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Date: Mer 19 juin 2002 09:21:01 Europe/Paris
Subject: Élections, piège à rétention (de données)Élections, piège à rétention (de données)
Par Meryem MarzoukiLa lettre de « Temps Réels », section Internet de la Fédération de Paris du Parti socialiste français [1], consacrait son numéro 53 [2], publié entre les deux tours des élections législatives, à tenter de mobiliser les électeurs de gauche en vue du scrutin du 16 juin 2002. Dans cette livraison, « Temps Réels » présentait en particulier des résultats de simulation de report des votes au second tour, obtenus grâce à un outil réalisé par le Parti socialiste pour « évaluer l'ampleur de la mobilisation nécessaire pour que la gauche l'emporte ». L'outil et la simulation en eux-mêmes ne posent pas problème, s'agissant d'opérations statistiques sur des données publiques agglomérées.
Pour autant, le Parti socialiste français semble avoir d'autres algorithmes dans son sac, qui posent bien plus question que cet outil de simulation. Un récent article du Monde [3] décrit les « mille et une manières d'attirer l'abstentionniste » utilisées par le PS. Laissons la journaliste en décrire une : « Nés entre 1967 et 1984, descendus dans la rue avec des banderoles "FN-haine" ou "Le Pen, ça rime aryen", votre profil intéresse le PS, qui s'est mis aux méthodes de marketing les plus ciblées. Dès mardi, des équipes de militants se sont rendues à la préfecture, avec des grilles d'électeurs préétablies. Sur les listes d'émargement, ils ont relevé les numéros de chaque case où l'absence de signature trahit l'abstentionniste. De retour à la permanence, ils ont identifié les fautifs. Un logiciel ad hoc leur a permis d'isoler, parmi eux, les 18-35 ans. Les étiquettes ont été imprimées. Dans le 5e et dans une partie du 6e arrondissement, par exemple, la candidate socialiste Lyne Cohen-Solal a fait partir 4 500 lettres au courrier, mercredi matin ». Tous ces courriers comportaient, toujours selon l'article du Monde, une lettre de Bertrand Delanoë, maire (PS) de Paris, accompagnée d'un message signé du candidat (PS ou Vert) de l'arrondissement à la députation.
Sous réserve de la publication ultérieure d'un démenti, on ne peut que ressentir un fort malaise, et même une saine colère, à constater la scandaleuse utilisation de données personnelles aussi sensibles. On aimerait bien savoir si ce type de traitement informatique a été déclaré - voire autorisé - par la CNIL. On est aussi en droit de savoir en quoi consistent ces « grilles d'électeurs préétablies », et à quels critères elles répondent. On aimerait également connaître quelles sont exactement ces « méthodes de marketing les plus ciblées » qui ont été utilisées.
En outre, si l'affichage des listes d'émargement électoral est utile au processus démocratique et à son contrôle, on peut se demander s'il est bien nécessaire d'afficher plus que la simple liste des signatures effectivement apposées, puisque l'on se rend compte à présent que le travail de petites mains militantes peut avantageusement être complété par une judicieuse organisation informatique des traitements de « back office ». Voilà qui permettra sans nul doute d'alimenter la réflexion autour de la publication du « livre blanc sur la protection des données personnelles et l'administration électronique » [4], dont le rapporteur général n'est autre que Maurice Ronai, du Commissariat général au Plan, mais également secrétaire de la section Internet de la Fédération de Paris du Parti socialiste français (section « Temps Réels »).
Notre propos, dans ce billet que nous faisons intentionnellement paraître après le second tour des élections législatives, puisque la date de clôture de la campagne électorale n'aurait sans doute pas autorisé une réponse circonstanciée du Parti socialiste, n'est certainement pas partisan. Du moins, il ne s'agit nullement de prendre parti, ne serait-ce qu'indirectement, en faveur de la droite. Il s'agit de montrer, une fois de plus et sur la base d'un cas concret sur lequel nous alerte l'article du Monde cité, à quel point la question des données personnelles et de leur utilisation est sensible, et peut autoriser les abus les plus graves si l'on n'y prend pas garde. Il s'agit pour nous d'insister, encore et toujours, sur l'absence de compromis possible en matière de droits de l'homme. Il ne fait aucun doute que le droit à la vie privée et à la protection des données personnelles en est un, lorsque l'on traduit ces droits de l'homme dans le contexte des techniques de l'information et de la communication.
