divers réseaux militants, voire branchés. Les « P'tits LU » ne vont pas cracher sur cette mobilisation : quand on est à ce point menacé, tout est bon à prendre. À court terme. À plus long terme, et les syndicats ne s'y trompent pas, cet affaiblissement de leur rôle en faveur du rôle d'une « société civile de consommateurs » est dangereux (cf. à ce sujet l'analyse d'Éric Dupin dans une tribune de Libération du 27 avril 2001 : http://www.liberation.com/quotidien/debats/avril01/20010427d.html). Un combat chasse l'autre Mais ce n'est pas tout. Voilà qu'on a réussi à amener l'affaire - la décence empêche de dire la mobilisation - sur un terrain qui ne peut que renforcer l'intérêt médiatique et politique : Internet. Il faut dire que Danone y a mis du sien : son assignation en justice du webmestre du site www.jeboycottedanone.com, pour « contrefaçon » et pour « exploitation injustifiée de la marque » (il s'agit du pastiche du logo et de la présence de la marque dans le nom de domaine choisi) est une pauvre manoeuvre : la loi, la jurisprudence (notamment jurisprudence Elf en 1998, rappelée par une note du Réseau Voltaire), et... le simple bon sens, indiquent que Danone ne peut que perdre sur ce terrain-là. Pourtant, la société s'obstine, avec l'assignation de www.jeboycottedanone.net. Alors que le juge des référés a retenu que la contrefaçon n'était pas manifeste dans le nom de domaine (puisque la marque est précédée de la mention « je boycotte »), interdisant toutefois l'utilisation du logo pastiché. L'affaire doit être jugée au fond le 30 mai. En attendant, on se presse pour être associé au mouvement (et à sa médiatisation) : du côté des politiques, par exemple, Georges Sarre et le MdC se proposent d'héberger le site du boycott, tôt suivi par Sylviane Ainardi, députée européenne du groupe communiste « Bouge l'Europe ». Noël Mamère, quant à lui, a choisi d'inviter Thierry Meyssan à présenter une conférence de presse à l'Assemblée nationale, pour, d'après un communiqué du Réseau Voltaire, présenter « le bilan et les perspectives de l'opération "jeboycottedanone" sur le Web ». Curieusement, ces propositions ne s'adressent pas aux « P'tits LU », ni aux Marks&Spencer, ni aux autres, pour héberger leurs sites, leurs revendications, leur parole. Compte-t-elle, d'ailleurs, leur parole ? D'autres parlent mieux, à leur place. Le combat s'est déjà déporté du soutien aux « P'tits LU » vers la défense de la liberté d'expression sur Internet... Ce combat est un autre combat, tout aussi légitime. Mais il n'a nul besoin d'instrumentaliser le combat des « P'tits LU » pour, finalement, l'étouffer. Toujours, sur le métier, remettre son ouvrage... Cela dit, il n'en reste pas moins nécessaire de s'insurger aussi contre l'utilisation détournée du droit des marques pour tenter de lutter contre la critique, sur Internet (affaire Élancourt : http://proces.lofficial.com, gagnée en appel par Loïc Lofficial, assigné par la commune d'Élancourt) ou ailleurs (jurisprudence Elf en 1998, référé et appel en faveur du collectif "Elf ne fera pas la loi en Afrique", assigné par la société Elf-Aquitaine), ou, plus généralement, tenter d'empêcher de faire de l'ombre lorsqu'une utilisation légitime d'une même dénomination rencontre plus de succès (affaire Leonardo : http://www.iris.sgdg.org/actions/leonardo). Ce qui ne fait pas plus de doute est la justesse du combat pour affranchir les intermédiaires techniques, d'accès, d'hébergement, ou d'enregistrement de noms de domaine, de toute responsabilité en raison des contenus qu'ils hébergent ou auxquels ils donnent accès, lorsqu'ils se cantonnent à leur rôle d'intermédiation technique. Ce combat, nous l'avons mené depuis la création d'Iris. Nous nous réjouissons du nombre grandissant de ceux qui nous rejoignent. Nous nous réjouissons du fait que le Conseil constitutionnel, saisi à l'issue du vote définitif, ait censuré la disposition sur les "amendements Bloche" exactement avec les mêmes arguments que nos mises en garde au gouvernement (cf. http://www.iris.sgdg.org/actions/loi-comm). Car pour l'instant, la loi est claire, et c'est la loi. Elle dit, en particulier, que l'intermédiaire d'enregistrement du nom de domaine jeboycottedanone.com n'avait aucun droit d'interdire l'accès au site en interrompant la redirection du nom de domaine. Nous sommes confiants dans le fait que justice sera rendue dans ce sens, suite à la plainte engagée par le Réseau Voltaire à ce sujet. Nous soutenons cette action, et nous nous réjouissons que le Réseau Voltaire ait les moyens de la mener. LSI : la vigilance s'impose Au-delà de cette affaire, nous restons très préoccupés de la tentative du gouvernement de revenir, sous une autre forme, aux dispositions adoptées par les parlementaires, et censurées par le Conseil constitutionnel. Nous le répéterons tant que cela sera nécessaire : la notion de « manifestement illicite » est trop vague pour avoir un sens quelconque, et seule l'autorité judiciaire est habilitée, dans une démocratie, à dire le droit, jugeant du légal et de l'illégal. La méthode qui consiste à légitimer, par la loi, le rapport de force qui seul décidera l'hébergeur à agir pour supprimer ou non l'accès à un contenu, c'est-à-dire à porter atteinte à une liberté constitutionnelle, est une méthode profondément antidémocratique. Pour autant, il ne s'agit pas là de notre seule préoccupation quant à l'avant-projet de loi sur la société de l'information. Les 61 articles de ce texte feront l'objet de nos commentaires détaillés, et de nos propositions de modification. Iris rendra publique sa contribution à ce sujet le moment venu. Un danger pour la démocratie Plus généralement encore, nous appelons à la réflexion en profondeur, à l'occasion de cette affaire exemplaire, sur ce qui nous semble être une perte de sens dans le combat politique et le combat pour la citoyenneté. Notre inquiétude, à long terme, réside dans les glissements que connaissent ces combats, immergés, eux aussi, dans le spectaculaire. Le mélange des genres, tout comme l'acceptation - si ce n'est le souhait - du désengagement de l'État, pour laisser des acteurs privés - sociétés commerciales contre société civile - s'engager dans un rapport de force arbitré par la médiatisation, n'augurent rien de bon pour la démocratie. Ils nous mèneront bien plus sûrement vers un « totalitarisme tranquille », comme l'analysent si bien André Bellon et Anne-Cécile Robert : « Si l'enfer est pavé de bonnes intentions, il est aussi gardé par de braves gens. Une société vit au travers des images qu'elle se donne à elle-même. Et la figure du consommateur débonnaire, en remplaçant celle du citoyen, garde les portes du nouveau monde post-démocratique. Tranquillement, l'esprit humain sort de lui-même fasciné par son propre affaiblissement, enivré de ses reniements et de son irresponsabilité. Et la démocratie, contrat qui légitimait naguère la vie en société pour des citoyens libres et égaux, devient optionnelle pour des individus dépossédés de toute souveraineté. » (« Un totalitarisme tranquille - La démocratie confisquée ». Éd. Syllepse, Coll. Arguments et mouvements. Février 2001. 124p. 45FF).
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