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Date: Wed, 24 Jan 2001 21:49:24 +0100 Subject: « Corégulation » : l'intérêt général soumis aux mécanismes de marché Bonsoir à tous, La mise en place d'un « organisme de corégulation » se précise, puisqu'elle est annoncée pour ce premier trimestre de l'année. Mais en fait de précision, à part cette vague idée de calendrier, l'opacité règne. Une telle situation laisse à penser que l'enjeu réel dans cette affaire est de faire primer le contrat sur la loi, soumettant ainsi l'intérêt général aux mécanismes de marché. Vous trouverez ci-dessous l'analyse d'IRIS à ce sujet. Le comité de rédaction de « Les Iris » ====================================== « Organisme de corégulation » : l'intérêt général soumis aux mécanismes de marché. « Organisme de corégulation », « Forum des droits de l'Internet », ou « mission interministérielle pour l'accès à la citoyenneté et au droit sur Internet » ? Une information laconique de la « Lettre d'information d'internet.gouv.fr » (lettre institutionnelle) nous annonce le 5 janvier 2001 que « l'organisme de corégulation de l'internet sera mis en place avant la fin de ce trimestre. Chargée de cette mise en place et de son pilotage : Isabelle Falque-Pierrotin, maître des requêtes au Conseil d'État ». Si le choix d'Isabelle Falque-Pierrotin est sans grande surprise, il y a lieu de s'interroger sur le fait que la dénomination « organisme de corégulation » a été préférée à celle de « Forum des droits de l'Internet », proposition du rapport de Christian Paul à l'issue de la mission qu'il avait assurée pendant un an, alors qu'il était encore député. Au-delà d'une simple dénomination, le choix est signifiant Un « organisme de corégulation » a été pour la première fois proposé par un rapport du Conseil d'État publié en 1998, et intitulé « Internet et les réseaux numériques » [1]. Isabelle Falque-Pierrotin en était rapporteur. Dans ce document, de nombreux, et, pour certains d'entre eux, extravagants pouvoirs étaient suggérés pour cet organisme. Quant à son budget de fonctionnement et sa composition, le Conseil d'État estimait que cet organisme nécessiterait un budget global annuel de 20 millions de Francs, assuré par des subventions publiques, mais aussi par les cotisations des membres de l'organisme, pouvant « varier selon la part de marché de l'intéressé et conditionner les droits de vote » ! En résumé, comme IRIS l'a dénoncé dans son rapport d'avril 2000 intitulé « Pour une alternative démocratique à la corégulation d'Internet : Proposition de création d'une mission interministérielle pour la citoyenneté et l'accès au droit sur Internet » [2], en contribution aux travaux de la mission Christian Paul, il s'agissait pour le Conseil d'État de mettre en place un organisme privé mais légitimé par les pouvoirs publics, voire par le législateur, aux pouvoirs énormes, échappant à tout contrôle démocratique, dont le poids des membres est déterminé par leurs parts de marché. La proposition faite par Christian Paul de créer un « Forum des droits de l'Internet » [3] a su largement éviter ces écueils. IRIS a salué dans un communiqué de presse publié le 7 juillet 2000 [4] cette proposition, qui d'ailleurs rejoignait largement les recommandations et propositions d'IRIS pour les missions du forum. En particulier, la proposition ne dotait le forum d'aucun pouvoir, et en faisait un lieu d'organisation du débat public et de consultation, de dissémination d'informations pédagogiques, et de soutien aux expériences nouvelles. Toutefois, le communiqué d'IRIS soulignait que la proposition de Christian Paul achoppait dangereusement sur la question de la composition du forum et celle de sa représentativité. La mission Christian Paul n'avait en effet pas su résister à la tentation de doter le FDI d'une représentativité et d'une légitimité auxquelles une telle entité ne peut, par définition, prétendre et dont elle n'a nullement besoin pour accomplir les missions qui lui sont assignées. IRIS l'avait démontré à la fois dans son propre rapport [2] et dans son communiqué [4]. L'incroyable obstination du gouvernement Alors que le gouvernement a déjà mis en place des missions interministérielles pour Internet, comme les deux plus récentes, à savoir la mission pour les points d'accès public à Internet, confiée à Alain Giffard (décembre 2000) et la mission pour l'économie numérique, confiée à Henri Guillaume (janvier 2001), comment expliquer ce refus obstiné de la part du gouvernement de créer une mission pour traiter de la question « du droit et des libertés sur Internet » (pour reprendre le titre du rapport de Christian Paul), ou de « la citoyenneté et l'accès au droit sur Internet », selon la proposition d'IRIS ? Le Premier ministre avait pourtant bien accueilli le rapport Christian Paul, contrairement aux divers rapports précédents sur le même thème. Il semblait