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Mon, 18 Feb 2002 22:52:00 +0100
Subject: Artifices et maléfices : l'argent de la Cause
Artifices et maléfices : l'argent de la Cause par Jean Rembert pour IRIS Tout le monde a besoin d'argent, pour les actionnaires, les investissements, la politique, l'humanitaire, la sécurité (premier besoin officiel) parfois même pour augmenter les salaires ou autres choses sociales, de moindre niveau sur l'échelle officielle des besoins. Les manières d'obtenir de l'argent sur l'internet sont pour l'essentiel banalement marchandes (vente de biens ou de services) et s'inscrivent dans la logique courante des affaires. Cependant, la créativité et la résolution des chercheurs de fonds ont fait apparaître des façons paradoxales, qui ont leur efficacité ; à supposer que l'on ait les moyens de diffuser une image différente, de tirer parti d'une excellente Cause, plutôt que d'un trivial produit de commerce. Il n'y a pas que le privé-marchand-consommateur et les start-up dans la vie, on peut aussi faire du business pour les bonnes causes avec le public-non marchand-citoyen. Et ce n'est pas sans conséquence majeure, puisque, dans ce dernier cas, la communication des initiateurs participe à un jeu pervers de dilution de repères... Le service public alternatif d'intérêt général On connaît l'usage immodéré des termes « citoyen », « non marchand » dans la communication d'initiatives qui veulent caler leur image en parlant comme il convient au petit peuple de l'internet. Tout cela est bien sympathique, mais un peu confus. Pour ajouter à la confusion, on découvre le service public alternatif sic. Alternative à quoi ? Ben au service public, par exemple. On lit avec intérêt [1], au sujet du commerce des noms de domaines qu'il s'agit de « vendre quelque chose qui ne coûte presque rien et qui appartient à tout le monde. Cela devrait être géré par le service public ». Sacré Laurent (c'est le prénom du gars), devant la défaillance du service public, il fallait bien que quelqu'un s'y colle, on est alternatif ou pas. Il suffit de revendre pas trop cher, sinon, ça fait capitaliste avec le cigare. L'application de la stratégie de gestion des restaurants populaires, la « culbute » (vendre deux fois le coût, ce qui laisse, une fois payés les frais et taxes, entre le quart et le tiers du chiffre), c'est presque du service public. L'ennui, c'est que si ça marche bien, ça laisse beaucoup, ce qui fait moins service quand même. Ma tante, restauratrice populaire et citoyenne démocrate, donc, a fini avec deux hôtels à Paris à force de vendre des repas à 50 balles. Elle a alors appliqué un autre modèle, celui de la rente, qui est bien aussi. Entre temps, elle a prêté de l'argent à ses soeurs, qui avaient bossé pour elle pour pas un rond au nom du contrôle des charges fixes. Modèle classique, mais assez éloigné du service public, on en conviendra, et assumé sans scrupules. Si ma tante en avait, on l'appellerait Laurent. Car l'affaire SARL Gandi, dont on cause ici, ça a trop laissé, par malheur. Plus de 300 000 noms de domaine revendus 12 pour un coût d'achat de 6, calculez. Nos camarades sont de bons managers, pas comme les autres citoyens qui veulent taxer les registrars, enfin, les clients des registrars, pour gratter un peu là où c'est possible, les subventions, ça ne suffit pas toujours. Bref, « l'argent gagné reviendra pour partie à des projets qu'ils jugeront d'intérêt général...». Parmi ces projets, il y a Gitoyen, un GIE diversement composé (y compris de l'hébergeur « gratuit » Globenet, dixit la journaliste), à qui « Gandi a apporté 100 000 euros pour 2001, et apportera un investissement similaire pour 2002 ». Heureusement, parce que le Gitoyen sans Gandi, ce serait un peu comme Wanadoo sans les annuaires, de la rude perte qui bile l'actionnaire... C'est sympa d'aider, mais nos camarades ont les moyens, ils estiment le chiffre d'affaires à « 4 millions d'euros avec un bénéfice proche de 1 million d'euros pour 2001 ». C'est sympa d'investir environ 3% de son chiffre dans les projets intéressants, la Fondation France Télécom est loin derrière. Et puis, ça laisse de quoi payer les bières. Et 1 sur 4, ça