Comment ne pas penser en effet au vote récent, intervenu en seconde lecture par le Parlement européen, de la proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques [5] ? Ce vote a permis de légitimer la conservation systématique, à des fins exploratoires, des données de communication. Grâce au vote des députés du groupe du Parti socialiste européen (dont le vote des socialistes français [6]), qui se sont alliés à leurs collègues du Parti populaire européen (droite), un « compromis » a pu être trouvé avec le Conseil des ministres de l'Union européenne sur ce point.
La publication en France par IRIS du détail des votes français a reçu suffisamment d'audience pour que le PS se sente obligé, les élections législatives approchant, de tenter de justifier ce vote. Ainsi, le secrétaire de la section Internet de la Fédération de Paris du Parti socialiste français a réagi le 5 juin sur une liste de discussion publique d'IRIS consacrée au thème de l'« Internet non marchand et solidaire » [7], pour tenter de justifier ce « compromis » : « Il est peut être utile de rappeler que le compromis adopté présente un certain nombre d'avancées, trés attendues, sur la protection de la vie privée face aux opérateurs commerciaux » [8], tout en reconnaissant ses limites sur les prérogatives de surveillance accordées aux États membres (« Quant au compromis sur l'article 15 est, j'admets, bien volontiers, qu'il est trés en deça de l'amendement Cappato. » (sic) [8]). Plus officielle, mais utilisant le même argumentaire, une réaction de Martine Roure, au nom de la Délégation socialiste française, a été publiée sur le site du Parti socialiste français le 7 juin 2002 sous la forme d'une brève [9]. La députée européenne s'y exprime ainsi : « Notre position sur cette directive est claire depuis le début des discussions : protection des consommateurs avant tout », sans doute dans la volonté d'affirmer l'intransigeance du Parti socialiste français sur les principes...
Cet argumentaire n'était encore que spécieux lorsque nous avons répondu à Maurice Ronai sur la liste de discussion [7] (« Il ne s'agissait pas de décider d'un compromis global sur l'ensemble de la Directive, dont l'autre grand enjeu, effectivement, était la protection des données contre les utilisations commerciales [...]. Il y avait d'autres amendements pour ce faire, portant sur les articles concernés. Et il était effectivement nécessaire de rejeter les amendements du rapport Cappato sur ces points, puisque ce rapport favorisait entre autres l'opt-out. » [10]). Avec cette information rapportée par Le Monde dans l'article cité, l'argument du « compromis » qui aurait été recherché par souci de protection de la vie privée face aux opérateurs commerciaux apparaît comme étant également cynique et indigne des valeurs de la gauche.
Références :
[1] Temps Réels.
http://www.temps-reels.net[2] Lettre de Temps Réels n°53 du 11 juin 2002.
http://www.temps-reels.net/lettre_affiche_lettre.php?num=53[3] « Au PS, mille et une manières d'attirer l'abstentionniste », par Ariane Chemin. Le Monde du 15 juin 2002, page 8.
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3224--280430-,00.html[4] Pierre Truche, Jean-Paul Faugère, Patrice Flichy. « Administration électronique et protection des données personnelles. Livre blanc ». Rapport au ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l'Etat. La Documentation française, 2002. 132 pages. ISBN : 2-11-005144-2.
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/brp/notices/024000100.shtml[5] IRIS. « Le Parlement européen légitime la surveillance généralisée des citoyens ». Communiqué de presse, 31 mai 2002.
http://www.iris.sgdg.org/info-debat/comm-vote-pe0502.html[6] IRIS a publié le détail des votes français à propos de la conservation des données au Parlement européen le 30 mai 2002.
http://www.iris.sgdg.org/info-debat/vote-pefr300502.html[7] Liste INMS (consacrée aux discussions sur le thème de l'Internet non marchand et solidaire). Liste publique, mise en place, administrée et modérée par IRIS.
http://www.iris.sgdg.org/sabonner.html[8] Extraits du message publié par Maurice Ronai sur la liste INMS. 5 juin 2002. Message numéro 2399 dans les archives de la liste.
[9] Parti socialiste français. « Parlement européen : protection de la vie privée sur Internet ». Actualité nationale. 7 juin 2002.
http://www.parti-socialiste.fr/ps/admin/doc/documents/consult_actu.php?id=NzM3&rubrique=nationale[10] Extraits du message publié par Meryem Marzouki sur la liste INMS. 5 juin 2002. Message numéro 2400 dans les archives de la liste.
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