acquis que l'entité à créer serait dépourvue de pouvoirs, et que la question de la composition du forum, et donc de sa représentativité, allait clairement être reconsidérée. Une façon efficace d'écarter le problème aurait été d'opter, justement, pour une mission interministérielle, telle que proposée par IRIS [2]. Interrogé sur cette question le 21 décembre lors d'une entrevue accordée à l'association, le cabinet du Premier ministre indiquait que les statuts de l'entité à créer étaient en cours d'élaboration... par l'administration. Il semble donc que la « corégulation » commence très fort : une fois mise en place, l'entité n'aura plus qu'à chercher à se donner un semblant de représentativité. L'enjeu réel : faire primer le contrat sur la loi On ne manquera pas de souligner l'« ouverture sur la société civile », signe de modernité et de démocratie s'il en est, d'un tel organisme. Sous couvert d'ouverture, le concept même de « corégulation », qui n'est pas une idée neuve si l'on considère d'autres secteurs, accompagne l'approche libérale fondée sur la société de marché, pour mieux réduire le rôle du politique. Comme IRIS le notait déjà dans son rapport d'avril 2000 [2], la « corégulation » est un signe patent de la « nouvelle constitution libérale », qui souhaite limiter l'intervention des États à la protection du copyright ou aux questions de responsabilité pénale, pour laisser principalement l'industrie définir les modes de régulation, voire de « gouvernance » d'Internet. C'est ce que nous avons aussi voulu rappeler en définissant la problématique de l'un des ateliers de travail au cours des troisièmes Assises de l'Internet non marchand et solidaire [5] : au-delà même d'Internet, la « corégulation » traduit une profonde remise en question de la démocratie et de l'aptitude de l'État à exprimer l'intérêt général, dans un contexte où le libéralisme prétend satisfaire cet intérêt général par les mécanismes de marché. Le gouvernement souhaite peut-être aussi revenir sur les dispositions adoptées dans la loi sur la liberté de communication du 1er août 2000 concernant la responsabilité des intermédiaires techniques [6]. Si le Conseil constitutionnel a invalidé la disposition subordonnant l'absence de responsabilité du fournisseur d'hébergement aux « diligences appropriées » auxquelles il procéderait, il n'en reste pas moins que certains membres du gouvernement et parlementaires n'ont pas renoncé, à en croire leurs déclarations publiques, à subordonner l'absence de responsabilité du fournisseur à la diligence dont il ferait preuve, en supprimant de son propre chef un contenu porté à son attention comme illégal ou nocif par une quelconque tierce partie. Une telle tierce partie pouvant être un « organisme de corégulation » doté des prérogatives adéquates. On se souvient d'ailleurs qu'un tel organisme est référencé à plusieurs reprises dans le document d'orientation du gouvernement sur la LSI, publié et soumis à consultation au cours de l'année 1999 [7]. Le projet de loi était en cours de finalisation fin décembre 2000, et devait être soumis à divers organismes, comme l'ART, le CSA et la CNIL, avant d'être présenté au Parlement. Le cabinet du Premier ministre ne voyait fin décembre absolument aucune raison de rendre publiques ces versions intermédiaires avant transmission au Parlement : la transparence a ses limites... Références : - [1] « Internet et les réseaux numériques ». Rapport Conseil d'État. Juillet 1998. http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref/rapce98/accueil.htm - [2] « Pour une alternative démocratique à la corégulation d'Internet : Proposition de création d'une mission interministérielle pour la citoyenneté et l'accès au droit sur Internet ». Rapport IRIS. Avril 2000. http://www.iris.sgdg.org/documents/rapport-coreg/rapport-coreg.html - [3] « Du droit et des libertés sur l'Internet ». Rapport Christian Paul. Juin 2000. http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref/pagsi2/lsi/rapportcpaul/sommaire. htm - [4] « Rapport Christian Paul sur la corégulation : Le projet écarte les principaux dangers, mais comporte un grave risque structurel de paralysie ». Communiqué de presse IRIS. 7 juillet 2000. http://www.iris.sgdg.org/info-debat/comm-coreg0700.html - [5] « Atelier 3 - Représentativité des acteurs d'Internet ». Troisièmes Assises de l'Internet non marchand et solidaire. 16 décembre 2000. http://www.assises.sgdg.org/2000/preparation-assises00/atelier3.html - [6] Dossier complet d'Iris sur la loi sur la liberté de communication. Mai 1999 à juillet 2000. http:/www.iris.sgdg.org/actions/loi-comm - [7] « Avant-projet de loi "Société de l'Information" (LSI) ». Document d'orientation du gouvernement et consultation publique. Octobre à décembre 1999. http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref/pagsi2/lsi.htm
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