« NON AU STIC »
Conférence de presse du 13 avril 1999
Compte-rendu de Meryem Marzouki (IRIS)
A l'appel de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), du Syndicat de la Magistrature (SM), du Syndicat Général de la Police (SGP), et du collectif Informatique, Fichiers et Citoyenneté (IFC), une conférence de presse s'est tenue mardi 13 avril 1999 au siège de la LDH, pour dénoncer l'existence et l'utilisation du fichier STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées), et demander son démantèlement.
Le STIC est un nouveau projet du ministère de l'Intérieur, intégrant dans un même fichier informatique tous les fichiers de police déjà existants, augmentés d'informations de toute nature sur le citoyen. Qu'il s'agisse de l'auteur, de la victime, ou du témoin d'une infraction, voire simplement d'une personne ayant eu affaire avec les services de police, cette personne devient fichée, et sous une seule et même catégorie, celle de « mis en cause ».
Henri Leclerc (président de la LDH) introduit la conférence de presse :
Le STIC a actuellement un statut très flou : il n'a pas d'existence légale réelle, mais est utilisé « à titre expérimental », dans le cadre d'enquêtes de police, et figure dans des dossiers d'instruction. Créé par une loi datant de 1995, le STIC attend toujours les décrets qui doivent en préciser l'utilisation. Ces textes doivent paraître dans les prochains jours. La CNIL a approuvé sa constitution, ce qui fait dire à Henri Leclerc que cette institution « a manqué à son obligation de vigilance ». En février dernier, le Conseil d'Etat a recommandé des modifications au projet, afin de reporter systématiquement dans le STIC les mises à jour procédurales (les conclusions des jugements, lorsqu'ils ont eu lieu).Gilles Sainati (secrétaire général du SM), rappelle les principaux problèmes posés par le STIC :
- Le STIC fait double emploi avec le casier judiciaire, sans apporter, au contraire du CJ, de garanties judiciaires.
- Le STIC ne connaît pas la prescription, puisqu'il y a trois délais de conservation des informations, selon l'infraction : 5 ans, 20 ans, et 40 ans. Ces information sont conservées au-delà de la prescription légale
- La notion de « mis en cause » est une notion policière et non judiciaire. Les auteurs, victimes, et témoins d'une infraction sont donc confondus en une même catégorie policière. Il suffit d'avoir eu affaire d'une quelconque façon aux services de police pour figurer dans le STIC : il s'agit donc d'un véritable fichier de population qui va au-delà des nécessités de l'investigation.
- Les rubriques contenues dans le STIC comprennent le nom, la nationalité, la situation matrimoniale. Il y a là de graves atteintes à la vie privée
- Les informations contenues dans le STIC perdurent, même dans le cas où une affaire a été classée, ou s'est soldée par un non-lieu, même dans le cas où la personne interrogée s'est vue complètement écartée de toute relation à l'affaire. La mise à jour doit se faire normalement sous contrôle du procureur, mais l'encombrement des services de justice ne laisse que peu d'espoir de telle garanties. Par ailleurs, il n'est prévu que des « mises à jour procédurales », et non des retraits de fiches. Le STIC est donc un gigantesque « fichiers de suspects ».
Jean-Louis Arajol (secrétaire général du SGP) précise en quoi le STIC ne présente pas assez de garanties, et constitue un véritable fichier de population, un fichier de suspects :
- Le STIC comprend des informations qui sont utilisées par la police judiciaire mais aussi par la police administrative (par exemple pour des enquêtes sur des candidats à certaines fonctions).
- Le STIC comprend déjà des données existant depuis 1965 dans certains fichiers, depuis 1991 dans d'autres
- Au 1er janvier 1997, le STIC contenait déjà 2.5 millions de « mis en cause », 2.7 millions de victimes, 500 mille victimes personnes morales, 5 millions de procédures, et 6.3 millions d'infractions.
- Il est difficile pour le citoyen d'accéder aux informations le concernant contenues dans le STIC
- Le STIC ne respecte pas la présomption d'innocence, puisqu'on est « mis en cause » simplement suite à une procédure de police. Exemple de cas réel : une personne ayant eu affaire à la police parce qu'elle avait fumé un joint plusieurs années auparavant s'est retrouvée dans le STIC « mise en cause dans une affaire de trafic de stupéfiant ».
Daniel Naulleau (représentant le collectif IFC) élargit le débat à la mise en place par l'administration de grands fichiers interconnectés, comme le STIC, le fichier ANIS (social), l'utilisation du numéro de sécurité sociale (NIR) dans les fichiers fiscaux, ... et rappelle que dans tous les cas cette mise en place se fait plus ou moins en catimini en escamotant tout débat public. L'importance du rôle de la CNIL est chaque fois plus réduit. En revanche, le reproche de ne pas suffisamment écouter les acteurs associatifs est fait à la CNIL. Il est demandé que la transposition de la directive européenne sur le respect de la vie privée (qui s'applique en droit depuis le 24 octobre 1998) soit l'occasion d'un vrai débat démocratique, afin que cette transposition vienne renforcer la loi de 1978, et non la diminuer par un traitement sectorisé. Enfin, le collectif IFC demande la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire, afin de rendre publics les enjeux de ces fichiers de population, et de mettre à plat les diverses dispositions sectorielles, en cours ou à venir.
En conclusion, Alain Weber (commission Libertés et Informatique de la LDH) rappelle que l'informatisation des activités de l'Etat devient de plus en plus poussée, alors que le débat démocratique se réduit. Le STIC aujourd'hui c'est le projet SAFARI de 1974, en pire, et pourtant, l'opinion publique semble peu réactive actuellement, et tout se passe comme s'il y avait son accord à la mise en place de ces fichiers de population, visant à apposer un « label de suspect » sur tout citoyen, au mépris du droit à l'oubli (prescription) et même du droit au pardon (une fois la peine purgée).
IRIS a rejoint depuis mars 1999 le collectif IFC. Les organisations membres du collectif sont :
- AILF (Association des informaticiens de langue française)
- CIII (Centre d'initiative et d'information sur l'informatisation)
- Collectif contre la Cartécole
- CREIS (Centre de coordination pour la recherche et l'enseignement en informatique et société)
- IRIS (Imaginons un réseau Internet solidaire)
- LDH (Ligue des droits de l'homme)
- Terminal (revue)
- Souriez vous êtes filmés
- VECAM (Veille européenne et citoyenne sur les autoroutes de l'information et le multimédia)
Le collectif IFC est membre de l'intercollectif contre l'interconnexion des fichiers, comprenant également la LDH, le collectif pour les droits des citoyens face à l'informatisation de l'action sociale, et le collectif des associations et des syndicats contre la onnexion des fichiers fiscaux et sociaux
On trouvera des informations à propos du débat sur le NIR à : http://www.francophonie.net/ailf