fait bien 25%, comme ma tante qui aurait dû avoir le Nobel de petite économie. En passant, on peut aussi appeler ça les 25% que les clients ont payé en trop (si c'était du service pour de vrai), mais comme ailleurs c'est plus cher... Et le client est content de financer un peu l'alternatif moderne plutôt que le capitalistique ancien, à hauteur des 3 euros indus. Bien sûr, mes 3 euros, j'aurais peut être décidé de les mettre ailleurs si j'avais eu le choix... Ce qui m'ennuie n'est pas la réussite d'une entreprise, encore moins le fait que des gens se décarcassent pour offrir des services moins chers, ou compléter les insuffisantes subventions du SEES aux amis. C'est utile. Ce qui m'ennuie, c'est que je ne vois pas trace de « service public », « d'intérêt général » ou je ne sais quoi du même ordre. Je vois un système de mécénat amical, décidant seul de ce qui est « d'intérêt », appuyé sur une gestion économe des charges fixes. Il y a toujours eu des entreprises le pratiquant, du courant chrétien social aux sociétés du parti. Les subventions sociales Si on a pris la précaution de constituer une association à but non lucratif, ou une autre forme tiers-sectorielle, plutôt qu'une société commerciale ou un collectif de fainéants qui ne veulent pas rédiger de statuts, de bonnes sources de financement sont accessibles. Le Secrétariat d'Etat à l'Économie Solidaire (SEES) dispose d'un peu de sous pour des projets sociaux répondant à des besoins identifiés. Attention, pas les besoins de l'association (machine à café, fauteuils etc.), les besoins de sa population cible. Il faut donc une Cause, qui ne peut être ici le financement des copains alternatifs. Mais ne pensons pas qu'il faille une cause de gros calibre (la faim, l'exploitation des enfants etc.). On peut s'en tirer avec une cause modeste à l'échelle des besoins, par exemple aider les pauvres en connexion, ou en hébergement de sites personnels, ou bien encore s'engager à concourir au développement de l'économie solidaire. Évidemment, ça fait des crises de jalousie, tel hébergeur autogéré (Lautre) obtient 4 fois moins de sous que tel autre coopératif (Ouvaton), alors que, faut pas déconner, ils avaient le même besoin, soit zéro, puisque leur affaire est autofinançable. Encore, eux, ils disent, ce qui témoigne du maintien d'un bon esprit. Les autres (Globenet, hébergeur associatif autofinancé, Mediasol, « portail d'économie solidaire » infinançable, Vecam, qui a pour but la « réflexion approfondie », ce qui n'a pas de prix, par exemple), on ne sait pas trop le montant du produit de la pêche pour développer le social, approfondir encore la réflexion, se payer des permanents, et assurer les voyages, priorités absolues comme on s'en doute. Ma tante n'avait pas du tout pensé aux subventions, elle est bête, elle aurait eu des voyages au soleil ou à la neige, qui forment la jeunesse et entretiennent les relations de bon aloi. Il n'y a d'ailleurs pas que le SEES, n'importe quel ministère peut aider des projets, les Affaires Étrangères par exemple. On notera que certains tirent deux fois dans ces affaires, une fois sur les bénefs, une autre sur les subventions, alors que le besoin n¹a rien d¹une cruelle et urgente nécessité économique. Le premier coup en faisant l'alternatif, le second en faisant le dossier conforme. Une double compétence. J'y pense, et ça m'irrite, dans les deux cas j'ai payé un peu. Adhérents et partenaires Il y a des adhérents bas de gamme, dans les associations, que l'on garde pour faire masse, ou ne pas vexer, mais qui ne rapportent rien que leurs 10 ou 20 euros de cotisation, une misère. En fait l'association n'a pas besoin de plus d'adhérents que nécessaire pour former un bureau, vu qu'elle n'a pas vocation à représenter le chétif effectif de ses membres, mais sa population cible tout entière (les pauvres en connexion, les femmes de nerd, les handicapés du débit, le sud, les analphabètes numériques etc.). C'est gonflé de représenter des gens qui n'ont rien demandé, oui d'accord. Mais il faut savoir être gonflé, sinon, les autres ont tous les sous pour leur cause de rien, et nous tintin pour la Cause et les frais de fonctionnement. Il faut faire payer ceux