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Date: Wed, 17 Jan 2001 11:10:58 +0100
Subject: Yahoo, l'affaire aux multiples facettes

Bonjour à tous,

Cette lettre d'IRIS est consacrée à un retour sur l'affaire Yahoo,
loin d'être close à la suite du "revirement éthique" récent de la
société américaine.
Adresse permanente de cette lettre sur le web :
http://www.iris.sgdg.org/les-iris/lbi/lbi-160101b.html

Le comité de rédaction de « Les Iris ».
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Yahoo : l'affaire aux multiples facettes

Yahoo Inc. a annoncé le 2 janvier 2001 l'interdiction de la vente
d'objets nazis et du Ku Klux Klan sur ses sites d'enchères à compter
du 10 janvier. Cette décision intervient un mois et demi après
l'ordonnance du 20 novembre 2000 du juge des référés de Paris,
Jean-Jacques Gomez. Il était donné trois mois, avec une astreinte de
100 000 francs par jour en cas d'infraction, à la société
californienne pour « rendre impossible » aux internautes français
l'accès aux pages de son site américain où des objets nazis sont
vendus aux enchères, par la mise en place d'un système de filtrage.
Selon Michael Traynor, l'un des avocats de Yahoo Inc, l'interdiction
décidée par Yahoo ne constitue pas une réponse à l'ordonnance du juge
français. « Nous avons pris cette décision conformément à notre
politique », précise-t-il avant d'ajouter : « notre compagnie partage
l'inquiétude générale concernant les discours de haine ».

On ne peut toutefois faire abstraction du fait que Yahoo Inc. annonce
en même temps sa décision de rendre payant son service de vente aux
enchères, et justifie de ce fait sa récente décision d'interdire à
cette vente les objets nazis. La concomitance de ces deux décisions
est habile à double titre : d'une part, elle permet à la société de
mettre fin à la gratuité du service de vente aux enchères, tout en
limitant les conséquences commerciales d'une telle décision en la
parant d'atours éthiques ; d'autre part elle prémunit Yahoo Inc.
d'éventuelles foudres américaines pour non respect du Premier
amendement de la Constitution de ce pays, puisque le caractère
désormais payant du service ne permet plus de lui attribuer le
qualificatif d'« expression », dont la liberté serait à protéger. Le
service proposé par Yahoo ne se distingue donc plus de ceux proposés
par ses concurrents américains.
D'un point de vue symbolique, la décision de Yahoo Inc. est donc
importante, puisqu'elle vient conforter une conception de la liberté
d'expression intégrant le respect de la dignité humaine. Elle n'en
reste pas moins byzantine puisque, lorsqu'il n'était encore financé
que par la publicité, le service de vente aux enchères de Yahoo était
déjà un service commercial proposé par la société. Cela signifie que
déjà à cette époque Yahoo Inc. pouvait très bien se réserver un droit
de regard sur l'utilisation de ce service. Il n'y a donc aucune raison
de n'invoquer qu'à présent ce droit de regard.

Yahoo Inc maintient par ailleurs l'appel introduit le 21 décembre 2000
devant la cour d'appel fédérale de San José, visant à vérifier la «
compatibilité de la décision française du 20 novembre avec le droit
américain ». L'issue de cet appel est très importante. Il s'agit en
effet de savoir si une décision de justice prise en application de
lois nationales peut s'imposer dans un autre pays, dont les lois sont
en conflit avec celles du premier. Un juge a certes la liberté de
prendre une décision du point de vue d'un droit national, et il n'est
pas, en outre, en responsabilité des retombées induites de
l'application qu'il fait de la règle de droit. Mais IRIS estime qu'il
est urgent et nécessaire d'engager sans plus attendre une réflexion à
l'échelle internationale pour éviter les conséquences funestes du
cumul prévisible de telles décisions sur la circulation de
l'information. La prolifération de telles décisions différentes, voire
franchement contradictoires en fonction des lois et des cultures
nationales, risque en effet paradoxalement d'aboutir à terme, pour
mettre fin au blocage du système de libre circulation des idées via
Internet, à l'imposition généralisée d'une seule et unique conception
réglementaire du fonctionnement de ce réseau planétaire.

Troisième point problématique de l'affaire : la possibilité de «
filtrage » des internautes selon leur origine. Le filtrage imposé,
méthode infantilisante et de toutes façons peu efficace pour un
internaute suffisament résolu à passer outre, s'inscrit dans une
dynamique sécuritaire dont nombre d'autres cas (dans les domaines du
travail avec la surveillance des salariés, ou de la police avec les
fichiers et perquistions electroniques, par exemple) montrent la
tentation de généralisation. Un risque majeur de contrôle totalitaire
des communications s'étend ainsi, accompagné en l'occurrence du
glissement extrêmement dangereux relevé par IRIS dans la décision du
juge Gomez, pour sa partie relative à la société Yahoo France cette
fois (cf. communiqué de presse d'IRIS du 21 novembre 2000 :
http://www.iris.sgdg.org/info-debat/comm-yahoo1100.html). Le fait que
l'« objet du délit » a pour ainsi dire disparu avec la récente
décision de Yahoo Inc. n'atténue pas la gravité de la situation. 

Les rebondisssements dûs à ce revirement de Yahoo Inc. ne font, en
tout état de cause, que renforcer la position affirmant que la seule
réponse judiciaire n'est pas forcément toujours la plus adaptée à des
questions d'une telle complexité à plusieurs niveaux. C'est la
position défendue par IRIS, notamment lors du débat organisé en
collaboration avec le MRAP sur ce thème lors des troisièmes Assises
de l'Internet non marchand et solidaire, le 16 décembre 2000 (cf.
http://www.assises.sgdg.org/2000/preparation-assises00/lutte-haine.html).
Cette position suscite de plus en plus la réflexion au sein de
certaines associations de lutte contre la haine. Deux colloques sont
ainsi prévus en mars 2001 pour en discuter. Le premier est organisé
par le Centre belge pour l'égalité des chances et la lutte contre le
racisme (CECLR, http://www.antiracisme.be) et aura lieu à Bruxelles le
2 mars, le deuxième est organisé par le Mouvement contre le racisme et
pour l'amitié entre les peuples (MRAP, http://www.mrap.asso.fr), et
aura lieu au Sénat à Paris le 31 mars. Nous diffuserons ultérieurement
plus d'information sur ce dernier colloque.


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