à qui ça ne coûte pas, vu que ce n'est pas leur argent. La cotisation d'entreprise, c'est bon, on peut aller jusqu'à 16 000 euros pièce, avec les sous des cons de clients, comme au Forum des Droits sur l'Internet, association qui a pour but le développement urgent de la « civilité » sur le réseau, et qui a besoin de 10 MF ans pour survivre. Je vous les donne en francs de ma tante qui est vieille, ça parle plus, 10 myions 500 mille anciens anciens francs pour la cotise, 1 myiard pour le besoin annuel. C'est un peu moins cher à la Fondation Internet Nouvelle Génération qui a pour but la stimulation de l'innovation (disent-ils sans intention humoristique). On trouvera inévitablement parmi les adhérents de luxe Bouygues, FT, et Vivendi, quelques filiales aussi, quelques copains, et même Microsoft. Les pratiquants de la contribution d'entreprise peuvent aussi émarger aux subventions, vu les « besoins », mais pas aux bénéfices alternatifs, quand même. Là aussi, il y a des sous à moi qui ont été distribués sans mon avis. Enfin, les mêmes entreprises ont des services de mécénat, qui ne se disent pas « d'intérêt général », et qui peuvent être sollicités au coup par coup pour des intérêts particuliers, comme l'organisation de fiestas conformistes en échange d'un peu de pub (penser à inviter le sponsor à la Rencontre ou au Sommet). Les taxes citoyennes Les technique citées ci-dessus sont cependant de petite envergure, et ne permettent pas de faire de vrais bons coups. Il faut aller plus loin. Ici figurent les gens qui n'ont vraiment rien à produire d'utile, à la différence de certains précédents, d'où une créativité et des besoins augmentés. Ils n'ont rien à vendre qui intéresse, à la différence du boulanger, du prof, du pompier, du plombier, de l'infirmier, du marchand de tout par correspondance etc. etc. Où trouver l'oseille ? En prélevant un petit bout de ce que l'on est obligé de faire pour se connecter et s'héberger. Subtil, pour demander des sous aux gouvernements, on est plus à l'aise si on les aide à en faire rentrer un peu plus, il y a mille façons d'être citoyen. C'est la malédiction de la vulgate Tobin mâtinée de minitel, un tout petit peu multiplié par beaucoup, ça laisse pas mal. Pour Tobin, vu que ça en coûte pas mal, ça réduit les flux financiers, ça ne vaut plus le coup de spéculer sous un certain seuil, et ça dégonfle le flux de tout ce qui est sous le seuil. Point. Pour les malins néoéconomes, ben ma foi, ce que rapporte le prélèvement, on pourrait se le goinfrer pour la bonne cause. Mais à quel titre demander de l'argent ? Au titre de Représentant. Il suffit pour cela de créer une association, de préférence sur un créneau où il n'y a encore personne ou pas grand monde, de s'attribuer une mission réputée utile et noble, et d'essayer de passer à la caisse ensuite. La caisse, c'est ce qui est prélevé sur les sous des gens, et peut donner des subventions, assises sur des taxes. La mission, soyons clair, ne doit pas être triviale, ni indécente. Si je monte une association pour la défense des revenus à plus de 400 fois le smic des dirigeants de grandes sociétés, ou l'abaissement de la majorité à six ans dans les pays où les gosses travaillent très précocement, ou la suppression de la retraite, je suis un salaud de chez pourri, le Ministre ne me donnera pas de sous, on ne créera pas de taxe au bénéfice des projets de mon assoce, et mes copains m'appelleront looser. En revanche, si je veux promouvoir la culture, la citoyenneté, l'internet chez les analphabètes qui ont bien le droit d'écrire des mails aussi, je peux tenter ma chance. On apprend que certains voudraient taxer le .com. On apprend ensuite que ce n'est pas ça, les journalistes comprennent mal, c'est taxer les entreprises qui utilisent le web, puis les registrars qui font plein de fric, enfin tout le monde, autant avoir une bonne assiette. Plus l'assiette est large, plus elle contient. Minute, objecte l'objecteur en conscience, les registrars ne sont pas tout le monde, on taxe l'entreprise sur ses bénefs, c'est tout [2]. Quel roué cet objecteur, il fait semblant de croire que sur un marché pépère comme ça, une taxe sur l'entreprise ne va pas être répercutée illico sur le prix payé par le petit Michou pour avoir un vrai nom de domaine, ou par Rocco et ses frères, pizza de la mamma. Comme ça, au lieu de payer le nom de domaine 25% plus cher pour cause de plus value privée sur le service public alternatif d'intérêt général, ce sera 50%, et même un peu plus, avec la TVA qui gratte un peu. Un jeu gagnant gagnant entre subventionneur et subventionné. Une fois payé le coût de la bureaucratie pour gérer le machin, il restera peut être une petite chose au bénéficiaire final, qui attend dans le Sahel qu'il pleuve enfin des connexions. Une autre manière, avec une population cible plus petite, mais anoblie dans le drapé culturel. Sur le web, il y a une chose étrange et fondamentale qu'on appelle le contenu. Ainsi désigne-t-on les textes, images, sons, vidéos accessibles en tapant achtétépé sur le navigateur. Ces contenus contenus dans le fichier ouvert ont été faits par des gens. Admettons que l'on crée la fiction d'une communauté d'intérêt, ou de participation culturelle, entre ces personnes ou sociétés, et qu'on se dise leur représentant en créant une association ad hoc, qui va mieux marcher qu'une entreprise de pub qui a dû fermer... Et c'est bon pour la France de promouvoir les contenus contenus dans les fichiers des français. Vous pensez que je raconte des bêtises, mais non, des malins pensent à taxer les FAI, enfin les clients des FAI, pour aider la production culturelle [3]. Car, on l'ignorait, il y a « D'une part les pages perso, tout et n'importe quoi [...] D'autre part le web marchand, pour faire ses courses ou regarder un film [...] Et enfin le web média, celui des contenus...». Vous voyez bien qu'il suffit d'inventer la chose, même avec stupidité, n'ayons pas peur, pour ensuite la représenter... Comme un « syndicat », c'est dit aussi, n'ayons vraiment pas peur. Conclusion provisoire Certes, les journalistes comprennent parfois de travers, et surtout quand c'est mal exprimé au départ. C'est la confusion complète, un magma informe où toute spécificité disparaît au profit du spectacle marchand qui met en scène des marionnettes, aujourd'hui l'un, demain l'autre, pour faire dire n'importe quoi. Ce n'est pas innocent du tout. La communication de nos amis un peu négligents sur les signifiants a une vertu bien précieuse pour ceux-là même qu'ils prétendent combattre. Car au bout du n'importe quoi, ce sont les notions de service public, d'intérêt général, de représentation, de syndicat ou de citoyenneté qui sont diluées jusqu'à ne rester qu'à l'état de traces mnésiques confuses dans des cervelles molles où tout s'équivaut. Un vrai rêve ultra-lib, merci les gars, merci les filles, d'y contribuer, au nom de bonnes intentions... Oui, tout n'est pas rose et vous le payez cher, assurément, quand on est subventionné ou aidé, on ne crache pas dans l'oeil de qui a tendu une main secourable dans ma poche, on n'a rien à dire sur les lois ou sur les copains, on s'écrase avec la conscience qui saigne, quelle souffrance. C'est un des aspects de la gouvernance que de lier le partenaire de la « société civile ». Ce serait pourtant aisé de dire les choses pour ce qu'elles sont, que ces initiatives sont assises sur les défaillances du public national et des organisations internationales, qui dépolitisent et externalisent leurs missions vers les sous-traitants qui le veulent bien, et ensuite regardent ailleurs. À force de voir laisser diffuser n'importe quoi sur le citoyen, le non marchand, l'intérêt général, les besoins et le reste, les mauvaises têtes comme moi vont finir par penser qu'il y a quelque filouterie marketing dans ces propos indécents. Dommage, on peut faire autrement si on le veut. Notes : [1] « Gandi investit ses bénéfices dans le net alternatif ». Capucine Cousin avec DP, 01net. 11-02-02. http://www.01net.com/rdn?oid=176217&thm=UNDEFINED [2] « L'idée d'une taxe Tobin sur les noms de domaine est dans l'air ». Estelle Dumout et Jérôme Thorel, ZDNet France. 06-02-02. http://fr.news.yahoo.com/020205/7/2h2j3.html [3] Communiqué de l'association des Webproducteurs. 05-02-02. http://www.leswebproducteurs.com/compress10.html


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